vendredi 25 avril 2014

L’arnaque du mode du calcul de l’inflation 1/2 (billet invité)



C’est le seul et unique objectif de la BCE[i] : la maîtrise de l’inflation (inférieure à 2%). Qui suit quelque peu les questions économiques entend d’ailleurs régulièrement les orfèvres de la pensée (unique) libérale et monétariste que cela est indispensable à la bonne santé de l’économie[ii]. On pourra épiloguer plus tard sur la pertinence de cette assertion. Mais avant de cela, il faudrait plutôt voir si l’inflation est réellement maîtrisée, car telle ne semble pas être la perception de nombre de Français[iii].
Perception de l’inflation

En France, l’inflation est calculée par l’INSEE[iv] et celle-ci a mis en ligne une fiche explicative à vocation pédagogique sur le sujet[v]. Ainsi, si les Français ont le sentiment que les prix montent (beaucoup), c’est tout simplement que leur perception est mauvaise : « La mémoire humaine est sélective. Il est certain que nous retenons mieux les fortes hausses. De plus, la mémoire humaine est imprécise en ce qui concerne les chiffres et, quand nous effectuons un achat, nous ne nous souvenons pas avec une grande précision du prix que nous avions payé lors du précédent achat du même produit. » Passons cette approche pseudo-cognitive qui mériterait d’être étayée par quelques études scientifiques dignes de ce nom et admettons. Il n’est effectivement pas évident d’une course à l’autre de se rappeler du prix du paquet de lardons ou du pot de Nutella ®[vi]. Par contre, il est beaucoup plus aisé de se rappeler le montant global du caddie d’une semaine sur l’autre. Et si l’on a la mémoire qui flanche, il suffit de se replonger dans ses vieux relevés de compte bancaire. Si vous payez votre caddie 100 euros aujourd’hui et que l’inflation a bien été de 2% par an en moyenne, alors votre caddie de 2004 (à situation familiale équivalente) devait être d’environ 83€. Jugez par vous-même.

Oui, mais … nous dit l’INSEE : « l'indice des prix prend en compte la baisse de certains produits, en particulier les ordinateurs et l'électroménager ». Les ménages modestes, qui n’ont pas toujours un ordinateur et qui change leur électroménager uniquement lorsqu’il est à bout de souffle (et encore, si leurs finances le permettent) seront ravis de l’apprendre. Et d’ailleurs, même pour les revenus plus aisés, le changement de leur matériel informatique ou leur machine à laver n’intervient pas tous les quatre matins. Ce qui est important à prendre en considération sur ce point est le coefficient de pondération qui est appliqué à ces produits par rapport à ceux qui sont absolument nécessaire au bien-vivre des familles. Nous y reviendrons un peu plus bas.

Subjectivité du calcul de l’inflation

Un peu plus loin la note de l’INSEE nous apprend que « L'indice de prix est un indice « à qualité constante ». En effet, il arrive souvent que, quand le prix d'un produit augmente, sa qualité augmente aussi ; on considère alors que la hausse de prix effective pour le consommateur n'est pas la hausse de prix observée, mais une hausse plus faible ». L’INSEE rajoute donc un critère subjectif, à sa libre appréciation, sur l’évolution des prix. On constate certes une très forte augmentation de la qualité, par exemple, des produits informatiques depuis une douzaine d’année. Sauf que le besoin a-t-il changé ? Pour l’immense majorité des consommateurs pas vraiment : il s’agit essentiellement d’aller sur internet et de faire de la bureautique. Mais si vous voulez faire cela avec votre vieux PC à 4Go de disque dur et 500Mo de mémoire vive vous ne ferez pas grand-chose, alors qu’intrinsèquement les tâches que vous voulez accomplir sont les mêmes et que la multiplication des animations sur internet (en plus essentiellement de la publicité !) et des gadgets du Pack Office de Microsoft ® ne vous a pas apporté grand-chose. On a ici artificiellement créé un besoin dont vous n’avez que faire. Est-il alors légitime de considérer cet accroissement d’une qualité, qu’au final vous ne désiriez pas, comme une baisse de prix et donc une hausse votre pouvoir d’achat ?

Ce qui est paradoxal, c’est que cette subjectivité de l’évaluation des prix est à sens unique. En effet, l’INSEE admet que « L'indice des prix ne tient pas compte de la durée de vie des appareils et équipements, bien que ce soit un des éléments de la qualité d'un produit ». C’est pourtant un élément fondamental. Il est communément admis que les machines à laver de nos parents (ou de nos grands-parents) coutaient un bras mais durait aisément dix ou vingt ans. Aujourd’hui, lorsque la votre expire après cinq années d’utilisation, vous pouvez vous estimer heureux. Cette obsolescence programmée[vii] a un coût non négligeable sur les portefeuilles des ménages, mais l’INSEE n’en a cure. S’il arrive à évaluer, plus ou moins subjectivement, la qualité des produits il est tout de même étonnant qu’il ne parvienne pas à le faire sur leur durée de vie, même à posteriori.

Suite demain


[i] Banque Centrale Européenne.
[ii] Alors qu’un simple coup d’œil en arrière – notamment vers les Trente glorieuses – suffit à démontrer la non-validité permanente de l’assertion.
[iii] Lire Pierre Kupferman, 1 Français sur 2 est persuadé que l’inflation est supérieure à 3%, Challenges.fr, 09/11/2012.
[iv] Institut national de la statistique et des études économiques
[vi] Quoique ce dernier (avant même la mise en place de la nouvelle taxe sur les produits contenant de l’huile de palme) fait déjà exploser les compteurs de l’INSEE avec une hausse de 100% en dix ans … Cf. En 10 ans, le prix du pot de Nutella a doublé, Le Post, 14/10/2010.
[vii] On parle d’obsolescence programmée lorsqu’un produit est volontairement conçu pour ne durer qu’en temps restreint, de manière à en accroître sa consommation. Sur le sujet lire, Serge Blanc, Demain des usines dans nos salons, Le Monde diplomatique, juin 2012 et Serge Latouche, Bon pour la casse, les déraisons de l’obsolescence programmée, Les Liens qui libèrent, 138 pages, 13 euros (sur cet ouvrage : Philippe Arnaud, Bon pour la casse de Serge Latouche, Le Monde, 15/10/2012).

7 commentaires:

  1. j'espère que vous parlerez de la réduction du grammage dans les bidouillages de l'inflation, ce chiffre qui ne veut vraiment rien dire...

    exemple : il y a quelques mois, regardant un étalage de barres chocolatées célèbre (anciennement "raiders", il m'a paru que certains paquets paraissaient étranges... J'en prend un qui me paraissait "normal" et je vois que le paquet contient 2 barres de 49 grammes, dont la date de péremption expirait bientôt. J'en prend un autre "étrange" : 2 barres de 45 grammes, la date était plus reculée. Les 2 étaient vendues 1€. Conclusion : pas d'inflation, puisque les barres chocolatées sont vendues le même prix, et l'affichage "€ par unité" est lui aussi identique... mais on ne m'ôtera pas de l'idée que subjectivement, on y perds tout de même 8 grammes...

    Sur un autre article, de la poudre a laver, le paquet passe de 1.4Kg à 1.1Kg, vendu au même prix. Heureusement selon la pub de l'emballage la "nouvelle formule" est "20% plus puissante". j'ai quand même des doutes : quels sont les critères pour mesurer la "puissance" d'une lessive ? L'utilisateur calibre-t-il du jour au lendemain une réduction de 20% d'un geste dont il a l'habitude ? perso je n'ai aucune idée de ce que peut faire une réduction de 20% dans les termes de ma pifomètrie hebdomadaire... mais c'est surement "subjectif" ...

    Age

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  2. Billet capital, s'il en est. Et surtout c'est bien la première fois que je vois, enfin, évoquée le rôle de l'obsolescence programmée dans le coût de la vie.

    Il faudrait obliger tous les journaleux bien-pensant et donneurs de leçons à lire cet article.

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  3. Sans oublier l'inflation des actifs (immobiliers et financiers) qui n'est pas comptabilisé

    Vic

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  4. Les chiffres de l'inflation sont falsifiés de la même manière dans de nombreux autres pays, mais comme cela ne suffisait pas la France est allée encore plus loin avec l'indice des prix "hors tabac", tellement bidon qu'on n'ose pas l'utiliser pour les comparaisons internationales.

    C'est un instrument de propagande réservé à l'interne.

    Ivan

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  5. Oui les prix baissent (si on se débrouille correctement).Tout simplement à cause de la baisse du pouvoir d'achat, les vendeurs sont obligés de suivre. Le chiffre d'affaire de la grande distribution est en baisse.

    Les choses sont un peu obscurcies par le fait qu'on est en permanence en période de promotions, et ce ne sont pas toujours les mêmes produits qui sont en promotion. La notion de "prix" perd donc un peu de son sens, puisqu'ils changent constamment.

    On voit aussi se développer des produits "low-cost". Par exemple des produits d'entretien au moins 4 fois moins chers que les produits dits "normaux", et réduits à leur plus simple expression en terme de composition ou d'emballage. Par exemple un déboucheur liquide ce n'est que de la soude caustique, produit industriel de base dont le prix devrait être minime, ce qu'il est en low-cost. Même chose pour les produits de lavage.

    Pour résumer on voit apparaître une très grande diversification des produits et des prix, rendant difficile la constitution d'un panier moyen permettant le calcul de l'inflation.

    Je ne pense pas non plus que la durée de vie des biens d'équipement soit aussi réduite que cela. En tout cas ce n'est pas ce que j'ai constaté.

    Quand à l'informatique, elle sert énormément aujourd'hui au divertissement et au multimédia (la musique et les films). Il en a découlé (par le piratage ou l'échange) une baisse considérable du prix de ces loisirs, au grand dam des artistes et des producteurs.

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  6. C'est de la pure folie de croire qu'il y a de l'inflation caché dans le caddie. L'inflation caché c'est l'immobilier (x 2 à x 4) et l'énergie (carburant x2).

    Le problème de la "qualité" que vous soulevez est bien réel, mais vous vous faites une erreur d'évaluation. Ayant des connaissances en marketing, je sais comme les entreprises valorisent des produits aussi banals que du lait. Il y a 15 ans on acheté du lait en briquette ou en bouteille, maintenant 95% du rayons est constitués de produits spéciaux: sans lactose, enrichie en vitamine, bio, etc. Ce qui est valable pour le lait est valable pour de nombreux produits. Regardez le contenu des chariots, en 15 ans il a beaucoup changé.

    Tant qu'a vos remarque sur l'informatique, je peux vous conseiller des configs à très bas prix (moins de 600 euro) avec un confort de fonctionnement qui n'a rien à voir avec les PC d'avant l'euro. Un pc bas de gamme ça valait 8000-9000 franc en 2000. Aujourd'hui pour 1500 euro on tape dans le haut de gamme, 600 ça suffit pour une bonne config de bureautique.

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  7. Il faudrait aussi parler des choses qui étaient gratuites et deviennent payantes, comme les retransmissions de boxe, de football et bientôt ce sera le tour du rugby.

    Je serai curieux de savoir comment l'INSEE intègre cela dans son indice, s'il le fait.

    Ivan

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