samedi 9 novembre 2019

Sapir définit les fondements de la souveraineté (2/3) : ses adversaires




Le droit et les traités comme acides de la démocratie

Prolongeant ses papiers de 2013, Sapir incrimine l’UE et les traités dits commerciaux comme « formes modernes de confiscation du pouvoir ». Il soutient que « les institutions de l’UE, que l’on confond hélas trop souvent avec le concept d’Europe, ont progressivement violé la démocratie et la souveraineté », évoquant le TCE et les votes de la Grèce, le 25 janvier 2015, pour Syriza, puis le référendum du 5 juillet. Il rappelle le fameux mot de Juncker « Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens » et sa préférence exprimée pour une victoire de la droite en Grèce fin 2014 : « Juncker trahit le fait qu’il considère que la commission européenne est bien une instance supérieure aux gouvernements des pays membres, une instance dont la légitimité lui permet, à lui, petit politicien faisandé d’un pays dont les pratiques fiscales constituent un scandale permanent, de dicter ses conditions ».

Pour lui, « cette volonté farouche de faire disparaître du champ politique le principe de la souveraineté ne peut que se justifier par une volonté de faire également disparaître le principe de démocratie. Mais ce faisant, un lien social de la plus haute importance est détruit. (…) Le lien politique tient une place centrale dans les communautés humaines. Les sociétés (…) sont avant tout des constructions politiques, en partie consciente et en partie inconsciente. Le fait de savoir qui peut prendre les décisions en leur sein, ou si ces décisions seront imposées de l’extérieur, est un problème crucial ». Or, « l’histoire a structuré des peuples en Europe, et ce avec des cultures politiques différentes ». Il rappelle justement que « nul traité n’est rédigé pour durer jusqu’à la fin des temps (…) mais dire qu’il est souhaitable qu’un traité ne soit pas immédiatement contesté n’implique pas qu’il ne puisse jamais l’être ».

Il rappelle ainsi que « c’est pourquoi, d’ailleurs, le droit international est nécessairement un droit de coordination et non un droit de subordination ». Il dénonce la dépossession des Etats de leur pouvoir de juger au profit des dits tribunaux d’arbitrage dans le Traité Transatlantique, et souligne que « si le peuple souverain veut prendre le risque d’une instabilité des règles, ceci reste son droit inaliénable ». Prolongeant son raisonnement, il note que l’indépendance donnée à une banque centrale est un acte de tyrannie, une forme de coup d’Etat au sens littéral du terme : « des agences indépendantes ne sont en réalité pas compatibles avec les principes de l’ordre démocratique. En ce sens, elels sont donc bien emblématiques des dérives que fait subir l’ordre libéral à nos sociétés (…) toute légalité ne peut exister que dans la mesure où elle peut être contestée, non pas dans sa forme, mais dans son fond »

Mais dans l’UE, « la souveraineté nationale est de moins en moins pertinente, mais sans être toutefois remplacée par une autre souveraineté (…) Nous vivons en fait dans un contexte qui s’apparente, au sens légal du terme, à une tyrannie, c’est-à-dire un système politique où la légalité et la légitimité sont disjointes et où des dirigeants font un usage de plus en plus injuste de leur pouvoir sous couvert de légalité ». Pour lui, « on a opéré un pivotement fondamental de l’UE, et l’on est sorti des limites strictes de ce que l’on appelle la démocratie », le « constitutionnalisme économique » et « la réduction au légal » étant une « tyrannie ». En somme, la prédétermination du jeu politique revient à vicier la démocratie : « toute tentative pour limiter au préalable le conflit politique ou lui assigner un déroulement comme l’on voudrait canaliser un cours d’eau, aboutit à restreindre les choix et à tuer la démocratie (…) nulle génération n’a le droit d’enchaîner par ses choix les suivantes. Etre souverain, c’est avoir la capacité de décider ».

Pour lui, les règles posent un double problème. Outre le problème démocratique fondamental, elles posent un problème pratique tant l’évolution des circonstances peut les rendre absurdes et inadaptées au nouveaucontexte. Il prend exemple sur l’Autriche des années 20, qui, après un épisode hyperinflationniste, interdit tout déficit, compliquant toute intervention, jouant un rôle clé dans la crise de la CreditAnstalt. Il fallait «  laisser au pouvoir sa liberté d’action discrétionnaire ». Il note le paradoxe de ce monde qui s’impose des règles de plus en plus strictes, tout en produisant un environnement de plus en plus sur instable. Il rappelle aussi qu’une « partie de la protection sociale étendue à l’échelle de l’Etat dut d’ailleurs démantelée sous les gouvernements du chancelier Brünning de 1930 à 1932 (…) au nom de la nécessité de sauver les banques allemandes et de contenir le budget de l’Etat en période de crise »…

Ironique, il note qu’« Il est ainsi piquant, et assez drôle, de voir des économistes néoclassiques se réclamer désormais du constitutionnalisme économique, eux qui, par construction, réfutent le rôle des règles car ils ne croient qu’à la maximisation des choix individuels et rejettent par là même le principe de l’incertitude ». Evoquant Hayek, il dénoue ce paradoxe en soulignant que « la revendication de normes immanentes, dont on perçoit bien que le seul fondement est en réalité de l’ordre du religieux ». Le néolibéralisme est totalitaire. Il dénonce la prétendue expertise économique, qui « masque une volonté profondément politique (…) L’idée que les choix politiques peuvent être réduits à des choix techniques est partagée par tous ceux qui se défient de l’Etat comme institution ».

A contrario, pour lui « l’ordre démocratique se veut la reconnaissance de la nature politique de toute société et cherche donc à organiser le fonctionnement de cette dernière afin que tous puissent y participer sans vouloir préjuger de son résultat final ». Il souligne joliment que « certaines nations souveraines ne sont pas démocratiques, mais aucune démocratie n’a pu naître là où l’on est privé de souveraineté ».

Source : « Souveraineté, démocratie, laïcité », Jacques Sapir, Michalon


Suite et fin dans une semaine

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