lundi 30 juillet 2012

Alerte aux excès de profits aux Etats-Unis !


Non, il ne s’agit pas d’un jugement de l’Humanité ou de Jean-Luc Mélenchon, mais d’un article de The Economist qui se penche sur la remontée fulgurante des profits des entreprises aux Etats-Unis, déjà 20% plus hauts qu’en 2007, point le plus élevé depuis la Seconde Guerre Mondiale.

La crise, quelle crise ?

Le graphique représentant la part des profits des entreprises dans le PIB des Etats-Unis est sidérant. En 2007, ce chiffre avait rejoint les records de 1929, au-delà de 12% du PIB. Ce chiffre avait progressé de 3 à 6% dans les années 1980, avant d’atteindre 9% dans les années 1990. La grave crise de 2008 a fait plonger ce chiffre à 7% (soit encore davantage qu’au début des années 2000) avant de rebondir à près de 15% du PIB cette année, 20% de plus que le pic précédent.

L’hebdomadaire anglais souligne que ce sommet aura du mal à être battu car les prévisions de profits des entreprises sont moins fortes pour les trimestres à venir et elles ne parviennent plus à battre aussi facilement les prévisions des analystes. Il y a des raisons structurelles. Tout d’abord, les entreprises se sont adaptées très rapidement à la crise, n’hésitant pas à licencier massivement. Ensuite, il y a la pression des pays émergents qui limite les revendications salariales.

De nouvelles explications

Mais The Economist souligne qu’en principe, cette rentabilité devrait pousser à une vague d’investissement, plus de compétition et du coup, moins de profits. Mais les entreprises gardent aujourd’hui l’argent qu’elles gagnent. Le journal y voit trois explications. La 1ère serait la crainte d’un excès de réglementation à la veille des élections présidentielles. La 2nde est la faiblesse de la demande, étant donné que les consommateurs se désendettent et la faible croissance des exportations.

Le journal souligne enfin le cercle vicieux où la hausse des profits diminue automatiquement la part des revenus et déprime donc par conséquent la demande, accentuant le conservatisme des entreprises. Enfin, il souligne le rôle néfaste des stock-options dans les choix des dirigeants d’entreprise, qui préfèrent les actions augmentant le résultat court terme des entreprises (et les rachats d’action) aux investissements à long terme, qui tendent à réduire les profits dans un premier temps.

Un capitalisme dysfonctionnel

Cette troisième raison est confirmée par une récente étude la Réserve Fédérale de New York qui expliquent elle-aussi que la structure des bonus des dirigeants d’entreprise a une forte influence sur leurs décisions et les pousse aujourd’hui à favoriser les résultats à court terme aux investissements à long terme qui ne tendent à rapporter que pour leurs successeurs… Idem pour les fonds d’investissement dont les résultats sont trop souvent jugés chaque trimestre en oubliant le  long terme.

The Economist pousse l’audace en concluant « qu’il est bien meilleur que les profits diminuent parce que les entreprises investissent massivement plutôt que parce que la prudence des leurs dirigeants pousse l’économie en récession. Les dirigeants d’entreprises font partie des avocats les plus fervents de la baisse des déficits publics, mais si les entreprises dépensaient davantage, et embauchaient plus, cela ferait baisser les déficits de leur propre gré ».

C’est tout le paradoxe souligné par ce journal, pourtant absolument pas hostile au monde de l’entreprise. La montée des profits des entreprises aux Etats-Unis révèle un profond dysfonctionnement de l’économie, qui entretient même les difficultés dans lesquelles nous sommes.

7 commentaires:

  1. Si je suis un dirigeant capitaliste j'ai intérêt à décider tout ce qui fait grossir le bilan financier de ma boite (taux de profit, bénéfices à court terme, etc. ) pour faire monter la cote en bourse et pour que mes stock options montent aussi... et si le PDG et les cadres supérieurs ont des revenus mirobolants cela attirera vers mon entreprise les meilleurs ingénieurs candidats, etc... et si je dégage des fonds conséquents pour le lobbying et la corruption (presse, politiques...) ce sera rapidement rentable... mais au détriment, bien entendu, de la recherche fondamentale, de l'innovation probablement hasardeuse, de l'investissement à long terme, etc... tout comme je dois orienter mon entreprise vers les productions immédiatement les plus rentables: armements, publicité, industrie du spectacle, spéculation immobilière, tourisme de grand luxe, voyages vers la lune pour millardaires, fabriquer de nouveaux "artistes" et les promouvoir et spéculer sur leur cote (Alliagon, Le Louvre, Pineault, etc...) spéculer sur des chevaux de course... Bref : c'est l'essence même du capitalisme et de sa loi de la jungle dans laquelle des millards d'humains tentent de survivre privés du nécessaire... Pourquoi et comment s'en étonner encore ?? Il ne s'agit plus de décrire ni de s'étonner, mais de transformer, de détruire ce merdier... Salutations.

    RépondreSupprimer
  2. Olivier Berruyer vient de sortir une synthèse sur l'évolution des inégalités aux États-Unis qui apporte un complément et une mise en perspective plus générale au constat fait par The Economist : http://www.les-crises.fr/inegalites-revenus-usa-1/

    YPB

    RépondreSupprimer
  3. Robert Lohengrien30 juillet 2012 à 14:44

    L'explication est aussi simple que cynique: les entreprises américaines ont augmenté voire multiplié leurs marges grâce à une gestion serrée des ressources internes des entreprises (en clair: plus pression sur les salairés, plus de tâches à accomplir par un seul salarié sans augmentation du salaire), ainsi qu'à une politique restrictive en matière de recrutement. De plus, le droit de travail amércain joue en faveur du patronat. Cela explique, du moins en partie, pourquoi le chômage ne baisse pas.
    Les USA ont beaucoup changé. On n'y retrouve plus le rêve amércain. Si vous êtes arrivé en bas de l'echelle sociale par un accident de la vie, vous aurez beaucoup de mal de remonter la pente. C'est un phénomène nouveau. Le fracture entre pauvres et riches s'est considérablement arccrue depuis 1970. Et les perspectives de l'avenir ne sont pas meilleures.
    Cette évolution - le débâcle économique et social des classes moyens en occident - n'incite pas les grands comptes à investir dans la production. La nouvelle technologie financière permet de gagner de l'argent autrement et plus facilement.
    Le pire pour nous c'est que certains lobbys puissants en Europe nous présentent les USA invariablement comme exemple à suivre. Nombreux sont ceux qui y croyent.

    RépondreSupprimer
  4. Analyse détaillée :

    La richesse à partager plus justement doit être créée. L’enrichissement et la formation de patrimoines financiers monumentaux entre les mains d’une fraction de la population ne peuvent pas déboucher sur une distribution de revenu plus juste à court ou à moyen terme par une série de réformes fiscale: le problème des USA n’est pas de répartir le revenu plus justement entre ses habitants, il est impératif que les USA s’oriente vers un effort productif massif.

    http://criseusa.blog.lemonde.fr/2012/07/25/la-crise-expliquee-par-la-repartition-des-revenus-iii/

    RépondreSupprimer
  5. Bien entendu la richesse doit être créée mais ce truisme ne résout aucun problème. Qui diable propose de répartir une richesse qui n'est pas créée ? Si nous n'investissons pas, ce n'est pas parce que les ressources ne seraient pas disponibles mais parce que l'incitation à parier sur la production et l'innovation à long terme font défaut. Dans le contexte actuel, pour investir plus, il n'est pas nécessaire de consommer moins mais de mobiliser nos ressources oisives.
    Comment susciter cette création de richesse ? En ménageant pour les entreprises des perspectives stables d'écoulement de leur production, par l'augmentation des salaires ou la dépense publique. Et quand nécessaire par des programmes d'investissement publics dans les infrastructures et la recherche en particulier.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Pour l'innovation, je connais, le problème ce sont les à priori des hiérarchies qui n'ont pas les compétences techniques mais balayent d'un revers de main les bonnes idées. Même en Allemagne je vois ça parfois, beaucoup moins qu'en France quand même...

      Il y a 4 ans j'ai proposé une super idée, un coup de fourchette quadruple comme on dit aux échecs, des huiles ont dit nein sans argumenter. Résultat une société US produit l'idée, ils sont encore pas mauvais aux US... Du coup ça me donne des arguments pour relancer mon idée puissance 4 et je sais comment contourner des brevets concurrents, j'ai les idées techniques, les connaissances juridiques et le budget. Les marchés en question sont énormes, donc le budget suit on quand sait convaincre.

      Bon ben, c'est pas la France qui en profitera...

      Sur le plan professionnel, dans mon domaine, la France c'est grillé de chez cuit, je n'ai plus rien à y faire.

      Supprimer
  6. @ Nicolas,

    Il est bon de rappeler cela pour convaincre la majorité qu’il faut urgemment changer de système économique.

    @ YPB

    Merci pour le lien. Très bonne synthèse en effet.

    @ Robert

    Je crois qu’on peut ajouter également le développement d’oligopoles avec un manque de compétition.

    @ Olaf & J Halpern

    Complètement d’accord. Belle citation de Tocqueville dénichée par A-J H dans un de ses livres : « préoccupés du seul soin de faire fortine, les hommes n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous ».

    RépondreSupprimer