jeudi 7 juillet 2016

La démocratie sans peuple ? (billet invité)

Billet invité de l’œil de Brutus


C’est l’utopie que semble appeler de ses vœux le philosophe libéral Gaspard Koenig dans un billet cinglant de colère sur le Brexit lorsqu’il clame « Oui à la démocratie, non au «peuple», fiction de romancier ».

Mais comment cela serait-il possible ? Imaginons un brésilien arrivant à l’aéroport d’Heathrow en ce jour de référendum sur le Brexit. Pourrait-il aller porter son bulletin dans l’urne du simple fait de sa présence sur le sol britannique ? Non, bien sûr que non et il y en aurait bien peu à prôner une interprétation aussi fantasque de la démocratie. Pour qu’il y ait démocratie, il faut donc bien qu’il y ait un « dedans » - des personnes qui expriment leurs choix sur la réalisation d’un bien commun qu’ils partagent avec d’autres – et un « dehors » - ceux qui ne peuvent exprimer leur choix car ne participant pas, ou de manière trop partielle, à ce bien commun. Bien évidemment, entre ce « dedans » et ce « dehors », il ne saurait y avoir une étanchéité parfaite. Il faut avoir l’esprit sacrément obtus pour ne pas être capable d’imaginer qu’entre un modèle de libre-échange (de biens et de personnes) parfait (ce qui au demeurant n’existe pas) et la Corée du Nord, il existe une multitude de possibilités. Ces possibilités sont la manière dont nous régulons nos frontières. Cette régulation peut être très ouverte ou très peu permissive, mais cela est un autre débat. Mais dans tous les cas, c’est cette régulation – qui inclut notamment l’accès à la citoyenneté – qui permet l’existence de ce « dedans ». Et qu’est-ce que ce « dedans » ? Le peuple, tout simplement. Une communauté de personnes qui accepte de mettre en partage un bien commun, la citoyenneté. Sans cela la démocratie ne fait plus aucun sens : imaginerait-on des Brésiliens se prononcer sur le Brexit puis demain des Gallois en vacances à Rio de Janeiro sur le successeur de Dilma Roussef ? Un simple constat historique s’impose : de la Grèce antique à nos jours, il n’y a jamais eu de démocratie sans peuple, et de peuple sans Cité (ou Nation, ce qui équivaut).

Alors, bien évidemment, quelques bien-pensants ramèneront le peuple à la nation, la nation à la haine, la haine à la guerre. Drôle de (faux) syllogisme qui confond le concept avec l’usage qui a pu en être fait. Avec de tels sophismes simplistes, les usagers du TGV Paris-Marseille se doutent-ils qu’ils ont maillent à partie avec les déportations de la 2e guerre mondiale ou avec celle des Arméniens par les Turcs ? Espérons que nos bien-pensants ne découvrent pas que Marine Le Pen utilisent fourchettes et couteaux pour son déjeuner sinon ils en viendront à manger avec leurs mains …

Au demeurant, qui se montre le plus violent, le plus haineux et le moins ouvert ? M. Koenig lorsqu’il pérore « Je hais la nation (…) et méprise les nationalistes » ? Ou le peuple britannique qui fait le choix, assumé et dans la droite lignée de siècles d’indépendance farouche, de tourner le dos à la technocratie et aux diktats bruxellois par l’expression d’un vote on ne peut plus démocratique ?


On rappellera également que, si elle se veut politique (au sens fédéral), l’Europe ne formant pas peuple, elle ne peut pas, constitutivement, être démocratique (et une addition de différentes démocraties n’a jamais formé une démocratie). Par contre, si elle se veut coopération politique (et donc confédérale), alors, oui, elle peut faire sens en tant que coopération entre peuples d’une même civilisation.

7 commentaires:

  1. "Par contre, si elle se veut coopération politique (et donc confédérale)"

    La confédération est un mythe, même la Suisse, malgré son nom, n'est pas une confédération, mais est une fédération. Toutes les confédérations sont devenues des fédérations.

    Avant la guerre de sécession US, il n'y avait pas un peuple US, mais 2 peuples. Il en est de même de tous les états actuels, ils sont tous sans exception une agglomération de peuples devenus un peuple. Il en est de même de l'UE si elle se fédéralise, elle formera un peuple.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Certes la confédération helvétique est aujourd'hui une fédération. Mais avant de l'être, elle a bien été confédérale pendant plus de 500 ans. Il y a d'autres exemples de confédérations dans l'histoire (la confédération livonienne ou encore la confédération germanique).
      Force est de constater, faute de peuple européen, que l'idée de fédération européenne est irréaliste aujourd'hui et que la seule possibilité d'union politique européenne serait un empire doté d'une tyrannie plus ou moins douce (ce que nous pouvons constater aujourd'hui ...). Par contre, l'idée d'une coopération entre Etat (donc une confédération), elle, est réaliste. Elle a d'ailleurs été à peu près fonctionnelle jusqu'à l'Acte unique de 1986 ... Cette idée n'excluant nullement qu'à beaucoup plus long terme (probablement plusieurs siècles), l'idée de peuple émergeant, cette confédération se mue progressivement en fédération.

      Supprimer
  2. Pas de démos européen

    J adore les philosophes modernes qui n ont que des certitudes (bien-pensantes et confortables), tout se perd :-(

    RépondreSupprimer
  3. Quelqu’un m’avait demandé aussi quelque chose mais je crois que ça suffira. Depuis qu’il y a des hommes et depuis qu’il y a des Etats, tout grand projet international est nimbé de mythes séduisants. C’est tout naturel. Parce qu’à l’origine de l’action, il y a toujours l’inspiration. Et ainsi pour l’unité de l’Europe, oh ! Comme il serait beau, comme il serait bon, que celle-ci puisse devenir un ensemble fraternel et organisé où chaque peuple trouve sa prospérité et sa sécurité. Ainsi en est-il aussi du monde. Qu’il serait merveilleux que disparaissent toutes les différences de race, de langue, d’idéologie, de richesse, toutes les rivalités, toutes les frontières qui divisent la terre depuis toujours. Mais quoi, si doux que soient les rêves, les réalités sont là. Et suivant qu’on en tient compte ou non, la politique peut être un art assez fécond ou bien une vaine utopie.
    Charles de GAULLE - conférence de presse du 27 novembre 1967 –

    RépondreSupprimer
  4. Avant que Mitterrand dise "Le nationalisme, c'est la guerre", on s'accordait plutôt à dire "L'impérialisme, c'est la guerre", et on avait bien davantage raison.
    Jusqu'au XVIIIe siècle, pour faire simple, les guerres européennes étaient des luttes de pouvoir entre princes, cousins et de même culture (même ce qu'on appelle "guerres de religion"). À partir de 1789 apparaît l'idée que, au-dessus des princes et des nations priment des idées sur la manière d'atteindre le bonheur de l'humanité ("pursuit of happiness"). L'empire libéral français s'oppose à l'empire conservateur autrichien. L'un et l'autre se moquent des nations et les écrasent si elles les gênent.
    Ainsi se constituent des empires qui ont vocation à dominer la terre entière pour établir la paix définitive. L'exemple de Rome et de sa Pax romana étendue au monde marque tout autant les révolutionnaires de 1793 voulant remplacer la culture nationale qu'Hitler imaginant l'architecture de sa capitale "Germania". Il se retrouve encore chez les européistes et leurs alliés américains.
    Aux XIXe et XXe siècles, empires coloniaux anglais et français, empires continentaux allemand, autrichien, turc et russe s'entrechoquent dans leur appétit de contrôler la planète.
    Les nations, leur culture et leur liberté en font les frais, si bien que les nationalismes naissent au XIXe siècle en opposition à l'oppression de ces empires : en Grèce ou chez les slaves d'Europe centrale. À la logique impériale de la paix par la domination du monde s'oppose alors celle de la paix par la fraternité entre peuples libres. Cette dernière devrait l'emporter puisque la domination du monde ne peut que provoquer des guerres continuelles entre intérêts égoïstes, sauf à réduire toute l'humanité en esclavage.
    Mais Bismarck a le génie de détourner l'idée nationaliste pour constituer l'empire allemand. Il réussit à récupérer et retourner l'idée qui pourra ainsi être utilisée par les autres empires. Empires qui sont pourtant d'autant plus éloignés de toute vrai idée nationaliste que le libéralisme les a mis aux mains de grands groupes industriels et financiers anationaux qui ont pris à leur compte l'idée de dominer le monde et qui poussent à la guerre pour supprimer leurs concurrents.
    La mondialisation néolibérale qui se présente avec des intentions pacifistes est au contraire le plus grand ennemi de la sécurité de l'humanité. Le retour aux sources du nationalisme est sans doute la meilleure solution pour l'avenir du monde.

    Guadet

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je voulais dire aussi :
      L'UE et les USA se comportent comme les empires du XIXe siècle, luttant férocement contre tout ce qui échappe à leur contrôle et à leur idéologie, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur.

      Guadet

      Supprimer
    2. Permettez moi d'approuver bruyamment...j'ignorais que le "nationalisme c'est la guerre "était de Mitterand, l'escroc qui a fait croire toute sa vie qu'il était socialiste...

      Supprimer