jeudi 11 décembre 2014

Ethique de la responsabilité : redéfinir la corruption (billet invité)


Billet invité de l’œil de Brutus



Il y a de cela déjà presque quatre ans je publiais un billet sur la corruption politique. C’était à l’époque dans le contexte de l’affaire Bettencourt et des petits cadeaux du clan Ben Ali à certains membres du gouvernement en place.

Force est de constater que depuis les choses ne se sont pas améliorées. Le PS[i] de M. Hollande est à peine moins « irréprochable » qu’une UMP complètement gangrénée par les affaires. Cahuzac, Thevenou, Fillon-Jouyet, Bygmalion, Tapie, les arrangements minables pour préserver le fauteuil du suppléant de M. Moscovici[ii], le financement de l’UMP par le tristement célèbre premier cercle[iii], les soupçons d’emploi fictif de la sœur du secrétaire d’Etat Pascal Boistard[iv], les petites subventions entre amis du conseil régional de l’Ile-de-France[v], les financements douteux du Musée du Luxembourg par le Sénat[vi], les sombres liens entre le Qatar et Nicolas Sarkozy[vii], les lamentables conférences de ce dernier subventionnées par la finance internationale[viii] et ses liens opaques avec le non-regretté Mouammar Kadhafi[ix], les magouilles de l’empire Besson[x], des parlementaires qui tentent, tout simplement, de légaliser les prises illégales d’intérêts[xi], les achats de voix présumés du sénateur Dassault[xii], quelques grands patrons qui mènent à la baguette tout le gotha[xiii], le trésorier de campagne du président en exercice qui conserve des comptes offshore aux îles Caïmans[xiv], l’inamovible couple Balkany, La député Andrieux (PS) condamnée pour détournement de fonds[xv], l’adjointe (EELV) au maire du XIIIe arrondissement de Paris qui blanchirait ses fraudes fiscales par le trafic de drogue[xvi], etc. J’en oublie certainement[xvii]

Autant d’affaires qui sonnent le glas de notre République, mais aussi, et surtout, qui devraient sonner le glas de la classe d’oligarques affairistes au pouvoir. Je reproduis donc ci-après, expurgé des éléments contextuels, ces réflexions d’il y a quatre ans qui, malheureusement, n’ont pas pris une ride.


Corrompre : engager une personne investie d’une autorité à agir contre les devoirs de sa charge, soudoyer. (Petit Larousse 2005).

 « Il n’y a que deux péchés en politique : ne défendre aucune cause et n’avoir pas le sentiment de responsabilité. »
Max Weber.


Appelons un chat un chat : un élu qui accepte des avantages en nature ou qui consent à occuper des responsabilités manifestement incompatibles avec son mandat est un élu corrompu, rien d’autre. Ne nous focalisons pas que sur les lampistes de service. Des pratiques se sont généralisées : des échanges d’amabilités, des facilités, les petits cadeaux ne sont pas de l’argent sonnant et trébuchant, mais il en revient au même : adoucir la volonté de l’interlocuteur et le compromettre pour en jouer le moment voulu. In fine le corrompre. La République des « prébendes et des petits plaçous » en somme.

C’est donc toute une éthique de responsabilité du gouvernant qui doit être redéfinie[xviii]. Et cette éthique ne va pas forcément de soi. Croire qu’un renouvellement complet de cette élite suffise à régénérer cette éthique est une utopie : que l’on se rappelle de la corruption rampante de Thermidor et du directoire. Individuellement, les hommes sont ce qu’ils sont et l’incorruptible immaculé n’est pas la norme, loin de là. Et quand bien même : la parfaite vertu peut être la marque d’autres excès : qu’on l’on se souvienne Robespierre et Saint-Just. « Qui fait l’ange fait la bête »[xix].

Notre système d’élite est en crise. Non pas que l’existence même d’une élite dusse être remise en cause. Cela aussi serait purement utopique[xx]. Mais l’élite française d’aujourd’hui – politique, économique comme culturelle – est majoritairement issue de celle qui s’est mise en place en 1944 à la Libération. Depuis, elle s’auto-entretient, s’endogamise et vire  à une consanguinité dégénérative[xxi]. Il ne s’agit pas de virer à une autre extrême et d’accrocher à la lanterne tous les « fils de » en leur interdisant l’accès aux hautes responsabilités. Il s’agit de refonder une démocratie véritablement méritocratique qui seule permettra de valoriser l’éthique de responsabilité et donc de bannir la corruption et autres conflits d’intérêts. Une démocratie de l’Orque.

Or, deux plaies purulentes, liées entre elles, pourrissent notre démocratie : le cumul des mandats[xxii] et la professionnalisation de la politique. La première doit être purement et simplement interdite et la seconde, outre un éventuel volet législatif, doit faire l’objet d’une véritable réflexion citoyenne : sans virer au populisme démagogue, comment estimer qu’une personne qui a passé sa vie de mandats électifs en postes d’attente pistonnés, sans véritablement travailler à l’intérieur même de la société, puisse être représentative du peuple souverain ?



[iii] [Reprise] La liste secrète des 544 financiers de l’UMP publiée par Mediapart,                   Les Crises, 09-nov-14.
[v] Région Ile-de-France : petite subvention entre amis, Pascale Tournier, Marianne, 25-sept-14.
[vi] Rififi au Sénat : le dernier coup de Larcher, Pascale Tournier, Marianne, 27-sept-14.
[vii] Comment le Qatar s'est "offert" Nicolas Sarkozy, Marianne                  , 04-sept-14.
[ix] Comment Sarkozy tente d'étouffer ses affaires avec Kadhafi, Juan Sarkofrance, Marianne, 31-janv-14.
[x] Gros plan sur les magouilles de l'empire Besson, Mathias Destal, Marianne, 23-avr-14.
[xii] Serge Dassault le marchand de voix, Thibault Le Berre, Marianne, 16-sept-13.
[xiii] Des copinages aux conflits d’intérêts : quel bilan pour Henri Proglio ?, Pascale Tournier, Thierry Gadault, atlantico.fr, 02-juin-13 ; Henri Proglio, cet empereur des réseaux : les recettes d'une fascinante ascension, Pascale Tournier, Thierry Gadault, atlantico.fr, 01-juin-13 ; Ayrault-Proglio : la connexion nantaise, Arnaud Bouillin, Marianne, 19-mai-13.
[xiv] L’affaire Jean-Jacques Augier … …Va-t-elle disparaitre des écrans radar ?, Hervé Montbard, Forum démocratique, 14-mai-13.                                   
[xv] 1 an après, le bilan calamiteux du président Hollande, Yohann Duval, blog yohann Duval, 06-mai-13.
[xvii] Désolé, je ne suis remonté dans mes archives qu’à début 2013. Il manque donc deux années supplémentaires d’affairisme à tout crin …
[xviii] Ce qui n’exclut pas pour autant de parler d’éthique de la conviction, l’une n’excluant pas l’autre. Et quand on voit les atermoiements et les virages à 180° d’un Nicolas Sarkozy ou d’un François Hollande, il y aurait, sur ce sujet aussi, de quoi écrire un volumineux chapitre.
[xix] Blaise Pascal.
[xx] « Ce qui sépare la démocratie du populisme, c’est l’acceptation par la peuple de la nécessité d’une élite en laquelle il a confiance »,  Emmanuel Todd, Après la démocratie.
[xxi] Au sens non littéral du terme mais plutôt dans le sens qu’un groupe qui vis en vase clos ne peut plus rien produire de nouveau et dégénère de lui-même.
[xxii] Et pas seulement le cumul des mandats public-public mais aussi, et surtout, le cumul des mandants public et privé : il est inadmissible qu’un député puisse simultanément officier dans un des plus grands cabinets d’avocat ou qu’un sénateur puisse faire du conseil à un grand groupe énergétique.

1 commentaire:

  1. La pire des corruptions , celles des idées. Exemple , la loi de Mme Simone Veil sur l'avortement qui devait rester l'exception. Qu'a-t-on fait de cette loi ? 200.000 avortements remboursés par la SS. De telle sorte que les lois elles-mêmes puent la corruption.

    RépondreSupprimer