jeudi 6 février 2014

Argentine, Vénézuela, Russie : entre modèle et contre-modèle


Parler de ces trois pays est compliqué. D’une part, certains les présentent comme des (quasi) dictatures gérées en dépit du bon sens et ne devant leur salut qu’à leurs ressources naturelles. D’autres les présentent comme des modèles et refusent toute critique. La vérité est sans doute entre les deux.



Ce qu’ils font de bien

Dans son édition du 1er février, The Economist consacre un dossier à charge contre Poutine et un article sur l’Argentine et le Vénézuela, « les économies les plus faibles (d’Amérique Latine) au point de rupture ». Mais l’hebdomadaire néolibéral y fait encore preuve d’une partialité assez effarante et bien peu factuelle. Attribuer la réussite de l’Argentine au soja est ridicule, comme le montre Olivier Berruyer dans un dossier absolument remarquable sur le pays : le PIB réel par habitant a augmenté de 50% en 11 ans et l’agriculture pèse seulement 10% du PIB. Si le soja apporte des devises, il n’explique qu’une petite part de la croissance, bien plus basée sur l’industrie du fait d’une vraie polique protectionniste.



C’est d’ailleurs une grande réussite de l’Argentine que d’avoir réussi à relancer son économie après avoir commis l’imprudence de s’arrimer au dollar, en protégeant son marché et ses industriels de l’anarchie commerciale, à la manière des pays asiatiques. Mieux, le pays a réussi à nettement réduire les inégalités, le chômage et la pauvreté. C’est d’ailleurs un aspect important de la réussite du Vénézuela d’Hugo Chavez, qu’il doit en partie à la manne pétrolière, mais en partie seulement car dans beaucoup de pays qui sont dans la même situation, cette manne tend souvent à ne profiter qu’à une toute petite minorité (les oligarques et les multinationales qui exploitent avantageusement les ressources).

En fait, et c’est aussi le point commun avec la Russie, ces pays défendent leur intérêt national en refusant la dictature intellectuelle néolibérale et sans se soucier de la bien-pensance occidentale qui ne semble pas toujours appliquée avec la même rigueur pour un pays comme l’Arabie Saoudite, où pourtant, il n’y a ni démocratie, ni droits des femmes, qui ne peuvent même pas conduire… On peut d’ailleurs noter qu’il n’y a pas que les oligarques qui tirent profit de la manne des matières premières en Russie, comme le montre le redressement spectaculaire de sa démographie depuis la fin des années 1990, avec 50% de naissances en plus et un taux de fécondité passé de 1,2 en 2000 à plus de 1,7 !

Ce qu’ils font de moins bien

Mais reconnaître les réussites de ces pays ne doit pas conduire à refuser de voir leurs limites, Les dernières élections en Russie (et pas seulement les dernières) démontrent que le pays n’est pas une démocratie qui fonctionne bien. De même, on peut dire que les dernières élections législatives au Vénézuela ont montré un recul de la pratique démocratique, comme le soutient Vicente Diaz, le seul membre indépendant de la Commission Nationale Electorale. Malheureusement, il faut bien reconnaître que le PS et l’UMP n’ont strictement aucune leçons à donner sur ce sujet, étant données les fraudes caractérisées pour l’élection du premier secrétaire du PS en 2008, puis du président de l’UMP en 2012.



Mais c’est surtout en matière économique que les faiblesses apparaissent de plus en plus aujourd’hui. Il faut bien reconnaître que la situation à Caracas se dégrade fortement, avec une inflation au-delà de 50%, des réserves monétaires qui fondent pour défendre une parité ridiculement élevé du peso et des manques dans l’économie, du fait, en partie, d’un manque de confiance dans le secteur privé. La situation de l’Argentine est moins préoccupante, malgré la dévaluation du peso, mais l’inflation, dont le chiffre officiel est trafiqué, signe rarement positif, a dépassé le stade endémique de 20% par an. Bref, les trois pays affichent tout de même des déséquilibres économiques plus ou moins prononcés.

Bref, dans ces pays, tout n’est pas rose, ni noir non plus. Ils nous montrent qu’il y a une autre voie que la mondialisation néolibérale, inégalitaire et peu soucieuse de l’intérêt général national. Mais ils cèdent parfois à un autoritarisme peu démocratique ou à un dirigisme étatique parfois paralysant.

15 commentaires:

  1. L'Argentine et le Venezuela usent trop de la planche à billet, et que l'épargne ne se fait pas en monnaie locale. Voilà leur problème, malgré une balance commercial plutôt positive il manque de rigueur de gestion, et ils auraient besoin d'un peu plus de contrôle des changes (même le Chili ultralibéral l'a fait). C'est un problème culturel et historique en Amérique latine: l'élite économique n'est pas patriote, souvent ils ne vivent même pas dans le pays, les devises issus des bien exportés est directement dépensé ou placé à l'étranger. Sans ces devises les locaux ne peuvent pas acheter les biens importés.

    C'est l'inverse du problème de la France et des pays latins européens: nous avons un déficit commercial abyssal, une épargne domestique en monnaie locale forte et une création monétaire faible (pas d'inflation).

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    1. Karg. Pas d'inflation depuis 2002, vous rigolez j'espère ?... L'euro a provoqué une explosion des prix.

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    2. Vous délirez si on sort l'immobilier (bulle spéculative) les matières première (presque pareil) les prix n'ont pas bougé. Mais avec la part de l'immobilier qui a presque doublé pour les revenus faible et moyen la perte de pouvoir d'achat est bien réel. Pour les entreprises le coût du travail a augmenté par rapport au coût allemand c'est une sorte d'inflation relative.

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  2. @ Pinsolle
    D'abord parler de remonté spectaculaire me parait exagérée, en Russie il y a de plus en plus des migrants des ex-républiques soviétiques, on sait pas quelle est la part de la politique familiale de poutine et la part des immigrés. Faut savoir qu"au Kazakhstan la fécondité est remontée à 2,45 et en Tchétchénie à plus de 3 enfants par femmes. C'est comme pour la France avant de la décréter meilleur démographie d'Europe il faut attendre le taux de fécondité au Royaume Uni qui n'a pas encore été rendu public pour l'année 2013;

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  3. Tous ces pays d'Amérique centrale et du Sud ont subi la "Doctrine de Monroe" depuis près de 2 siècles. Ils ont compris qu'ils fallait qu'ils comptent uniquement sur eux-mêmes. Je suis allé récemment à Buenos-aires; certes, la vie des gens n'est pas des plus facile. Beaucoup de petits boulots, une inflation importante, mais on ressent un certain optimisme dans l'avenir.
    J'ai le sentiment que ce continent est en train d'organiser un commerce "équitable" dans le sens ou ils recherchent des complémentarités entre états.
    (les technocrates parlent de synergie) de façon à limiter l'impact des marchés sur les prix. En fait, ils font une sorte de "troc" qui ne passe pas par les bourses mondiales. ex; l'Equateur ou le Vénézuéla échange du pétrole contre des produits industriels ou agricoles.

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  4. Leur modèle n'est pas parfait loin de là, mais le traitement médiatique de ces pays est tellement biaisé que pour retablir la verité il faut insister sur les succés de ces politiques.
    L'inflation, les grands medias en bons petits soldats de la bourgeoisie ne parlent que de ça quand ils parlent de ces pays, c'est vrai que c'est le seul succés de l'Euro. Tuer l'inflation même si on massacre la jeunesse au passage...
    Le traitement médiatique est donc, soit absent quand ca va bien soit catastrophiste au moindre chiffre défavorable. Sinon on aurait droit a des reportages sur le fabuleux "miracle argentin" comme ils l'ont fait à l'époque de Menem alors que cette croissance s'est révélée bidon...

    Ca ferait un sujet de these passionant, comment les medias, au fur et à mesure qu'ils se concentrent deviennent un puissant outil au service des castes dominante.

    Ce qui est amusant c'est aussi l'acharnement de certains sur les forums et commentaires de blogs à annoncer l'effondrement imminent de ces pays dès qu'ils ont commis les premiers sacrilèges (nationalisations, réductions de dettes imposés aux créanciers etc..). Effondrement qu'on attends toujours 10 ans après...
    Même avec le Japon on va rire dans 1 an ou 2 quand on repensera à Delamarche qui nous assurait que ce pays était foutu.

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  5. Passionnant, comme toujours lorqu'il est question d'économie ;-)

    Question : Qu'est-ce qui permet de dire que l'on n'atteindrait pas de tels taux d'inflation dans un pays européen qui sortirait de l'Euro, ferait en partie défaut et ne se financerait plus sur les marchés ?

    Talisker.

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    1. En théorie rien, je pense. Tout dépend de la politique monétaire qui est menée.

      Mais en Europe, indépendamment des politiques monétaires, le vieillissement de la population exerce une forte pression déflationniste. Comme au Japon depuis 20 ans : http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=54605

      Donc ça parait pas très probable de voir une inflation incontrôlable surgir quelque part. Surtout qu'un défaut de paiement est également un facteur déflationniste (on retire de la monnaie).

      Le risque actuel c'est la déflation.

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  6. @LP,

    Je suis étonné de vos propos sur la Russie.

    La démocratie reste, au sens strict, l'organisation pacifique de l'accession d'élus au pouvoir. Le concept de démocratie est souvent confondu avec celui de République - ce qui est notre réalité française contemporaine - mais ils se distinguent pourtant de celui-ci.

    Le reste relève, il me semble, de réalités culturelles, historique, politiques, différentes. Il n'y a pas de démocratie universelle, sauf à vouloir uniformiser le monde sans égard pour ces mêmes singularités politiques et culturelles. Je suis pour ma part partisan de la diversité.

    Si vous voulez dire que la Russie n'est pas l'Amérique, je suis en accord avec vous. Par ailleurs, je ne vois pas au nom de quelle supériorité culturelle nous pourrions poser les principes universellement valables de cette organisation de l'accession pacifique au pouvoir par l'élection - la démocratie.

    Ne faut-il pas faire d'un peu plus de sens historique et de modestie ? De fait, il y a Des démocraties.

    Faut-il choisir pour les Russes malgré le choix de ce peuple, et de même pour les autres peuples, comme la Syrie par exemple, ou encore l'Ukraine ?

    Qui sommes nous pour vouloir plus que ce que les Russes veulent ? N'ont-ils pas voté ?

    Et ne sommes-nous pas las, au regard de notre histoire, de ces leçons de juste démocratie, envisagée à la lumière de nos seules spécificités culturelles et politiques, et données au monde entier.

    C'est désormais l'Amérique qui fait profession, et avec quels résultats, de définir le bien et le mal démocratique. Les gendarmes du Monde, d'hier et d'aujourd'hui, n'ont-ils rien appris de leur passé ?

    Ne devrions-nous pas pour notre part regarder les résultats obtenus par Chavez ?

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    1. Errata :
      ... il se distingue de...
      ... faire preuve d'un peu plus de...

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    2. Si vous avez du pétrole à nous donner ... la Venezuela importe maintenant des produits agricoles et des meilleurs ingénieurs pétroliers sont à l'étranger. Vous vous rapellez de l'explosion de la raffinerie il y a pas si longtemps ? Sur la Russie on est dans un pays libre ici on peut donner les leçons qu'on veut on ne pas obligé de faire attention à ce qu'on écrit sur le net comme la bas.

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    3. @Fiorino,

      "Russie on est dans un pays libre ici on peut donner les leçons qu'on veut on ne pas obligé de faire attention à ce qu'on écrit sur le net comme la bas."

      Votre réponse est un superbe sophisme qui suffit à caractériser votre réponse globale - pardon d'être direct.

      Votre assertion pose le sous-entendu selon lequel je contesterais le droit de critique de ce pays, la Russie. Ce qui n'est bien évidemment le cas. Mais surtout, ce n'est pas du tout mon propos que manifestement vous préférez éluder.

      Mon propos, c'est d'indiquer qu'il n'y a pas de démocratie universelle. La démocratie bien comprise part d'un peuple, de son histoire, et de sa soif de liberté, de sa volonté de se gouverner lui-même (un peuple souverain : on peut dire que la souveraineté et l'autre nom de la démocratie).

      Il y a Des démocraties. Quand un modèle culturel s'impose partout, ce n'est plus la démocratie qu'un peuple se donne à lui-même, mais des leçons de moral afin de justifier une ingérence extérieure - avec souvent des intérêts concrets à la clef.

      Par ailleurs, vous êtes libre de donner des leçons, mais alors ne vous étonnez pas que l'on vous indique que vous êtes un donneur de leçons. Se pose immédiatement après, le problème de la légitimité du professeur de moral concerné et toutes difficultés attachées à ladite légitimité.

      Cordialement.

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  7. Une étude en faveur de la sortie des pays bas de l'Euro :

    The study by the respected British Capital Economics research consultancy into "Nexit" finds significant benefits over the next two decades to 2035 for the Netherlands in leaving the EU and negotiating a similar status as Switzerland.

    http://www.telegraph.co.uk/finance/economics/10621264/Dutch-would-be-better-off-if-they-left-the-euro.html

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  8. La monnaie du Venezuela n'est pas le peso mais le bolivar. Mais ses problèmes d'inflation sont très liés à la rente pétrolière qui désindustrialise le pays à long terme bien avant le régime chaviste. Le problème est aujourd'hui l'explosion de la demande de dollar sur le marché parallèle mais cela est dû à la trop grande stimulation de la demande interne et au manque de production interne, qui s'est tout de même traduite par l'accès à un niveau de vie de type émergent d'une grande partie de la population.
    Mais le pays a les moyens de récupérer le contrôle du change parallèle par son action sur le dollar et en dévaluant sa monnaie, la situation peut s'améliorer.

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  9. @ Karg se

    Très juste. Ils vont sans doute trop loin dans la planche à billet.

    @ Fiorino

    Quand même, une augmentation de 50% des naissances en une grosse dizaine d’années, c’est spectaculaire. Même des mouvements de 10 à 20% sont considérés comme forts en démographie. Et sur la France, quelle que soit la situation britannique, on peut dire que nous nous portons bien mieux que tous nos voisins continentaux.

    @ Cliquet

    Très juste. J’en parle dans un des papiers en lien sur Hugo Chavez

    @ TeoNeo

    Bien d’accord, le traitement médiatique est largement biaisé en leur défaveur, mais pour être crédible, je pense qu’il ne faut pas fermer non plus les yeux sur les limites de ces régimes, sinon ce sont deux images caricaturales qui s’affrontent, ce qui rend le débat illisible. Bien d’accord sur l’inflation, pour le débat européen. En revanche, au-delà de 20%, on peut se demander si cela ne commence pas à faire du mal à tout le monde.

    Bien d’accord sur le Japon.

    @ Talisker

    Merci. On voit que la Grande-Bretagne, en dévaluant de 20%, a vu son inflation monter jusqu’à 4%, mais pas plus et elle vient de retomber à 2%. Il n’y a aucune raison que cela se passe très différemment chez nous. Il ne faut pas oublier que l’Argentine avait dévalué de plus de 70%. Même la Grèce n’irait pas aussi loin. Enfin, Buenos-Aires a laissé l’inflation s’enraciner. Comme le remarque bip, on peut ajouter que tout dépend de la politique monétaire et la démographie a un rôle important.

    @ Bip

    Merci

    @ Anaximandre

    Bien d’accord sur les réalités culturelles, historiques, politiques différentes. Nous ne devons pas juger la Russie avec nos yeux d’occidentaux. La comparaison avec les Etats-Unis n’est pas opérante pour moi, et je ne la fais pas. Bien d’accord également pour dire que les dirigeants français n’ont pas à s’immiscer dans les affaires russes ou émettre des jugements sur la démocratie russe (surtout vue la façon dont la démocratie fonctionne dans leur parti). D’accord pour dire qu’il y a des démocraties (cf systèmes institutionnels).

    Malgré tout, je pense qu’il ne faut pas avoir une vision angélique de la Russie ou du Vénézuela et fermer les yeux sur certains reculs démocratiques ou difficultés économiques qui affectent la population, même si ces deux pays défendent également leurs intérêts de manière plus solide que nous. Ne vouloir regarder qu’un aspect des choses ne me semble pas une bonne chose. Le bilan de Chavez n’est pas 100% positif comme on le voit aujourd’hui, même s’il est globalement positif. Et c’est humain.

    @ Trémarec

    Merci pour ces précisions

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