jeudi 26 juin 2014

Réforme de la carte territoriale : et si on cherchait à répondre aux vrais enjeux de la décentralisation ? 3/4 (billet invité)


Billet invité de Vincent M

3/3 Et si la décentralisation en France s’appelait « déconcentration » ?

Quelles sont les bonnes compétences des élus locaux ?

C’est un sujet qui peut prêter à des débats sans fin. Il suffit de voir qu’entre la Suisse, l’Allemagne, et la France, les réponses sont très différentes, pour savoir qu’il n’y a pas de bonne solution.
Pourtant, je pense que, dans un pays donné, compte tenu de sa culture, de sa mentalité, de ses traditions, il n’y a pas tant de sujets qui prêteront à discussion.

On a vu précédemment que, parmi les compétences départementales et régionales, des sujets comme la politique culturelle ou touristique, les transports locaux, ou des initiatives destinées à favoriser l’apparition d’un tissu industriel étaient pertinentes à l’échelle locale.

Il ne faut pas oublier les nombreuses compétences des communes, qui, elles aussi, sont pertinentes à l’échelle locale :
-        Action sociale facultative (facultative = pour laquelle l’élu peut décider de la mettre en place ou pas, au contraire du conseil général),
-        Ecoles primaires,
-        Domaine culturel (bibliothèques, musées, etc.), où on remarque que la commune fait doublon avec les autres instances décentralisées,
-        Domaine des loisirs et du sport,
-        Politique d’urbanisme et permis de construire,
-        Entretien des voieries communales,
-        Ordre public local.

A ces fonctions, je n’ai pas ajouté l’état civil ou l’organisation des élections, qui relèvent non pas de la décentralisation, mais de la déconcentration, le maire obéissant dans ce domaine-là au ministère de l’intérieur.

Nombreux sont ceux qui constatent que, pour beaucoup de ces missions (maisons de retraites, piscines, terrains de sport, bibliothèques), les petites communes sont trop petites pour pouvoir offrir, seules, ce que les administrés seraient en droit d’attendre. Il ne serait donc pas aberrant que certaines compétences remontent à un échelon supérieur. C’est le cas actuellement avec les intercommunalités…

Combien d’échelons locaux ?

Là est la question que tout le monde se pose, et notamment ceux qui ont pour réponse toute faite : « il faut supprimer les départements », ou sa variante plus complète : « il faut supprimer les communes et les départements, pour ne garder que deux niveaux de compétences locales ».

Il est vrai que, surtout vu le peu de compétences confiées à l’échelon local, il est aberrant qu’il y ait 4 niveaux d’intervention : la commune, la communauté de commune, le département, et la région.
La commune est intouchable. Dans leur très grande majorité, les français veulent la conserver. Conservons la donc, quitte, selon la taille de celles-ci, à confier certaines compétences à l’échelon supérieur.

Reste donc à décider quelle est la bonne échelle pour mettre en œuvre les politiques suivantes :
-        Politique de développement économique,
-        Politique touristique,
-        Politique culturelle,
-        Action sociale facultative.
Voire, pour les petites communes :
-        Entretien des voieries communales,
-        Ecoles primaires,
-        Domaine des loisirs et du sport.

L’ensemble de ces enjeux ont en commun de concerner l’emploi, ou les infrastructures du quotidien. Il faudrait donc trouver, pour circonscription, quelque chose qui corresponde à des zones élémentaires dans lesquelles une part importante des habitants se déplace quotidiennement. Par exemple, au niveau d’une ville moyenne, il s’agirait de l’ensemble de la zone où une part non négligeable des actifs travaille dans la ville. Soit une agglomération élargie à toutes les communes qui dépendent économiquement de cette ville.

Comment construire de telles circonscriptions ? Oh, joies… Elles existent ! C’est exactement ce que l’INSEE appelle les « zones d’emploi » : des entités cohérentes, au sein desquelles se déroulent l’essentiel des trajets domicile-travail. A forcerie, on peut penser que les autres trajets du quotidien (courses, loisirs…) se déroulent également au sein de ces « zones d’emploi ».


Elles sont au nombre de 300 environ, qui ne se recoupent pas nécessairement avec les départements (l’INSEE a cru bon de les couper en morceaux quand il y avait des frontières régionales, ce qui n’a naturellement pas lieu d’être).

Elles sont naturellement de taille et de population très inégale. Mais peu importe ! L’essentiel est que chaque citoyen puisse avoir un échelon suffisamment proche de lui pour qu’il se sente concerné par ses décisions, puisque les compétences de ces circonscriptions ne sont que des compétences locales.
Naturellement, ces circonscriptions seront amenées à travailler entre elles, voire à créer des partenariats permanents. Mais –et c’est là qu’est profondément l’esprit de la décentralisation- ces alliances, ces partenariats doivent être décidés localement.
Si on examine les politiques à décentraliser :
-        Politique de développement économique,
-        Politique touristique,
-        Politique culturelle,
-        Action sociale facultative.
Voire, pour les petites communes :
-        Entretien des voieries communales,
-        Ecoles primaires,
-        Domaine des loisirs et du sport.

Toutes celles-ci semblent adaptées à la « zone d’emploi », avec quelques réserves suivantes :
-        En matière touristique, ces découpages peuvent être trop serrés. Il peut être pertinent de créer une marque touristique « auvergne », « val de Loire », etc.
-        En matière de transports, il sera parfois nécessaire que des transports locaux fassent le lien entre deux « capitales » de zones d’emploi.

Dans le 1er cas, il me semble que, comme cela se fait aujourd’hui, des communes peuvent s’associer pour développer leur office de tourisme, associé à leur région touristique.

A titre d’anecdote, à ce stade de la rédaction de l’article, je me tourne vers mon ami Google, pour confirmer que ce type d’association existe. A mon premier et seul essai, je tape : « office tourisme val de loire ». Et j’ai été étonné de voir que les résultats sont, en réalité, des associations de communes par zones d’emploi ! « Tours val de Loire », « Val d’Amboise », « Saumur val de Loire », et un « cœur val de Loire » qui correspond à la zone d’emploi de Blois…

Je ne m’attendais pas à ce que Google ne vienne confirmer, même en matière touristique, la pertinence de ce découpage en zone d’emploi… Mais cela me conforte dans mon idée, que, même pour le tourisme, ce découpage a sa pertinence.

Et que deviennent les départements ?

On le sait : les français tiennent avant tout à leurs communes, et juste après à leur département. Plutôt que de déplorer leur manque de modernisme, voire leur mentalité réactionnaire, regardons s’il ne s’agit pas, après tout d’un choix rationnel !

En effet, les départements, sont aujourd’hui le seul découpage qui, s’il s’était quelques peu écarté des limites des provinces historiques il y a 2 siècles, est aujourd’hui accepté, et même plébiscité par les français.

On se moque du critère complètement anachronique qui avait présidé à leur création : rendre la préfecture accessible en une journée de cheval. Mais quel critère analogue serait pertinent aujourd’hui ? S’il y en avait un, ce serait de permettre à n’importe quel habitant de faire aisément un aller-retour à la Préfecture sur la journée pour y traiter de ses affaires, ou à l’inverse, aux services de l’Etat qui se trouvent dans la préfecture de se rendre « sur le terrain » facilement, dès que le besoin s’en fait sentir. Le critère d’un maximum de 1h30 à 2h de voiture de la préfecture semble donc pertinent.
Et, fort heureusement 1h30 à 2h de voiture, cela correspond à une journée de cheval…
L’échelon de proximité –du point de vue de la distance raisonnable à garder avec la préfecture- est donc bien le département. Même les régions actuelles sont trop grosses pour être cet échelon. Il suffit, pour l’illustrer, de constater que toutes les agences « régionales » (Agence Régionale de Santé, Directions Régionales diverses) ont une antenne par préfecture, l’essentiel du travail étant réalisé au niveau de ces antennes.

Les départements ont donc toute leur place dans le paysage français… en tant que circonscription administrative, comme aujourd’hui. Seules les compétences du Conseil Général seront transférées, soit à l’administration départementale, soit à un échelon plus local, celui de la zone d’emploi.

Préservation des identités régionales

De nombreuses régions en France ont une identité propre, une culture, des traditions, une cuisine, etc. que personne ne souhaite voir disparaitre.

J’ai dans l’idée que les grosses régions telles qu’elles nous sont proposées aujourd’hui auront tendance à diluer ces identités régionales. Au contraire, les communes et/ou zones d’emploi pourront tout à fait se regrouper pour mener des actions communes d’ordre culturel, créer une « marque » culturelle et touristique, développer des programmes communs visant à préserver leur héritage, etc.
Je ne vois aucune contradiction entre la mise en place d’un découpage adapté à la réalité économique d’aujourd’hui, et le maintien des identités culturelles.

En comment rééquilibrer Paris et la province ?

Toutes les propositions précédentes ne remplissent qu’un des deux objectifs qui avait été attribué à la décentralisation : celui de donner au citoyen la possibilité de faire décider au plus près de chez lui des politiques locales qui le concernent.

Là où les politiques de décentralisation actuelles ont échoué, on ne peut pas se contenter de dire qu’il faut revenir au statuquo d’antan. L’inconvénient de la nouvelle répartition que je propose est que l’essentiel des politiques publiques reste l’apanage de l’Etat. Donc de Paris…

Et si, justement, on arrêtait le : Etat = Paris ?
Aujourd’hui, la « déconcentration » consiste à déléguer à des administrations implantées localement des compétences locales. Mais les administrations centrales, qui ont les compétences nationales, restent implantées à Paris ou en proche banlieue parisienne. Citons une exception : le service des pensions du ministère de la Défense est à La Rochelle. Et il semblerait que cela ne l’empêche pas de fonctionner !

En effet, à l’heure d’internet, est-ce réellement une nécessité que tout soit concentré à Paris ? Tout le monde gagnerait à ce que des administrations centrales soient délocalisées dans des villes grandes et moyennes de province :
-        Les fonctionnaires de ces directions, qui, pour beaucoup, souhaiteraient pouvoir s’établir en province, pour bénéficier de loyers plus faibles et d’une meilleure qualité de vie,
-        Les villes de province qui recevraient ces administrations, car cela leur permettrait de compenser des pertes d’emplois due à la désindustrialisation,
-        Les habitants restant en région parisienne verront diminuer la pression sur le logement, ce qui améliorera l’attractivité de la région parisienne (son principal déficit d’attractivité, aujourd’hui, vient du coût du logement).

Et j’oserais une proposition plus forte encore : pourquoi, symboliquement, ne pas aller jusqu’à déménager le cabinet de certains ministres ? Même si une partie de leur administration pourra rester à Paris, cela serait très fort symboliquement ! Naturellement, les ministères impliqués en cas de situations de crise (Intérieur, Défense, Affaires Etrangères) devront rester à Paris. Mais pour peu qu’ils restent à moins de 3h de Paris, ce qui leur permet de rejoindre l’Assemblée Nationale hebdomadairement, les autres ministres pourraient tout aussi bien exercer en province, les visioconférences permettant de ne pas devoir systématiquement se déplacer.
Et, la France étant ce qu’elle est, où le tissu économique a souvent tendance à suivre l’administration et le politique, il est probable que de telles décisions amèneraient une redynamisation du tissu économique local.

Aussi, quel meilleur moyen pour que les intérêts de la province soient pris en compte que d’inciter certains hauts décideurs à y habiter et à y travailler ? Qu’il s’agisse du TGV, de la fibre optique… Les ministres seront les premiers intéressés pour en disposer !

Quel signe de modernité la France offrirait au Monde, pour une fois, en ayant un Etat qui sache se réorganiser pour prendre en compte l’accélération des communications !

En résumé : propositions pour un nouvel aménagement du territoire…

On aurait un nombre réduit d’échelons :
Echelons étatiques :
-        L’Etat,
-        Les départements, avec possibilité, au cas par cas, ministère par ministère, de regrouper les services de différents départements (comme cela se fait déjà aujourd’hui) ; ces départements récupèreront les fonctions des conseils régionaux et conseils généraux n’ayant pas de caractère politique,
-        La commune (comme aujourd’hui, pour l’Etat civil ou l’organisation des élections).

Echelons locaux :
-        La commune, avec éventuellement, notamment pour les petites communes, des transferts vers le conseil d’agglomération,
-        Le conseil d’agglomération, regroupant une « zone d’emploi » au sens de l’INSEE, et qui, outre quelques missions mutualisées des communes, serait en charge des missions actuelles présentant un caractère « politique » des conseils généraux et régionaux,
Ces conseils d’agglomérations pourront s’associer avec les conseils d’agglomérations voisins, pour mettre en commun des politiques : de tourisme, de transport, voire constituer des « régions » présentant un caractère historique, etc. selon leur bon vouloir…
Ce découpage a le mérite d’être simple, et de permettre à chaque décision d’être prise au plus proche des citoyens, par des fonctionnaires quand il s’agit de décisions administratives, ou par des élus quand il s’agit de choix politiques, ou orientant l’économie du territoire ou la vie quotidienne des habitants…

La suite (et fin) demain

3 commentaires:

  1. Cette serie de billets est vraiment passionnante.

    C'est agreable d'aller plus loin que les formules toutes faites sur "la tradition jacobine" ou "l'égalité des territoires" dont nous gratifient trop souvent les republicains.

    Merci encore !

    Talisker.

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  2. Un bémol, mais important, sur la politique d’urbanisme et les permis de construire. Peu importe pour moi l'échelon, il ne devrait pas y avoir de pouvoir sans responsabilité.

    L'autorité investie du pouvoir de refuser les permis de construire et qui en use devrait avoir à en assumer les conséquences et dédommager les victimes de la pénurie de logements qu'elle crée ou aggrave, ce qui n'est pas le cas actuellement et explique pourquoi le logement est le plus grave échec de la décentralisation.

    D'autre part cette compétence pose un grave problème démocratique. La démocratie c'est quand les électeurs choisissent leurs représentants, pas l'inverse.

    Il est inadmissible que les élus en place puissent se tailler un corps électoral sur mesure en distribuant les permis de construire de manière à écarter les classes sociales et classes d'âge dont ils ne veulent pas pour privilégier les autres.

    Ce sont les électeurs qui devaient composer le conseil municipal, non le conseil municipal qui compose la liste électorale comme aujourd'hui.

    Ivan

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  3. Un bon article, un bon rappel des enjeux.

    Pour réussir la réforme territorial, il convient aussi de réfléchir sur l'Histoire de nos régions et sur ce qu'est une région au niveau économique, administratif et géographique...

    http://www.blogactualite.org/2014/06/le-redecoupage-regional-en-france-12.html

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