Billet invité de Rodolphe DUMOUCH, Professeur agrégé de SVT
La crise sanitaire a révélé de nombreux dysfonctionnements en matière de santé publique. Songez, en seulement un an, au changement ahurissant de discours officiel et de réglementation sur les masques ; comparez entre mars 2020 et mars 2021. Quels invraisemblables revirements ! Le seul élément stable dans cette cinéscénie grotesque est la remarquable conservation de ce réflexe répressif à 135€, si caractéristique du cerveau reptilien. Toutefois, il est d’autres scandales, en matière de santé, qui sont, justement, éclipsés par la situation. Parmi ceux-ci, le rejet européen, depuis des lustres, d’une technique susceptible d’être une réponse efficace à la multiplication des résistances bactériennes aux antibiotiques, la phagothérapie.
Les bactéries sont aussi attaquées par des virus
Les virus sont des parasites obligatoires des cellules eucaryotes (les nôtres avec celles des végétaux et des champignons) mais aussi des cellules procaryotes (cellules sans noyaux des bactéries et les archées). Les virus s’attaquant aux procaryotes sont peu connus du grand public, ils sont pourtant de loin les plus nombreux. Ceux qui lysent les bactéries sont appelés « bactériophages » ou « phages » tout court. Ils foisonnent dans l’eau de mer et on avale des dizaines de milliards de particules phagiques quand on « boit la tasse ».
Ils sont absolument inoffensifs pour nous : ils sont incapables de s’attaquer à une cellule eucaryote, très différente d’une cellule bactérienne. Ils s’attaquent spécifiquement à une espèce ou un groupe étroit de bactérie. Ils sont peu capables de s’attaquer à d’autres espèces de bactéries. Il est donc impossible qu’ils arrivent à parasiter des organismes beaucoup plus éloignés.
Bactériophages adsorbés à la surface d’une bactérie (source libre Commons). Echelle : x 200.000. Une particule virale (capside + fibres caudales) mesure 0,1µm.
Un bémol : un parasite ménage toujours son hôte
Un parasite obligatoire qui tuerait totalement son hôte serait éliminé en détruisant sa seule ressource. C’est pourquoi la sélection naturelle retient, au fil du temps, les formes les moins virulentes. Ainsi, les maladies récentes sont les plus virulentes (SIDA, Ébola) alors que les maladies anciennes le sont beaucoup moins (rhume).
Les bactériophages ont ainsi développé une adaptation qui leur permet de ménager les bactéries dont ils dépendent et ne les exterminent jamais toutes. Ils ont deux types de cycles : les cycles lytiques (la bactérie éclate et répand les particules virales) et les cycles lysogéniques (le virus reste à l’état latent dans la bactérie).
Les bactériophages ne détruiront ainsi jamais totalement, à eux seuls, les pathogènes, mais ils constituent une aide précieuse qui permet au système immunitaire de reprendre le dessus.
Les bactériophages présentent cependant un avantage énorme sur les antibiotiques : ils co-évoluent avec leur hôte, ce qui dissipe la crainte d’apparition de résistances. A chaque fois qu’une parade contre le virus est sélectionnée chez la bactérie, des mutations apparues au hasard sont sélectionnées chez le virus et permettent une contre-parade.
Une utilisation thérapeutique depuis 1915
Ces bactériophages sont donc capables de détruire spécifiquement des bactéries pathogènes : salmonelles, streptocoques, staphylocoques, pseudomonas, pneumocoques… sans s’attaquer au microbiote de notre intestin, ces bactéries qui y vivent, nous aident à digérer et occupent l’espace en ne laissant pas la place aux bactéries dangereuses. Ces bactéries « amies », en particulier les ferments lactiques, sont détruits par les antibiotiques car ils ne sont pas spécifiques, contrairement aux phages.
On attribue la découverte des bactériophages à Félix d’Hérelle, un chercheur français qui a œuvré un temps en URSS et a obtenu des succès thérapeutiques, notamment en matière de dysenteries. Sa renommée a été éclipsée par celle de Flemming et sa découverte de la pénicilline.
Le chercheur a travaillé dans le Caucase, à Tbilissi, en 1933. Sa collaboration laissa en héritage un laboratoire spécialisé dans les bactériophages, Biochimpharm ® et un hôpital.
L’Occident vivait « l’âge d’or » des antibiotiques, jusque dans les années 1980, quand les résistances n’étaient pas encore rédhibitoires. L’URSS y avait peu accès, pour cause de Guerre Froide. Elle a donc continué à développer les bactériophages. Lors de la folie eltsinienne du début des années 1990, la Russie a jeté à la poubelle les phages au profit des antibiotiques, mais pas la Géorgie. Toutefois, des chercheurs russes ont sauvé des flacons de la destruction, ce qui a permis de les développer à nouveau en Russie dans les décennies suivantes. La principale firme russe qui développe les phages est Mikrogen ®.
Les phages en vente libre en Russie
Les phages sont en vente libre en Russie dans de nombreuses pharmacies. Le prix d’une boîte de 8 flacons est de l’ordre de 850₽, soit environ 9€.
Il n’y a, en effet, aucun risque, si ce n’est celui de prendre des phages qui ne sont pas spécifiques de son infection et donc de n’avoir aucun résultat.
Bactériophages spécifiques des staphylocoques vendus par Mikrogen. Ce traitement ne fonctionnera pas avec des streptocoques.
Toutefois, cette difficulté peut être contournée facilement en proposant des cocktails polyvalents contenant de nombreux bactériophages différents
Complexe polyvalent de bactériophages, pour les infections purulentes, produits par Mikrogen ® La production se fait à Nijni Novgorod, 44 Rue de Géorgie. Est-ce un hasard ?
L’Europe et la France freinent des quatre fers
Les bureaucraties européenne et française freinent des quatre fers depuis des lustres et ralentissent l’arrivée de ces traitements alternatifs aux antibiotiques, alors que des patients meurent d’infections multirésistantes. Certains patients ont pu s’offrir, pour 6000€ environ, un voyage médical à Tbilissi et être sauvés. Les bien-pensants appellent cela, avec mépris, du « tourisme » médical, sic. Ne doutons pas que, pour eux-mêmes, nos oligarques ne s’interdiraient pas ce « tourisme ».
La pression est si forte que Biochimpharm.ge refuse de vendre en Europe, pour « ne pas créer de problèmes diplomatiques avec l’Europe » m’ont-ils répondu dans un message privé à partir de leur page Facebook.
Pour quels motifs le développement des bactériophages est-il ralenti ? Les prétextes sont l’impossibilité de les faire rentrer dans une petite case bureaucratique des ARS et de la DGS : ce ne sont ni des molécules, ni des probiotiques et c’est « instable »… Or, c’est précisément grâce à cette instabilité que cette thérapie échappe aux résistances bactériennes !
Par ailleurs, il ne semble pas exister de réaction immunitaire de l’Homme contre les bactériophages – du moins je n’en trouve pas de trace dans les sources. On pourrait imaginer que des lymphocytes B mémoire se développent contre les phages et les rendent inefficaces par libération d’immunoglobulines en cas de deuxième utilisation… si ce n’est pas le cas, c’est probablement que les phages auront évolué entre temps et que leurs épitopes ne seront pas reconnus. Cette « instabilité » est donc la principale qualité de la phagothérapie !
Ils prennent aussi le prétexte de la grande spécificité des phages, feignant d’ignorer l’existence des cocktails polyvalents (ci-dessus) qu’on trouve en deux clics sur Internet pour peu qu’on sache lire en russe.
Les véritables motifs du blocage criminel des phagothérapies, on les devine facilement. Une vieille rancune géopolitique d’abord et, évidemment, l’intérêt des lobbies.
Toutefois, grâce à la ténacité et au courage de médecins hospitaliers ainsi que de médecins de ville, des essais sont développés en France. S’y ajoute la pression due à l’expédition de phages commandés sur le Net. En Europe de l’Est (Slovaquie, Autriche) des entreprises en livrent, souvent en réemballant les produits géorgiens, ce qui rend inéluctable leur arrivée à l’Ouest (on en deviendrait presque libre-échangiste, mais constatez comme les eurocrates ne prônent le libre-échange que lorsque ça les arrange).
Que d’années perdues, donc ! Il est d’ailleurs totalement absurde que l’Europe exige des essais médicaux alors que les bactériophages sont déjà éprouvés depuis des décennies dans l’ex-URSS. L’idéologie européiste rêve de faire table rase du passé et s’avère visiblement prête à risquer la vie des patients pour satisfaire son bas ressentiment russophobe.
Merci pour l'information. Ces bactériophages pourraient-ils être utilisés pour traiter le COVID?
RépondreSupprimerNon; rien à voir, le COVID n'est pas dû à une bactérie mais à un virus.
SupprimerCertes, mais dans les formes graves, n'y a-t-il pas une surinfection bactérienne?
SupprimerOui, dans ce cas, c'est effectivement envisageable.
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