samedi 26 avril 2014

L’arnaque du mode du calcul de l’inflation 2/2 (billet invité)



Le vif du sujet : la part des différentes dépenses dans le calcul de l’inflation


Le site de l’INSEE permet d’avoir accès la courbe suivante d’évolution de l’inflation de ces quatorze dernières années :

En première approche, on se dirait donc que la BCE a bien son fait travail : l’inflation demeure maîtrisée et inférieure à 2%. Mais il faut aller plus loin. Car lorsque l’on trouve les coefficients de pondération utilisés on peut être estomaqués :

Vous lisez bien : la part des loyers dans les dépenses des ménages est évaluée à 5,9%[i] (autant que les restaurants et à peine plus que l’ameublement ou l’habillement). Pourtant, l’association nationale d’information sur le logement l’évaluait en 2008 à 34% pour les ménages parisiens[ii], et avec la crise économique, il est plus que probable que ce taux a largement augmenté. Pour l’ensemble de la France, la commission des comptes du Logement l’évalue à 22,3 % en 2010[iii]. Bref, on peut multiplier les statistiques : le quota pris en compte par l’INSEE est à mille lieux de la réalité et en frise le ridicule. Les dépenses énergétiques (Electricité, gaz, fioul) sont du même registre. Et évidemment, pour compenser cela, d’autres dépenses (santé, loisir, restaurant, habillement, ameublement, services récréatifs, « autres dépenses[iv] ») sont artificiellement gonflées.
Prenons le cas d’un ménage gagnant 30 000€ par an, c’est-à-dire composé d’un couple (avec ou sans enfants) dont les deux conjoints travaillent à un salaire légèrement au-dessus du SMIC, ce qui doit correspondre peu ou prou à la situation médiane des ménages français[v]. Dans ce cadre là, et en prenant le modèle de l’INSEE, leurs dépenses annuelles seraient :


Là encore, vous avez bien lu. Notre ménage médian s’est trouvé un logement à 147€/mois (même les marchands de sommeil ne doivent être guère en-dessous) et par contre se paye le luxe de dépenser 1770€ par an en restaurants, 1410€ en fringues et pour 1710€ de meubles … Le modèle de calcul de l’inflation de l’INSEE ne colle donc bien sûr absolument pas au mode de vie de ce ménage médian, ni même à celui de l’immense majorité des Français. Mais alors pour qui un tel modèle pourrait-il être indicatif ? Pour ceux qui sont propriétaire de leurs logements et ne payent plus (ou presque plus) de crédits dessus et dont l’importance des revenus leur permet d’en consacrer une part substantielle aux dépenses qui ne sont pas de premières nécessités. C'est-à-dire même pas les classes moyennes supérieures en activité (qui le plus souvent ont acheté leur logement à crédit), mais les classes moyennes supérieures à la retraite (qui ont finit de payer leur crédit) et surtout la frange la plus riche, les fameux 1% de Joseph Stiglitz[vi] (nous y reviendrons plus bas).

Néanmoins, l’INSEE met à disposition un simulateur qui permet de définir soi-même la répartition de ses dépenses. On peut donc effectuer une simulation en prenant des critères qui se rapprocheraient davantage de la réalité. Ce qui donne ceci[vii] :


La différence est déjà plus que sensible.
Mais maintenant prenons un ménage dont le bas niveau de revenus ne leur permet de ne se consacrer qu’à l’essentiel : alimentation et loyer tout en étant chauffer par une vieille chaudière au fuel[viii] (que l’on ne retrouve plus que dans les logements à bas coûts, donc pour les plus démunis …) :

Avec cette simulation, les courbes s’affolent : l’inflation devient preqque le double de celle annoncée par l’INSEE. Tout juste peut-on noter une déflation (-2,3% sur les 12 derniers mois), mais celle-ci ne compense même pas l’inflation observée en 2012 avec cet indice corrigé : +5,5% !


Qu’en retenir ?[ix]
Premier élément à prendre en compte : les minimas sociaux et une grande partie des salaires sont indexés sur l’inflation calculée par l’INSEE[x], inflation pour laquelle nous avons vu qu’elle était clairement sous-évaluée pour les bas revenus. La conclusion est donc claire : pour tous les bas revenus, le pouvoir d’achat s’est clairement détérioré ces quatorze dernières années. Mais il faut aller plus loin : en pratique, le taux d’inflation publié par l’INSEE n’est valable que pour les plus riches alors même que, comme le montre l’Observatoire des inégalités[xi], leurs revenus ont le plus augmenté ces dernières années. En résumé : pour les pauvres, les revenus stagnent et les prix montent ; pour les riches, les revenus montent et les prix stagnent.


En général, on a tendance à considérer que l’inflation s’applique à tous, profite à certains (en particuliers ceux qui sont endettés, car leur créances y perdent de leur valeur) et font le malheur d’autres (les épargnants et les rentiers qui voient leurs bas de laine fondrent). La politique monétaire menée par la BCE – car après tout c’est bien elle qui, de part ses statuts, est responsable du niveau de l’inflation – a réussi le tout de force de créer une inflation à discrimination négative : l’inflation pour les dépenses et la déflation pour leurs salaires pour les plus pauvres, et effet inverse pour les plus riches.
Rien d’étonnant à cela lorsque l’on regarde les choix faits par la zone euro : La BCE émet à des taux très bas quasiment depuis sa création, ce qui permet aux banques privées d’emprunter à des taux quasiment nuls. Mais derrière ces banques, il y a, tout simplement, des gens qui peuvent donc bénéficier du crédit facile et pas cher. La maxime est bien connue : on ne prête qu’aux riches. Les moins aisés, quant à eux, n’ont pas accès, par exemple au crédit immobilier, et se trouvent cantonnés au crédit à la consommation à des taux prohibitifs (pour le coup bien au-dessus de l’inflation réelle à laquelle ils sont soumis), rappelant en cela, certes dans une moindre mesure mais dans le même esprit, l’escroquerie des subprimes américaines.
Cet énorme afflux d’argent facile permet également à  d’autres de jouer au casino boursier avec multiples effets de levier et autres créations de dérivés divers et variés (que l’oligarchie européiste entreprend de doper ![xii]), procurant ainsi des rendements phénoménaux aux fonds spéculatifs et autres hedge fonds derrière lesquels se cachent … de riches rentiers. Ironie de la chose, c’est ce même afflux d’argent qui alimente les bulles spéculatives qui ont amené la crise que nous connaissons, mais aussi qui encourage les investissements dans l’immobilier, tirant donc les prix vers le haut et faisant que les plus modestes payent des loyers plus chers.

Rajouter à cela un système fiscal[xiii] qui marche sur la tête en demandant aux plus pauvres et aux classes moyennes de payer, proportionnellement à leurs revenus, bien plus que les très riches[xiv], et vous aurez définitivement l’impression (bien réelle celle-là, pas comme l’inflation mesurée par l’INSEE), que décidemment çà ne tourne pas rond. Car ce n’est pas le dernier des paradoxes : contraint par la doxa néolibérale de l’Union européenne, l’Etat ne peut emprunter qu’auprès des marchés (et non à taux nul ou très faible auprès de la banque centrale comme le font … les banques privées !) et se retrouvent à payer des intérêts aux marchés, donc aux banques, donc aux plus riches rentiers. Les impôts majoritairement levés sur les plus modestes et les classes moyennes servent donc à rémunérer les intérêts de ces rentiers. En 2013, ce sont près de 60 milliards d’euros que la France (soit plus que le plan d’austérité de M. Valls, étalé, lui, sur plusieurs années !)  a consacré au paiement des intérêts de sa dette (quasiment autant que le budget de l’éducation nationale). 60 milliards essentiellement pris dans la poche des travailleurs modestes et des classes moyennes pour servir des rentiers (dont la majorité ne réside pas en France).
En fait, tel qu’il est bâti et surtout tel qu’il est instrumentalisé, le système actuel aboutit à une redistribution des richesses à l’envers, une prédation, de la même manière que l’a relevé Joseph Stiglitz aux Etats-Unis[xv] : les 1% les plus riches s’accaparent les richesses des 99%.



[i] Nota : l'INSEE parle de coefficient de pondération (dans les pourcentages attribué à chaque chapitre de dépenses), et non de proportion des dépenses dans le budget total des ménages. Ce n'est effectivement théoriquement pas la même chose.
Par exemple, les 5,9% attribués au loyer sont censés reflétés l'importance que les ménages donnent au loyer dans le calcul de leur budget (comme par exemple au bac S, on donnera un coefficient de pondération aux maths puisque l'on considère que cela est plus important dans cette filière).
Le fait est, néanmoins, que l'importance que l'on attribue à une dépense - son coefficient de pondération - risque fort de correspondre, peu ou prou, au pourcentage qu'elle occupe dans le budget total. Ainsi, sur l'exemple pris (les loyers), seul un ménage déjà propriétaire et sans crédit, considérera que ses dépenses de logement sont de faible importance (puisque c'est acquis), et donc lui affectera un faible coefficient de pondération (voir un coefficient nul), ce qui correspond à la réalité de ses dépenses en pourcentage.
A contrario, un ménage qui se préoccupe essentiellement de savoir comment il va payer le loyer, les courses et la facture EDF (c'est à dire la grande majorité des ménages français) leur affectera un coefficient important, qui correspondra peu ou prou au pourcentage de dépenses puisque ce sont pour lui les factures les plus difficiles à régler et les plus essentielles à son existence.
[iv] On aimerait en savoir plus sur le détail de ces « autres dépenses », qui sont tout de même le premier chapire de dépenses des ménages (!), mais l’INSEE conserve secret le détail de ses calculs. ro
[v] En France, le revenu médian est de l’ordre de 1600€/mois. Le revenu médian est calculé de manière à ce que la moitié de l’échantillon y soit inférieure, et l’autre moitié supérieure. Il est généralement plus révélateur que le revenu moyen qui peut être distordu par des effets de masses à l’une ou l’autre des extrémités (par exemple un très grand nombre de personnes gagnant peu pendant qu’un petit nombre gagne des sommes astronomiques).
[vi] Lire Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité,  Les Liens qui libèrent 2012.
[vii] Pour un ménage consacrant l’essentiel de ses ressources à l’alimentation (30%, soit 750€/mois), le loyer (40%), se chauffant au gaz et utilisant la voiture pour se déplacer, tout en conservant de quoi renouveler à minima sa garde robe (1% soit pour notre ménage médian, 300€/an) et son mobilier (1%) et de quoi faire quelques extras : restaurant (0,6% soit pour le ménage médian 180€, de quoi faire 4 ou 5 restaurants dans l’année), bien durables de loisirs (0,4% soit 120€ pour le ménage médian, de quoi changer son ordinateur tous les 5 ans), service récréatifs-culturels (0,2% soit 60€ pour le ménage médian, 5 tickets de cinéma).
[viii] Données retenues : alimentation 28%, loyers 48%, eau 1,6%, électricité 2,5%, fuel 19%, assurances 1%, toutes les autres données à 0.
[ix] On pourra également lire l’excellent article de Stanislas Jourdan, L’inflation : un objet économique mal identifié, Atlantico.fr, 13/06/2012.
[x] Quand un gouvernement de la « gauche de droite » ne décide pas tout simplement de les geler !
[xi] L’évolution des inégalités de revenus en France, L’Observatoire des inégalités, 12/01/2012.
[xiii] Lire Thomas Piketty, Camille Landais, Emmanuel Saez, Pour une révolution fiscale, Seuil 2011. Ma fiche sur cet ouvrage : http://loeildebrutus.over-blog.com/article-pour-une-revolution-fiscale-75061097.html. Voir également Pour une réforme radicale de la fiscalité.
[xiv] Contrevenant en cela l’article 13 de la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen : « Pour l'entretien de la force publique, et pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés. »
[xv] Lire Joseph Stiglitz, Le Prix de l’inégalité,  Les Liens qui libèrent 2012.

7 commentaires:

  1. Bonjour

    Tout d’abord, merci pour votre blog, que je trouve très interressant.

    En ce qui concerne la part des loyer dans l’indice des prix, l’Insee apporte quelques précisions :
    "Le poids des loyers peut de prime abord paraître faible, dans la mesure où l'on observe par ailleurs que les loyers représentent environ 20 % des dépenses des ménages locataires. Mais, les locataires sont moins nombreux que les propriétaires (moins de 40 % de la population). Et, de plus, moins aisés en moyenne que les propriétaires, ils consomment moins. La part qu'ils représentent dans la consommation de l'ensemble des ménages n'est que d'un tiers environ. »
    ( http://www.insee.fr/fr/themes/indicateur.asp?id=29&page=info_ipc_plus.htm )

    Cela dit, le fait d’exclure les dépenses d’achat de logement pour les propriétaires est ausi discutable…

    Par ailleurs (mais l’Insee aussi est assez clair sur ce sujet), il est net que l’inflation n’est pas la même pour tous : elle est effectivement beaucoup plus forte pour les plus pauvres !


    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Effectivement. Et c'est d'autant plus aberrant que la grande majorité des propriétaires payent les traites d'un crédit qui, bien souvent, est au moins aussi important que ne le serait un loyer !

      Supprimer
    2. En effet, toujours distinguer un propriétaire d'un... bancataire.

      Et locataires+bancataires=66.2% de la population en 2012 (source eurostat : http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/submitViewTableAction.do)

      Supprimer
  2. Que l'état Français emprunte sur les marchés à taux faible n'est pas vraiment un problème, les obligations françaises ou allemandes sont un bas de laine puisque le taux d'intérêt est équivalent à l'inflation voire inférieur. Si l'état emprunte à sa propre banque centrale à taux nul sans même couvrir l'inflation, le bilan de la banque centrale va vite se dégrader. L'intérêt d'un prêt direct de la banque centrale à l'état est ponctuellement utile quand les marchés demandent des taux beaucoup plus élevés que l'inflation, car c'est à ce moment que les prêteurs s'enrichissent vraiment et qu'une banque centrale doit jouer son rôle contracyclique.

    Si l'inflation est supérieure à celle officielle, les obligations françaises détenues par des français, ne rapportent rien, tout juste compensent elles une part de l'inflation. Le taux à 10 ans français est de 2%, parfois moins, c'est pas le Pérou.

    Même avant Maastricht, l'état faisait appel au marché pour des taux faibles, les banques françaises étaient obligées aussi de détenir une part de son bilan en obligations, une des formes de la répression financière...

    RépondreSupprimer
  3. Beaucoup plus convaincant que la première partie de votre billet, et comme par hasard vous parlez du problème du cout de l'immobilier.

    RépondreSupprimer
  4. Arnaque concrète sur 25 euros d'achat hier : j'ai pris (dans un 8 à 8 de quartier dont je ne remettrai pas en cause la patrone) des victuailles françaises plus une ampoule soi-disant longue durée : 8,5 euros.

    L'ampoule, soit disant 8000 heures, est déjà claquée (ces salopards d'ingécons on rendu faible la zone par où la prend pour la visser : le tube est télé). J'ai alors regardé, furieux, le culot : "made in china". Je suis cocu. 30% de pouvoir d'achat perdu rien que sur cette opération, un gros porc de capitaliste engraissé et des ouvriers exploités en Chine.

    de la merdasse intégrale, n'achetez jamais d'ampoules pseudo-écolo-de-mon fion !

    Les connards d'économistes nous expliquaient, dans les années 80, je m'en rappelle en tant que lycéen, que la division internationale du travail ferait baisser les prix et qu'on serait gagnant. Non seulement les prix explose, mais on plus on délocalise pour nous vendre de la merdasse.

    Si je me trouve un jour en face d'un de ces tocards qui nous ont déversé leur propagande dans les années, j'aurais du mal à lui retenir mon poing dans la gueule, même si ensuite je dois avoir à la justice.

    RépondreSupprimer
  5. Je suppose que tous les politiques sont au courant de cette arnaque et qu'ils ferment les yeux.

    RépondreSupprimer