jeudi 25 octobre 2012

Affaire Kerviel : un verdict politique ?


Hier, la cour d’appel de Paris a confirmé le jugement de première instance d’il y a deux ans à l’encontre de Jérôme Kerviel. L’ancien trader de la Société Générale est donc condamné à cinq ans de prison dont trois fermes et à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts, à moins d’un pourvoi en cassation.

Un jugement à sens unique

Bien sûr, il est totalement normal que Jérôme Kerviel écope d’une peine, et même d’une peine très sévère. Il a falisifié des documents pour enfreindre les règles de son entreprise et lui a fait prendre, in fine, des risques colossaux puisqu’il aurait tout simplement pu la mener à la faillite en jouant sur des sommes équivalentes au double des fonds propres de la banque. Il est normal qu’il écope d’une peine sévère, de même que les banquiers des caisses d’épargne il y a 20 ans aux Etats-Unis.

Comme l’écrivait The Economist il y a deux ans : « la sentence est dure (…) La somme dénie son argument selon lequel la banque partage une partie de la responsabilité de ses placements parce qu’elle n’avait pas agi de la sorte quand ses positions étaient positives. Heureusement pour la Société Générale, cela rend plus difficile pour ses actionnaires de la poursuivre ». L’hebdomadaire dénonçait « son faible contrôle qui a permis à un employé relativement jeune de faire des paris supérieurs en montant à la capitalisation de la banque » et évoquait une amende pour manque de suivi

En effet, le fait de le condamner (virtuellement) à payer l’intégralité des sommes qu’il aurait perdues revient de facto à lui attribuer 100% de la responsabilité. Sans nier son rôle (qui doit être sévèrement condamné), il est un peu fort de café de paraître exonérer totalement la banque de toute responsabilité dans cette affaire. Certes, il était sans doute habile, mais il était seul dans un établissement de plusieurs dizaines de milliers de salariés, dont certains étaient chargés de le surveiller.

Une triple responsabilité niée

En fait, ce jugement a une dimension politique un peu trop ignorée. Ce faisant, les juges valident une lecture franchement néolibérale de l’histoire où ce sont les mauvais comportements individuels qui expliqueraient seuls la crise et les excès de la finance. Ce faisant, ils exonèrent la banque de toute responsabilité, comme si un établissement de plusieurs dizaines de milliers de salariés n’auraient pas pu mettre en place une surveillance plus adaptée des prises de position de ses traders.

Quelque part, ils exonèrent également les Etats et les organismes de régulation de toute faute. Dans ce jugement, il n’y a qu’un coupable : Jérôme Kerviel. Bien sûr, le trader de la Société Générale est coupable. Mais n’est-il pas illusoire de sembler lui attribuer 100% de la responsabiltié sans remettre en question le mode de fonctionnement des banques et leur système de surveillance, ou plus largement un système financier qui pousse à des comportements exubérants et irrationnels, pour reprendre les mots de l’ancien président de la Fed, Alan Greenspan ?

Jérôme Kerviel n’est pas le seul coupable. Sans forcément la condamner, la cour aurait au moins pu souligner la part de responsabilité de la Société Générale ou souligner les carences du système de régulation financière sur le contrôle du risque. Mais en tout cas, on peut se demander s’il n’est pas profondément injuste de faire d’un trader isolé le bouc-émissaire d’un système qui le dépassait en partie et qui le poussait aussi à des comportements abusifs.

Bien sûr, il fallait sanctionner Jérôme Kerviel mais lui faire porter l’intégralité du chapeau dans cette affaire me semble profondément injuste. La banque qui l’employait a failli dans son système de surveillance, tout comme l’Etat dans les règles qu’il a instaurées. Mais selon que vous soyez puissants ou pas

20 commentaires:

  1. Je n'ai pas confiance dans la Justice française. Et c'est grave.

    Tout ce qu'ils vont gagner avec leurs foutaises, c'est que les gens rejettent totalement le système...

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    1. Robert Lohengrien25 octobre 2012 à 13:55

      Il est absoluement nécessaire de prendre dans tous les cas un bon avocat, connu des magistrats. Sans un avovat habile, on est toujours dans une position de faiblesse, ce qui incite les magistrats à se faciliter la chose.

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  2. @ LP,

    Très juste sur la lecture libérale qui a infusé toutes les strates de la société et jusque dans les rendus des jugements (ce qui permet aussi d'exonérer la banque à bon compte comme vous le rappelez à juste titre, et derrière elle l' "institution bancaire").

    Je n'y vois que la preuve une nouvelle fois d'un défaut de régulation. Qui aurait permis la mise en place de règles limitant le cas échéant la collusion malsaine et le possible conflit d'intérêt. Et cette condition ne peut être réalisé que de part une autorité publique, qui offre par définition la plus grande garantie d'indépendance. Il est un besoin urgent de "séculariser" (le terme est à la mode) les instances de contrôle et de régulation du pouvoir économique, bancaire et financier.

    Il faut aussi revenir à la question de l'aléa moral, qui est lorsque l'on y réfléchit une entreprise de dérésponsabilisation généralisée par les structures, pour mieux incriminer les (ou des) individus pris isolément. Un grossier stratagème pour dédouaner un système défaillant. Une défausse intellectuelle et... une faillite morale achevée.

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  3. L'aléa moral est donc dorénavant le fameux (et non moins insupportablement contradictoire) argument de la dérésponsabilisation convoqué par les tenants de l'idéologie ultra-libérale pour justifier des dérives, des manquements, des négligences et pourquoi pas des fraudes, opérés par les agents économiques, singulièrement durant la dernière décennie précédant la crise de 2008.

    Pour prendre une image tout à fait parlante, invoquer par exemple la deresponsabilisation en miroir de l'obligation des États qui leur est faite d'intervenir en cas de risque systémique, c'est exactement – à la lettre - que de considérer, avec un cynisme, une inconséquence et en définitive, une irresponsabilité effroyablement puérile, que vous refusez désormais de régler vos traites ou votre loyer sous prétexte que vos parents se sont portés caution personnelle !

    Cela octroierait en quelque sorte un nouveau droit: celui de faire strictement n'importe quoi. Avec en conscience la volonté d'abolir purement toute règles éthiques.

    De surcroît par le fait d'individus qui – dans le discours – érigent la liberté et la responsabilité individuelle en nouvelle religion planétaire ! C'est une vaste et pitoyable farce. En fin de compte, ce contre pied est certainement la preuve la plus éclatante de l'irréalité, de l'immatérialité du postulat ultra-libéral.

    Par conséquent il devient nécessaire de comprendre le pourquoi et le comment de tels comportements qui ont saisi l'ensemble des acteurs de la sphère économique. Et on en revient, en ce qui me concerne, aux motivations, profondément déraisonnables et irrationnelles, tel que le désir morbide de liquidité (Weber), la pulsion d'accumulation du capital, les phénomènes de panurgisme, ect..., incompatibles de facto avec l'émergence d'un ordre prétendument spontané, rationnel et équilibré. Ce que je veux dire : le marché ne peut avoir d'évolution rationnelle stable si ses acteurs tendent à ne pas l'être eux-même. Cela conduit à une nécessaire régulation exogène du fait et de la responsabilité d'institutions étatiques les plus à même d'offrir une garantie d'indépendance qui puisse contre-balancer les tendances nuisibles apparaissant au sein du marché.

    Si ce n'est fait, le marché fut, est et demeurera à l'avenir un casino erratique où la martingale se dispute non pas à l'anarchie, mais au nihilisme. Avec les conséquences toujours plus désastreuses que cela implique aujourd'hui, et impliquera demain.

    Plus fondamentalement, il convient de se poser la question si la prémisse de l'idéologie libérale protestante - à savoir que le penchant égoïste des individus porte chacun à se conduire de manière qui sera bénéfique collectivement pour la société - n'est elle pas tout simplement une aberration cruellement démentie par l'actualité ? Et qui malgré tout ne peut être remis en cause pour les raisons précitées ?

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  4. Condamner uniquement Kerviel , c'est montrer à quelle point la Justice fait preuve de superficialité et d'amateursieme

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  5. Julien

    Penser que le libéralisme correspond à la déresponsabilisation des entreprises est un contresens total, puisqu'il promeut au contraire leur sanction voire leur faillite si elles fautent.

    Dans ce cas, on est clairement dans un capitalisme de connivence où l'oligarchie politique, juridique et économique, la tête pourrie du poisson, se couvre et fait tomber la totalité de la faute sur un petit, le bouc émissaire.

    C'est finalement pas très éloigné du capitalisme d'état soviétique où décident ceux qui sont membres du parti.

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    1. Vous m'auriez mal lu car ce n'est pas ce que je dis.

      je dis que les libéraux, et le corpus idéologique libéral, en appellent de manière chimérique à une responsabilisation morale et à outrance des individus, les fameuse liberté et responsabilité individuelles, comprises ici au sens quasi transcendantal conformément à la vision éminemment religieuse de la prédestination calviniste.

      Cela en niant les ressorts profondément collectifs de la morale, et le rôle surtout déterminant des structures au sein d'un système donné qui permettent justement de réguler et de tempérer le cas échéant des phénomènes prévisibles de déresponsabilisation.

      Or le libéralisme récuse sinon la notion, au moins la prépondérance des structures, de la même et symétrique manière qu'il s'oppose à l'Etat chargé de les mettre en oeuvre, justement au nom d'une responsabilité individuelle qui serait prédominante. C'est une mystification.

      Preuve absolu en est l'aléa moral, qui infirme totalement cette perception puisque poussant justement, par l'absence de structures (de règles, ou de règlements) ad hoc, à la deresponsabilisation généralisée. Ce qui ruine le postulat selon lequel l'homme serait moralement responsable indépendamment des structures dans lequel il opère.

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  6. Dans un système régulé, les entreprises sont comptables de leurs réussites mais aussi de leurs erreurs. Dans le domaine industriel par exemple, un fabricant automobile qui met une voiture défaillante sur le marché verra sa responsabilité juridique engagée bien avant celles de l'ouvrier, du technicien ou de l'ingénieur concepteur.

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  7. Le malheur, c'est justement que la loi a été CORRECTEMENT appliquée: Kerviel a reconnu la fraude, donc le droit s'applique. Dans ce cas précis, le verdict aurait aussi bien pu être le même (montant à part) si Kerviel avait fraudé la comptabilité d'une usine de boîtes de conserve!!!

    De plus, les manquements AHURISSANTS de la SocGen ne sont pas légalement répréhensibles: si l'incompétence et l'irresponsabilité étaient des délits, nos prisons seraient pleines à craquer!!! Toutefois, je pense qu'avec une telle bévue, les dirigeants de la SocGen auraient dû être bannis à vie du métier de la banque.

    Dans ce genre de fraude, est-ce que l'employeur doit être pénalement solidaire de son employé? Un peu comme un directeur de rédaction d'un journal qui peut être accusé de diffamation pour un article rédigé par un de ses pigistes.

    Il me semble qu'il y a du travail LEGAL (et non réglementaire) à faire. Je n'ai pas la réponse...

    CVT

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  8. De toute façon la SocGen a payé pour son incompétence ... puisque jamais Kerviel ne remboursera près de 5 milliards: inutile de dépenser du temps et de l'énergie à faire un nouveau procès.
    Ce cas plaide pour une séparation des banques en trois entités prônées par Allais (et ses "disciples")
    - Banques de dépôts (Compagnies de Sécurité Monétaire)
    - Banques de prêts (intermédiaires entre épargnants et emprunteurs)
    - Banques d'investissements (qui doivent utiliser leurs fonds propres ou des prêts dédiés pour tout ce qui est spéculatif)

    Ceci impose de passer au SMART ( http://ecosocietal.wordpress.com/2012/10/02/smart/ et lien sur mon nom )

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  9. Au sujet de Nantes, comment se fait il que NDA n'en parle pas ou plus tandis que ça lacrymogénise à tour de bras, tout ça parce que Ayrault veut passer en force à la postérité ?

    "Les aéroports surdimensionnés qui fonctionnent avec un trafic insuffisant sont légion en Espagne et dans les pays du Maghreb. Mais il en existe en France aussi, par exemple celui d’Angers, qui fonctionne à 15 % de sa capacité, à 36 minutes de Nantes en TGV. Quant à l’aéroport actuel, il n’est pas saturé. Oui, il engendre des nuisances sonores. Mais les opposants au projet proposent une très raisonnable réorientation de la piste de l’aéroport actuel, supprimant le survol de Nantes."

    http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2012/10/24/l%E2%80%99ayrautport-de-nddl-ou-la-destructrice-folie-des-grandeurs-des-barons-locaux/

    http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/files/etudenddl.pdf

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  10. Robert Lohengrien25 octobre 2012 à 13:51

    Kerviel aurait dû voir un psy avant et pendant son procès. Sa défense était extrêment maladroite, obsessionnellement défensive, voire névrotique. Il s'est enfoncé, face aux juges, dans des situation qu'il aurait pu éviter, avec un peu d'intelligence.
    Il est clair que la banque a su exploiter ses faiblesses.

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  11. A-J Holbecq dit "De toute façon la SocGen a payé pour son incompétence ... puisque jamais Kerviel ne remboursera près de 5 milliards". 5 milliards ont été passée en pertes et profits. C'est l'Etat qui paye le manque de rentrées fiscales. Et cela a peut-être aussi permis de masquer certains actifs toxiques ... Une chose est sûre, la présidente de la Cour d'appel devrait bientôt avoir sa Légion d'Honneur.
    Justice de Ripoublique Bananière.

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  12. @ Robert & Abd Salam

    Il semblerait en effet que la défense de Jérôme Kerviel n'ait pas été des plus efficaces...

    @ Julien

    En effet, l'aléa moral est actuellement colossal. The Economist affirme cette semaine que les grandes banques (too big to fail) ont une grosse prime sur le marché du fait de leur situation. C'est totalement inacceptable.

    En outre, il faut remettre la finance à sa place.

    @ Olaf

    Oui, mais ce que décrit Julien, ce sont justement les travers du système actuel.

    @ CVT

    Je pense que la responsabilité de la SG est tout de même un minimum engagé dans le sens où elle aurait du avoir un système de contrôle adapté pour éviter ce genre de débordements.

    @ A-J H

    Pas faux pour la SG, sur les 5 Mds, mais je pense que condamner Kerviel à 5 Mds est ubuesque. D'accord sur la réforme de la finance.

    @ Anonyme

    C'est juste. Du fait des reports, en réalité, la SG n'aurait pas perdu 5 Mds, mais moins...

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  13. D'un autre côté, si la SG démontre qu'elle applique les mêmes procédures de contrôle que les autres banques et qui doivent je suppose correspondre à des standards normalisés comme c'est le cas dans d'autres activité, que peut lui reprocher le juge ?

    Ce sont les standards qui sont à incriminer dans ce cas.

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  14. Le sujet est assez technique mais il est vrai que ce verdict donne une très désagréable impression.
    Si au moins il n'y avait pas eu tous ces sauvetages de banques sans conditions et une BCE entièrement à leur service on pourrait y réfléchir plus sereinement.
    Parce-que là tout ce dont on a envie c'est de les nationaliser en expropriant l'actionnaire majoritaire sans indemnités. Bien peu de gens vont pleurer pour des gros actionnaires de ces entreprises qui ne remplissent même plus leur rôle de financement de l'économie.

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  15. @LP,

    Si c'est un verdict politique cela veut dire que la Banque fait la loi.

    Qui sont ceux à la tête des pays les plus endettés d'Europe ?

    Que fait-on au juste, en Islande, en ce moment ?

    http://www.lefigaro.fr/international/2012/10/22/01003-20121022ARTFIG00495-islande-une-constitution-par-et-pour-les-citoyens.php

    Tout va très bien... mais tout cela ne va pas durer longtemps...

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  16. Les juges ne font jamais partie des gens courageux pour défier les puissants, ils savent bien se coucher devant eux. Il ne faut jamais oublier qu'ils ont en quasi totalité prêté serment à Pétain en 1940!

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  17. Nous ne pouvons accuser les juges dans cette affaire je dirais que les juges sont aussi des lampistes ils appliquent la loi ;donc s'en prendre a ceux qui les font et que nous élisons .

    Et ce n'est pas fini Kerviel peut se pourvoir en cassassion , sinon il ira jouer les héros en prison

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  18. @ Olaf et Patrice

    Clairement, il y a une responsabilité de ceux qui font les règles et les lois, à savoir les politiques, comme je l'indique dans le papier. Malgré tout, il me semble surprenant de totalement exonérer la SG de toute responsabilité dans ces procédures de contrôle (sachant que tout n'est pas codifié et réglementé à mon avis).

    @ TeoNeo

    Bien d'accord

    @ Jaures

    C'est justement parce que tout va mal que tout va finir par changer...

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