jeudi 27 mars 2014

De « l’annexion de la Crimée » et du nouvel ordre mondial


Il faut vraiment lire la tribune hallucinante de The Economist sur la Crimée et le nouvel ordre mondial. Si certains tombent dans une russolâtrie excessive, ici, la bible des néolibérales tombe dans une russophobie radicale et un occidentalisme quasiment xénophobe et sans nuance.


Réécriture de l’histoire ukrainienne

Le traitement de l’information concernant l’Ukraine et la Crimée est hallucinant. Le rattachement de la Crimée à la Russie est qualifié d’annexion, terme qui semble bien impropre, étant donné que les habitants de l’ancienne province ukrainienne se sont exprimés de manière très claire en faveur de ce rattachement dans un référendum. Bien sûr, les opposants soulignent que les conditions du référendum n’étaient pas optimales, avec un délai trop court, la présence de milices et pointent des taux de participation extrêmement élevés à Sébastopol, qui démontreraient des fraudes massives.

Mais ils oublient de rappeler que pas une organisation sérieuse n’a remis en cause les conditions globales du scrutin, le fait que 96% des votants (avec 83% de participation, qui plus est) se sont prononcés en faveur du rattachement et que tous les témoignages semblent bien indiquer qu’une large majorité de la population souhaitait ce changement. Du coup, comment ne pas trouver malhonnêtes ceux qui qualifient le rattachement de la Crimée d’annexion, certains osant même comparer Poutine à Hitler, ou ceux qui disent que la population a voté avec un pistolet sur la tempe.

Bien sûr, Vladimir Poutine n’est pas un enfant de chœur. Il n’est pas pour moi un modèle politique du fait de ses pratiques démocratiques (j’ai même reproché à Marine Le Pen d’avoir dit qu’elle l’admirait). Mais si je ne suis pas un russolâtre, je ne suis pas un russophobe non plus. Et Jacques Sapir a bien remis à leur place ceux qui contestent la légalité du référendum, sur son blog, puis sur France 2. J’ai l’impression que dans cette affaire, trop de commentateurs prennent un parti inconsidéré en faveur des ukrainiens russophobes du seul fait qu’ils penchent vers l’Europe, oubliant même que le nouveau gouvernement comporte des personnalités douteuses, ce que rappelle Olivier Berruyer.

Un occidentalisme à courte vue

Mais la tribune de The Economist a l’autre intérêt de révéler un soutien benêt à l’impérialisme étasunien, habillé en un occidentalisme vaguement humaniste. Comment ce journal peut-il écrire : «  en brandissant des rapports fabriqués de facistes ukrainiens menaçant la Crimée, il (Poutine) a défié le principe qu’une intervention extérieure doit être un dernier ressort en cas d’une véritable souffrance » sans même dire que sur ce sujet, les Etats-Unis pourraient balayer devant leur porte, entre l’expédition hâtive et vengeuse en Afghanistan puis celle, basée sur des mensonges, en Irak ?

Comment sérieusement vanter l’ordre mondial mis en place par les Etats-Unis à la fin de la guerre froide et dénoncer « le nouvel ordre de Poutine, construit sur la revanche, le mépris téméraire pour la vérité et le fait de tourner la loi pour faire tout ce qui convient pour ceux qui sont au pouvoir » alors que toutes les critiques faites à la Russie pourraient être faites aux dernières administrations au pouvoir à Washington ? Et The Economist n’a même pas la décence de souligner ces paradoxes pourtant trop évidents. Pire, comment de ne pas voir dans ces papiers une adhésion sans nuance à un  impéralisme étasunien pas forcément plus civilisé et moins tourné vers son seul intérêt ?

Le traitement de l’information sur l’Ukraine est calamiteux. On constate trop souvent un soutien amnésique et sans nuance à toute personne favorable à un rapprochement avec l’UE et un éloignement de la Russie et une critique systématique des autres. Surprise, la réalité est un peu plus subtile…

16 commentaires:

  1. Pas de surprise dans tout cela. Il est plus important de signaler l'excellent travail d'Olivier Berruyer de démystification de la crise ukrainienne sur "les crises.fr" et, comme d'habitude, l'excellent travail d'analyse économique, politique et géopolitique sur "russeurope@hypothèses.org".

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  2. "Il faut vraiment lire la tribune hallucinante de The Economist sur la Crimée et le nouvel ordre mondial". Euh, je dirais plutot "Il faut vraiment arreter de lire The Economist" !

    Talisker.

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  3. Ou alors juste leurs hors-series "Le monde en ..." pour pouvoir se marrer un an plus tard (je me rappelle de leur prophetie en 2010 sur la victorie de l'UMP dans au moins 10 regions : Sarkozy, candidat de "centre-droit" (sic) ne pouvait pas etre impopulaire...)

    Talisker.

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  4. http://www.lefigaro.fr/international/2014/03/27/01003-20140327ARTFIG00239-pour-des-deputes-russes-la-victoire-contre-napoleon-doit-devenir-fete-nationale.php

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    1. Les Français sont plus gentils avec les Autrichiens : certes, le PS (et anciennement le RPF) est installé rue de Solférino, mais ce n'est pas fête nationale.

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  5. Une propagande officielle comparable à un rouleau compresseur dont la puissance, la position dominante et l'omniprésence expliquent pourquoi il est si difficile de faire "bouger les lignes" politiques, notamment sur l'UE.

    Demos

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  6. L'objectif de toute cette propagande médiatique destinée à créer artificiellement le sentiment d'une menace russe est de justifier la perpétuation et le renforcement de l'OTAN en Europe.

    Le titre en "une" du Monde d'il y a quatre jours était éloquent "Obama vient rassurer les Européens". C'est plutôt sa politique d'isolement de la Russie qui nous inquiète...

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  7. La prochaine étape pourrait être le racisme, l'occident blanc. Avec le racisme allemand et notre lâcheté, cela est inquiétant. Je sais que les Américains ont des noirs et des latins chez eux mais ^l'être humain n'est pas à une contradiction prêt.
    jard
    jard

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  8. si je partage complètement votre conclusion, j’ai quelques précisions sur le « referendum »

    1) l’homme politique Aksionov, qui s'est proclamé premier ministre de Crimée (après que le Parlement de Crimée a été pris d'assaut par des inconnus armés) le 27 février, est un leader de la partie Russie Unie et aux dernières élections parlementaires de Crimée en 2010 il a fait 4% soit 3 élus sur 100 au parlement.

    Si le gouvernement « temporaire » à Kiev n’est peut être pas représentatif de la volonté de l’ensemble du peuple ukrainien, le gouvernement auto-procalmé de Crimée ne l’est assurément pas.

    2) Les listes d’électeurs sont centralisées à Kiev. Pour ce referendum criméens Kiev a bloqué accès aux listes. On ne sait donc pas à partir de quelles listes ce referendum a été fait. à partir de là n’importe quel taux ne veut absolument rien dire. Les sondages nationaux en début de l’année 2014 montraient le taux de 41% d’adhérents à l’idée d’unification avec la Russie.

    3) « les ukrainiens russophobes » - et d’un c’est faux et de deux c’est insultant pour les ukrainiens.

    Si avant une partie des ukrainiens voyaient son avenir économique plus avec l’Europe qu’avec la Russie - cela ne remettait pas en cause les relations d’amitié entre les peuples (à condition que l’un respecte l’autre et c’est pas tjrs le cas)

    Si aujourd’hui il y a une vraie « haine » en Ukraine envers la Russie, c’est à cause de l’agression et l’humiliation que les ukrainiens subissent en Russie : outre l’agression directe militaire, il y a un lynchage médiatique odieux et sans précédent depuis des mois sur tous les médias russes envers les ukrainiens.
    Il faut le voir au quotidien pour le comprendre. C’est sur qu’il va se passer du temps avant que les ukrainiens digèrent et pardonnent.

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    1. Bien d'accord avec vous. Merci pour ces salutaires precisions. L'imperialisme russe n'est pas plus louable que l'imperialisme americain.

      Talisker.

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    2. Novembre 2013 : http://www.youtube.com/watch?v=kVEC435gGL4#t=1m (voir le début de la vidéo pour la date)

      "Les sales moscovites à la potence", "qui ne saute pas est un sale moscovite"...

      Belle preuve d'amitié en effet..

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    3. pour votre culture générale, mot moskal vient de soldats moscovites venus envahir l'Ukraine (avant que moscovie ne devient russie), le mot moskal veut dire un russe envahisseur, oppresseur, persécuteur.

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    4. Merci. (http://www.urbandictionary.com/define.php?term=Moskal et http://en.wikipedia.org/wiki/Moskal)

      Donc c'est bien une insulte envers au moins les russes (et peut-être ceux considérés comme).

      Donc il existait des "ukrainiens russophobes" avant l'épisode Maïdan et Crimée. Et donc ce terme n'est pas "faux".
      Et ça l'est d'autant plus j'imagine depuis quelques semaines.

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    5. On peut savoir quel traitement subissent les ukrainiens de Russie ?
      J'espere pour eux que c'est comme les persécutions fantasmées des Tatars...
      Dire qu'il n'y a pas de russophobie en ukraine est quand même exagéré. Il y'a quand même nombre d’extrémistes parmi les euromaidans et ces gens là ont été légitimés par l'UE et notre gouvernement PS qui nous à tant fait la leçon sur le "vivre ensemble"...

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    6. @bip
      je vais pas pour faire un cours de l'histoire, mais si vous avez envie de comprendre les tensions culturelles, prenez la peine d'étudier l'histoire de l'Ukraine depuis 850 et jusqu'à au moins 1960, vous allez peut être mieux comprendre la différence entre ce vous pensez de la "russophobie" et les vrais sentiments qu'ont les ukrainiens envers les russes et pourquoi

      @teoneo, vous parlez de quelle époque? parce que si pour vous la déportation des 183 000 tatars en 44 est un fantasme, je peux rien pour vous.
      pour la méga propagande anti-ukrainienne, il suffit de regarder les medias russes, lire les sondages pour comprendre. 70% de russes soutiendrait poutine si il y avait une intervention militaire en Ukraine. l'union des écrivains et artistes a fait une lettre de soutien à poutine. dans quel autre pays normal l'élite intellectuelle soutient l'intervention militaire? tout le pays est paralysé par la peur des fascistes imaginaires qui attaquent. on fait des amalgames entre nationaliste et fasciste et le tour est joué.
      et qui sont les extrémistes et combien ils sont? extrémistes en quoi?

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  9. @ Anonyme

    Olivier Berruyer apporte beaucoup de crédibilité, tout comme Jacques Sapir

    @ Talisker

    Relisez Sun Tzu : il faut connaître son ennemi

    @ Marc-Antoine

    Bien vu !

    @ Jard

    D’accord.

    @ Anonyme

    Merci pour ces précisions

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