samedi 29 février 2020

Coralie Delaume clarifie nos relations avec l’Allemagne (3/3) : l’avenir incertain de l’UE


Coralie Delaume avait écrit un très bon livre en 2017 avec David Cayla, « La fin de l’Union Européenne », qui pointaint tous les vices de forme de cette construction, toujours aussi intéressant à lire aujourd’hui. « Le couple franco-allemand n’existe pas » offre une forme de suite, en se focalisant sur la question franco-allemande, centrale pour l’UE. Et l’analyse de nos relations avec notre voisin ne fait que confirmer l’impasse dans laquelle nous enferme l’Union Européenne.




L’UE : un échec économique, comme démocratique



Dans un résumé saisissant, un conseiller de Carter avait affirmé qu’« à travers la construction européenne, la France vise la réincarnation, l’Allemagne la rédemption ». Elle rappelle que « les gaullistes envisageaient au contraire une Europe intergouvernementale qui préserve la souveraineté des pays membres », et reprend une citation du Général de Gaulle d’Alain Peyrefitte : « Notre politique, c’est de réaliser l’union de l’Europe. Mais quelle Europe ? Il faut qu’elle soit véritablement européenne. Si elle n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intégrés, elle sera une histoire pour professionnels, limitée et sans avenir. Et ce sont les Américains qui en profiteront pour imposer leur hégémonie. L’Europe doit être in-dé-pen-dante ». Pour elle, aujourd’hui, « notre Europe est une Europe de l’argent et de l’ordre » placée sous la coupe des USA, via l’OTAN.


Elle rappelle que « les inventeurs de la monnaie unique anticipaient des crises inévitables, mais espéraient justement que pour y faire face, l’Europe finirait par n’avoir d’autre choix que de passer à l’étape fédérale. C’est le contraire qui s’est produit. Nos vieux pays ont divergé, des animosités sont nées, les peuples ont décroché depuis longtemps et l’on n’a jamais été si près de la dislocation ». Macron, en dernier des mohicans fédéralistes, en déduit paradoxalement « qu’il faut défendre avec la dernière énergie des idées cacochymes et des solutions d’avant-hier », mais il est seul parmi les dirigeants européens. Pour elle, « les nations réémergent intactes et recommencent à défendre leurs intérêts, parfois avec âpreté (…) En mars 2018 par exemple, et à l’initiative des Pays-Bas, huit pays du Nord ont signé un document conjoint pour s’opposer au projet de réformes porté par le président français ».



Elle rappelle que beaucoup d’économistes majeurs, comme Paul Krugman ou Joseph Stiglitz sont très critiques à l’égard de la monnaie unique, le premier parlant de « l’une des grandes catastrophes de l’histoire économique », le second y ayant consacré un livre « Comment la monnaie unique menace l’avenir de l’Europe », plaidant pour son démontage. Elle dénonce le rôle de la libre-circulation des capitaux, y compris avec les pays tiers, qui a permis l’importation de la crise des subprimes en 2008, et son association à la libre-circulation des personnes qui a créé un immense dumping social, le coût horaire de la main d’œuvre variant de 4,9 euros en Bulgarie à 42,5 au Danemark. Enfin, cela a provoqué une polarisation industrielle autour de l’Allemagne, qui a utilisé les pays proches comme sous-traitants à bas coûts, grâce à l’élargissement, et une désindustrialisation accélérée des périphéries.



Plus globalement, l’Union Européenne a soutenu « la modification d’un rapport de force entre le capital et le travail devenu excessivement favorable au premier et obligeant le second à céder », tout en notant « qu’entre le fort et le faible, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Pour elle, aujourd’hui, « l’Europe, c’est l’ordre. Un ordre conservateur, correspondant aux intérêts d’une certaine classe et dont on confie bien volontiers au monde allemand le soin d’aider à le maintenir ou à le rétablir ». Pire, elle voit dans l’UE, pour ses promoteurs, « une solution ingénieuse pour réduire la portée de la démocratie. (…) La possibilité de débattre de certaines questions leur a simplement été ôtée. Le traitement des questions économiques, notamment, a été expédié au niveau communautaire ».



Evoquant Christopher Lasch, elle dénonce « la coupure de plus ne plus prononcée entre le peuple et les élites. Une coupure tant économique et matérielle qu’éducative et intellectuelle, et dont résulte le repli sur eux-même des privilégiés (…) Ils ne servent plus l’intérêt général, dont ils ne conçoivent même plus qu’il pût exister, et qu’ils confondent souvent avec la poursuite pour chacun de son intérêt bien compris ». Elle dénonce la « jacquerie élitaire » post 2005, et le vote du traité de Lisbonne par des « élites nationales sécessionnistes » dont le but est de « bâtir un cadre dans lequel plus personne ne sait vraiment qui décide quoi, et où les citoyens ne savent plus à qui demander raison. On ne congédierait donc pas la démocratie au nom de l’Europe, mais on bâtirait l’Europe pour mieux abolir la démocratie ».



Elle conclut sur l’Europe actuelle : « en règle générale, un promeneur ayant choisi une route sans issue et arrivant au bout d’une impasse murée évite de se frapper la tête contre la paroi en espérant forcer le passage. Il rebrousse chemin pour emprunter l’autre voie. Et si « l’autre voie », pour l’Europe, n’était autre que celle imaginée au début des années 60 et dont les potentialités restent à explorer ? ». Par cela, elle entend le plan Fouchet, proposé par le Général de Gaulle. Mais pour elle, il faut « se libérer au préalable de la chape de plomb économico-juridique qui pèse sur les Etats membres, ne cesse de favoriser leur divergence et leur mise en concurrence, attise la méfiance réciproque des peuples plus qu’elle ne les rapproche et nuit à toute perspective sérieuse d’action commune ».



Merci donc à Coralie Delaume pour ce livre remarquable, que je vous recommande chaleureusement, une pièce majeure pour comprendre l’impasse dans laquelle l’UE est et nous met. Ce qui est effarant, c’est que cette construction monstrueuse et dysfonctionnelle, par des choix poussés par des français, est en train, à la fois, d’affaiblir la place de notre pays, mais aussi de distendre la réconciliation avec notre voisin, pour des chimères dont il est clair aujourd’hui qu’elles ne se réaliseront jamais.



Source : Coralie Delaume, « Le couple franco-allemand n’existe pas », Michalon

3 commentaires:

  1. "« les gaullistes envisageaient au contraire une Europe intergouvernementale qui préserve la souveraineté des pays membres »"

    C'est exactement le problème de l'UE, c'est qu'elle est intergouvernementale et pas fédérale, grâce en partie à ces ahuris de gaullistes.

    Seule une UE fédérale peut être plus fonctionnelle, ce que ne veulent pas les souverainistes.

    "« la coupure de plus ne plus prononcée entre le peuple et les élites. Une coupure tant économique et matérielle qu’éducative et intellectuelle, et dont résulte le repli sur eux-même des privilégiés (…) Ils ne servent plus l’intérêt général, dont ils ne conçoivent même plus qu’il pût exister, et qu’ils confondent souvent avec la poursuite pour chacun de son intérêt bien compris »"

    Ce genre de constat est tout autant applicable aux USA, GB, Chine, Russie... donc quelle est la valeur ajoutée d'un constat qui est applicable à quasiment tous les pays ?

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    1. Les Usa, la GB, la Russie ainsi que la Chine sont des nations. L'Europe ne sera jamais une nation. C'est là toute la différence...

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  2. Si le projet, c'est d'en revenir au plan Fouchet, c'est oublier que ce plan fut un échec que le général de Gaulle lui-même avait acté. Force est de constater que la France et l'Allemagne n'ont pas la même conception de l'Europe. Le tort du général de Gaulle, après l'échec du plan Fouchet, fut de ne pas prendre ses distances en sortant la France de la CEE.

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