dimanche 22 janvier 2023

Retraites : une réforme cynique, injuste et injustifiée

La mobilisation massive de jeudi pourra-t-elle, si elle se renforce, faire dérailler le projet de réforme des retraites de Macron ? C’est devenu possible. Le comportement hautain, superficiel et mensonger de l’exécutif pourrait bien produire une coagulation des luttes et un rassemblement des Français contre ce projet, tout aussi cynique, qu’injuste et largement injustifié financièrement.

 


Postures, mensonges et rationnel totalement bancal

 

Ce projet de réforme des retraites a trois objectifs pour Macron, et aucun d’eux n’est véritablement de défendre le modèle de retraite par répartition à la française, qui n’est pas menacé, comme l’a rappelé le président du COR ce jeudi. Le premier est une pure posture politicienne. Après avoir contribué à détruire le PS (qui pourrait bien s’être euthanasié définitivement avec la dernière élection contestée de son premier secrétaire), Macron utilise cette réforme pour achever LR. Déjà qu’à la présidentielle, sa candidate a fait moins de 5% et qu’à l’Assemblée Nationale, LR n’est plus que la troisième force d’opposition, soutenir le principal projet de réforme du président continue à le rapprocher du statut de satellite de la majorité. C’est pour cela que Macron a tenu compte des demandes d’adoucissement (64 ans au lieu de 65) de LR, dans un curieux échange où ils se montraient finalement légèrement plus sociaux que la majorité.

 

Macron veut aussi faire de cette réforme la marque de son second quinquennat, démontrer une forme de résolution à aller au bout de ses idées, comme un gamin qui voudrait montrer qu’il est le patron de la cour de récréation. Le voyage en Espagne, avec onze ministres, le jour de la grève, montre bien sa considération pour les manifestants. Il semble prêt à passer en force puisqu’il a une majorité à l’Assemblée pour faire voter son projet. Mais cette suffisance pourrait au contraire contribuer à mobiliser les Français contre la réforme. Son côté bravache n’avait pas freiné les Gilets Jaunes, bien au contraire : sa suffisance trop assurée des débuts avait contribué à la mobilisation... Dernier objectif, exprimé dans le plan communiqué à l’UE : faire des économies de manière à poursuivre les mesures totalement inefficaces de baisse des impôts des entreprises, qui représentent près de 200 milliards d’euros par an maintenant !

 


Mais le cynisme de Macron est clair pour des Français, à qui il suffit de revoir ses déclarations passées qui ne cessent de se contredire. En 2019, il critiquait l’idée de report de l’âge légal de départ à la retraite en soulignant la difficulté à trouver un emploi des seniors. Maintenant ce serait nécessaire… En 2022, entre les deux tours, il appelait au rassemblement en assurant « être pleinement conscient que cela ne vaudra pas soutien du projet que je porte ». Maintenant, il justifie la réforme par sa victoire… Et pour donner un vernis de justice sociale au projet, l’exécutif évoque des cas très particuliers qui y gagneraient, comme celui qui aurait gagné le SMIC toute sa vie. Mais les statistiques montrent que les conditions que donne le gouvernement ne concernent que 48 individus en tout... Idem sur la prise en compte des congés parentaux, qui touchera 40 fois moins de femmes que la majoration enfants… Bref, il est clair que cette réforme ne vise qu’à faire une forêt d’économies que les arbrisseaux de gains particuliers très isolés ne cachent pas.

 

Comme l’a remarquablement démontré Clément Viktorovitch face à Gabriel Attal, le discours de l’exécutif est profondément mensonger, utilisant deux formes de manipulation. D’abord, « l’hyperbole, une exagération manifeste de la réalité, qui vise à jouer sur les peurs des Français », en affirmant que notre système serait en danger. Pourtant, le rapport du COR réfute complètement ce discours. Deuxième procédé malhonnête, « le faux dilemme », quand le gouvernement prétend défendre le modèle de la retraite par répartition et que sans cette réforme, la seule issue serait de passer à un système par capitalisation. Naturellement, c’est encore faux. Il y a de multiples moyens de réduire le déficit anticipé de notre système (en excédent depuis deux ans) : une légère augmentation des cotisations, ou même une réduction des aides aux entreprises, qui ont doublé depuis 10 ans, sans que l’on puisse identifier un quelconque effet positif, entre un déficit commercial qui a lui aussi doublé, et des faillites qui sont à des plus hauts

 

C’est que, plus fondamentalement, il y a deux angles morts majeurs concernant le financement de notre modèle de retraite. D’abord, il faut rappeler que le gouvernement ne cesse de multiplier les dispositifs d’exonérations de cotisations (heures supplémentaires, primes pour les fonctionnaires, au lieu de salaire), fragilisant le financement de la Sécurité Sociale. Ensuite, le fait d’avoir un déficit commercial de 160 milliards d’euros en 2022, près de 6% de notre PIB, représente une faille économique béante. En simplifiant, c’est près de 6% du budget de la Sécurité Sociale qui est perdu par le déséquilibre de nos échanges. Notre base productive est, en simplifiant, 6% inférieure à notre consommation, du fait que nous achetons beaucoup plus à l’étranger qu’ils ne nous achètent. Le plus effarant est que la compétitivité est le premier objectif de ceux qui nous dirigent depuis 10 ans, avec les trois vagues de déconstruction de droit du travail, les aides aux entreprises, qui ont doublé, ou les réformes du chômage.

 

Malheureusement, l’échec de la politique de l’offre était parfaitement prévisible, et valide a contrario la vraie alternative qu’est le protectionnisme. Vouloir aujourd’hui allonger la durée de travail est ridicule alors que notre économie est structurellement largement déficitaire. Les emplois nécessaires pour permettre aux Français de travailler deux ans de plus n’existent pas aujourd’hui et l’échec complet des politiques menées depuis dix ans (il reste trois millions de chômeurs de catégorie A, et plus de 5 millions de demandeurs d’emplois de catégorie B et C) nous mène dans une grave impasse. La vérité, c’est que l’issue de cette réforme, ce sont des centaines de milliers de personnes de plus de 50 ans au chômage, et voyant leur pension réduite par leurs difficultés de carrière. La première des priorités devrait être une politique de l’emploi, par la protection de notre tissu productif et un cadre législatif plus favorable.

 

Bien sûr, les défenseurs de la réforme disent que le rapport entre le nombre d’actifs et de retraités se déteriore mais nous avons atteint un plateau aujourd’hui. Mais, outre le fait que le COR ne confirme pas cette analyse, un rééquilibrage de notre commerce extérieur seul serait largement suffisant, sans même parler d’un recul des trop nombreuses exonérations… Mieux, comme le pointait Hervé Le Bras cette semaine, les paramètres démographiques actuels en viennent même à rendre les prévisions du COR, pourtant guère alarmistes, possiblement trop pessimistes. En effet, la France a rejoint la cohorte des pays occidentaux dont l’espérance de vie plafonne, comme le montre bien Elucid, et pourrait même amorcer un déclin, comme le bilan 2022 de l’INSEE le montre. Or, les prévisions du COR sont basées sur une légère progression de l’espérance de vie. Elles pourraient donc surestimer les besoins de financement.

 

En outre, même si les retraités en France ont un meilleur pouvoir d’achat que dans bien des pays comparables, les appels à leur contribution ne sont pas forcément justes. En effet, plus qu’une France qui serait trop généreuse, ce sont surtout les autres pays qui ne le sont pas assez. Mieux, il ne faut pas oublier que notre démographie est bien moins déséquilibrée que celle des pays continentaux voisins. En outre, il faut aussi rappeler que depuis une dizaine d’années, l’augmentation des pensions ne suit pas l’inflation, et qu’en conséquence, les retraités ont perdu 10% de pouvoir d’achat. On peut considérer qu’entre cela et la hausse de la CSG décidée par Macron, ils ont finalement déjà apporté une contribution plus que significative à l’effort collectif. En outre, il ne faut pas oublier les conséquences révoltantes d’une réforme pour les plus pauvres, dont un quart des hommes ne parviennent pas à l’âge de 64 ans, et qui se retrouveraient à avoir cotisé toute une vie sans toucher un centime de retraite du fait du report.

 

Ce qui est assez effarant aussi, c’est le soutien d’une grande partie des retraités alors que les conséquences, néfastes, sont pour leur descendance. Bien sûr, ils peuvent y voir égoïstement un moyen de sécuriser leurs pensions, mais il est frappant que ceux qui ont été plutôt bien lotis défendent cette déconstruction des droits sociaux. Suivant sans doute son électorat cannois, David Lisnard croit bon de défendre le passage à une retraite par capitalisation, reprenant le discours daté et infirmé de Thatcher pour tenter d’exister à droite de Macron. Il ne semble même pas se rendre compte qu’une telle idée est absurde au moment où les marchés financiers sont au plus haut. A supposer que la capitalisation ait un intérêt, il faudrait a minima la démarrer à basses eaux sur les marchés financiers. Le faire maintenant serait le plus sûr moyen de produire des pensions dérisoires, tout en enrichissant le monde de la finance…

 

Bref, tout mon soutien pour le mouvement d’opposition au projet, aux grèves et aux manifestations. Ce projet n’est pas nécessaire. Il est injuste. Et il faut espérer que les manières détestables du président et de sa majorité poussent les Français à s’unir pour bloquer le pays si cela est nécessaire pour bloquer ce nouveau projet de déconstruction inutile de notre modèle social.

4 commentaires:

  1. Merci pour cet article. L'argumentation sur cette réforme politicienne est éclairante.

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  2. Les considérations sur le niveau de vie des retraités méritent pourtant d'être abordées. C'est un fait que les retraités affichent un niveau de vie supérieur à celui des actifs (il y a de nombreuses études en ce sens).

    L'augmentation de l'âge de départ en retraite n'est pas une mauvaise mesure en soi. Elle est nécessaire, compte tenu des évolutions démographiques, même si ça ne fait pas plaisir.

    Le problème, avec cette réforme, c'est qu'elle consiste à demander aux actifs de faire encore des efforts pour financer les pensions de gens qui ont un niveau de vie supérieur.

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  3. Merci au premier anonyme.

    Le niveau de vie des retraités est a priori supérieur, mais il faut souligner qu'il baisse significativement depuis plusieurs années. Je veux bien un lien vers une étude détaillée du niveau de vie pour bien comprendre ce que cela signifie car il y a aussi beaucoup de très petites retraites...

    Je ne suis pas sûr que l'évolution démographique le justifie encore. L'espérance de vie plafonne, la mortalité a fortement augmenté. C'est peut-être la raison des excédents des deux dernières années et cela pourrait changer la donne dans les années à venir.

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  4. A l'anonyme qui trouve que le niveau de vie des retraités est supérieur à celui des actifs.
    Il me parait normal et justifié qu'il en soit ainsi, du moment que le retraité a épargné toute sa vie et a pu se constituer un petit capital qui lui paie des revenus fonciers ou financiers.
    L'évolution démographique ne justifie en rien une augmentation de l'âge de départ à la retraite. Si la médecine permet de mieux soigner certaines maladies, et donc d'éviter nombre de morts prématurées, ce qui a pour effet de rehausser la durée moyenne de vie, ceci ne change rien au fait qu'après 60 ans ni vous ni moi ne pouvons plus faire certains métiers, tout comme c'était le cas il y a 100 ans.
    Certes, 62 ans ou 65 ans comme dans nombre de pays européens ne changerait pas grande chose, si la France avait un taux d'emploi des sexagénaires comparable à celui de ces autres pays européens.
    Mais la réalité est que ces sexagénaires, obligés à travailler pour des employeurs qui n'en veulent pas, vont connaître une chute vertigineuse de leur niveau de vie et via les décotes et proratisations, de leurs retraites.
    Cette reforme aurait dû être faite seulement après avoir aligné le taux d'emploi après 62 ans à celui des autres pays européens.

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