L’austérité
à deux vitesses
David
Graeber commence le livre en citant le cas des hauts plateaux Madagascar où la
suppression des programmes d’éradication des moustiques avait provoqué une
épidémie de paludisme qui avait fait dix milles victimes en se demandant s’il
« était justifié de perdre dix mille
vies pour que la Citybank n’ait pas à reconnaître ses pertes sur un seul prêt
irresponsable, d’ailleurs sans grande importance pour son bilan ». Il juge
que certaines innovations financières étaient des « arnaques très élaborées », et que les banques spéculaient sur
des paris assurés par « une compagnie
d’assurance géante, qui, si elle coulait à pic sous le poids de la dette ainsi
contractée (…) serait renflouée par le contribuable ».
Il rappelle
qu’en 1980, le Congrès a abrogé la loi qui limitait les taux d’intérêt entre 7
et 10%, soit le retour de l’usure, et le développement des cartes de crédit,
qui a permis « l’élimination de
l’ensemble des législations restrictives qui plafonnaient les taux d’intérêt ».
Pour lui, « le principe de l’honneur
a été totalement retiré du marché », et, que, parallèlement, nous
sommes tombés dans « l’autosacrifice
ascétique ». Comme
Paul Krugman, il dénonce le fait que les banques aient été aidées et non
les ménages. En outre, depuis la fin des années 1970, les salaires stagnent
alors que la productivité continue à monter. Il note que « la cause première de la faillite personnelle
aux Etats-Unis est la longue maladie ». Il en va jusqu’à poser des
questions sur les pratiques du micro-crédit de la Graamen Banck en soulignant
que c’est la logique qui a poussé au surendettement des ménages aux Etats-Unis,
leur donnant un pouvoir (de consommation) illusoire, une liberté qui a abouti à
l’esclavage.
Une
société violente, inhumaine, et bloquée
Pour David
Graeber « on pourrait dire que les
trente dernières années ont vu s’édifier un immense appareil bureaucratique
ayant pour mission de créer et maintenir le désespoir, une gigantesque machine
conçue, d’abord et avant tout, pour éliminer tout sentiment d’autres futurs
possibles ». Tout ceci créé « un
climat général de peur et de désespoir, dans lequel l’idée même de changer le
monde paraitra un vain fantasme ». Il note le paradoxe selon lequel
« quand la machine a implosé, nous
nous sommes retrouvés dans l’étrange situation d’être incapables ne serait-ce
que d’imaginer un autre mode d’organisation possible ». Pour lui,
« tout système qui réduit le monde à
des chiffres ne peut être maintenu que par les armes ». Il soutient
que ce serait les riches qui useraient et abuseraient du levier alors qu’ils
plaident pour « la démocratisation
de la finance », alors que Smith et Ricardo étaient méfiants avec le
crédit.
Il fait un
lien entre guerre et dette en rappellant ce que le flottement du dollar doit à
la guerre du Vietnam. Il fait aussi un parallèle entre la décision de l’Irak de
passer du dollar à l’euro en 2000 et la guerre qui a suivi en 2003. Il rappelle
aussi que « la Federal Reserve –
malgré son nom – ne fait pas partie de l’Etat ; c’est un type particulier
d’hybride public-privé, un consortium de banques privées dont le président est
nommé par le président des Etats-Unis avec l’approbation du Congrès, mais qui,
pour le reste, opère en dehors de toute supervision publique ».
Il note
égalment que Wahington impose « un
comportement diamétralement opposé au sien : elle leur impose d’appliquer
des politiques monétaires restrictives et de rembourser scrupuleusement leurs
dettes ». Il note aussi que le FMI protège moins les débiteurs qu’il
n’impose les droits des créanciers. Pour lui « on peut voir grand krach de 2008 comme l’aboutissement de nombreuses
années d’affrontements politiques entre créanciers et débiteurs, entre riches
et pauvres. A un certain niveau, bien sûr, il était exactement ce qu’il
semblait être à première vue : une arnaque, une pyramide de Ponzi
incroyablement sophistiquée qui avait été conçue pour s’effondrer, car les
arnaqueurs savaient pertinemment qu’ils pourraient forcer les victimes à les
renflouer ».
Il
conclut : « l’argent n’est pas
sacré, payer ses dettes n’est pas l’essence de la morale, ces choses-là sont
des arrangements humains, et, si la démocratie a un sens, c’est de nous
permettre de nous mettre d’accord pour réagencer les choses autrement ».
Le principe sacré de devoir payer ses dettes a été « démasqué comme un mensonge flagrant. En fait, nous n’avons pas ‘tous’ à
payer nos dettes. Seulement certains d’entre nous. Rien ne serait plus
bénéfique que d’effacer entièrement l’ardoise pour tout le monde, de rompre
avec notre morale coutumière et de prendre un nouveau départ ».
Après avoir
donné un court aperçu de la masse d’informations donnée par David Graeber, il
est essentiel de faire comme l’auteur, à savoir tirer les leçons pour la
période actuelle de cette longue histoire de la monnaie et de la dette. Un
plaidoyer contre les austéritaires monétaristes.
Source :
David Graeber, « Dette : 5000 ans d’histoire », Les Liens qui
Libèrent