mardi 2 janvier 2018

… Et s'il n'en reste qu'un (empire)... ou la résilience chinoise à l'épreuve de la globalisation (billet invité)

Billet invité de Jean-Louis Porry

Le thème de la décadence et de l'écroulement des empires est présent dans l'inconscient collectif et le discours politique occidental depuis le siècle des lumières, illustré notamment par l'"Histoire de la décadence et de la chute de l'Empire romain" d' Edward Gibbon. Plus de 200 ouvrages auraient été consacrés à ce sujet, chaque auteur expliquant cet élément majeur de l'histoire européenne en fonction de ses préférences politiques, économiques, religieuses... Ce thème se retrouve dans la formule de Paul Valéry, au lendemain des tueries de 14-18 sur les civilisations "qui savent désormais qu'elles sont mortelles".

A l'autre extrémité du continent, la Chine a connu au cours de sa longue histoire de nombreux épisodes dramatiques : écroulement de dynasties corrompues, invasions barbares, jacqueries grandioses... certains de ces épisodes ont durement touché le pays, notamment en décimant sa population, mais aucun n'a entraîné une catastrophe analogue à la chute de l'empire romain d'occident, suivie de plusieurs siècles de régression sociale et culturelle.

Une écriture originale.

Parmi les facteurs culturels qui expliquent la résilience de la civilisation chinoise, il faut d'abord examiner le rôle joué par une langue écrite détachée de la langue parlée.

On sait que l'écriture idéographique est un facteur important de cohésion de la nation chinoise dans l'espace en en permettant la communication entre les utilisateurs des différents dialectes qui se partagent l'espace chinois ou qui sont pratiqués par la diaspora chinoise ; on sait également qu'elle constitue un facteur de rapprochement avec les autres peuples d'Extrême-Orient qui utilisent ou ont utilisé les caractères chinois pour transcrire leur langue nationale.

Par contre, on mesure généralement mal le rôle que joue cette langue écrite quasi immuable, quelles que soient les évolutions de la langue parlée, pour la cohésion nationale chinoise dans le temps. Même en tenant compte des difficultés de compréhension liées à l'extrême concision de la langue écrite classique, un de nos contemporains chinois peut avoir accès directement aux écrits de Confucius. On est saisi de vertige quand on essaie d'imaginer quel aurait été le cours de la civilisation occidentale si depuis plus de deux millénaires, toute personne avec une éducation minimum avait eu ainsi la possibilité de s'approprier sans intermédiaire les philosophes grecs, les auteurs latins... pour ne rien dire de l'histoire spirituelle de l'occident avec des textes sacrés, canoniques ou apocryphes, accessibles par tous en version originale.

A contrario, le lien entre la langue écrite et la langue parlée explique la perte de substance culturelle qui a suivi la fin de l'empire romain d'occident avec des textes perdus car incompréhensibles pour la quasi totalité de la population, ou censurés et biaisés par les rares clercs capables de les déchiffrer et de les traduire.

L'héritage confucianiste.

Un autre facteur culturel est l'influence du confucianisme, enrichi par d'autres courants de pensée, notamment celui des légistes qui préconisaient une stricte organisation de l'État. Pour les penseurs chinois, la réflexion sur l'organisation de la société et l'art de gouverner a ainsi souvent pris le pas sur les spéculations métaphysiques ou sur la réflexion sur les ressorts de l'âme humaine. Cette théorie du gouvernement, transmise par les générations successives de lettrés-fonctionnaires, a surmonté toutes les vicissitudes historiques et a été utilisée comme boîte à outils par les pouvoirs qui se sont succédés.

C'est ainsi que la structure du gouvernement chinois (ou des gouvernements, pendant les périodes de division de l'Empire), ébauchée sous la dynastie Han (200 avant JC - 200 après JC) est restée en gros la même depuis le sixième siècle jusqu'au début du vingtième, suivant le système des "trois départements et six ministères".

Trois départements : le secrétariat chargé de la préparation des lois ; la chancellerie chargée de vérifier leur conformité avec le corpus juridique ou coutumier; le département des affaires d'État chargé de leur exécution par les six ministères : fonction publique, trésor, rites, armée, justice, travaux publics.

Les grandes lignes de l'administration locale sont restées elles aussi les mêmes, administration exercée par un corps relativement restreint de fonctionnaires recrutés par concours et gérés de façon stricte avec notamment des mutations fréquentes visant à limiter le favoritisme et la corruption.

Cette solidité de la structure administrative s'accompagne d'une primauté indiscutée du pouvoir civil sur les militaires : les révolutions de palais et les soulèvements populaires n'ont pas manqué, mais les coups d'État militaires sont une rareté dans l'histoire chinoise.

La tolérance religieuse

Un autre facteur important est l'attitude ouverte des Chinois en matière religieuse, qui va de l'agnosticisme confucéen à un syncrétisme mêlant bouddhisme et taoïsme, ce dernier souvent mâtiné de chamanisme. L'histoire chinoise a connu des périodes de tensions religieuses, notamment lors de la montée en puissance du bouddhisme, mais jamais de guerres de religion comme celles qui ont ensanglanté l'Europe. Cette tolérance et cette faculté à accueillir d'autres croyances dans le "melting pot" spirituel chinois a été un facteur important d'assimilation des envahisseurs barbares successifs.

La préoccupation alimentaire-

Au delà de ces facteurs culturels, si on poursuit la comparaison avec la chute de Rome, il faut rappeler la fragilité de l'agriculture sèche -et souvent extensive- méditerranéenne, comparée à l'agriculture irriguée intensive de l'Extrême Orient. L'expansion de Rome sur le pourtour méditerranéen a été notamment causée par la recherche de nouvelles sources de blé, alors que l'agriculture italienne était ruinée par la concurrence de l'agriculture latifundiaire dans les provinces récemment conquises. Les conséquences sociales ont été les mêmes que ce que l'on peut observer actuellement dans des pays du Sud : afflux des paysans ruinés dans la métropole, source de fragilisation politique.

A l'inverse, les dirigeants chinois ont, depuis l'antiquité, accordé une grande attention aux infrastructures nécessaires à la production agricole, notamment les grands travaux d'irrigation, comme à la gestion des stocks de sécurité pour faire face aux mauvaises récoltes. Les famines étaient un signe montrant que la dynastie perdait le mandat du Ciel. Jusqu'à une date très récente –les dernières années du XXème siècle- l'autosuffisance en produits alimentaires de base a été un objectif essentiel des gouvernants chinois.

Cette remarquable stabilité culturelle a assuré la pérennité de la civilisation chinoise, mais a entraîné un risque permanent d'immobilisme et de stagnation. Au cours des âges, la Chine est passée par des phases d'ouverture au monde extérieur et de repli sur soi ; après une période d'isolement conduisant à l'abaissement de la Chine au XIXème et au début du XXème siècle, la Chine connaît maintenant un épisode d'ouverture et d'expansion sans précédent depuis celui du début du XVIème siècle.

Cette période a connu une évolution rapide de l'économie chinoise, liée à l'ouverture au commerce européen (Portugais et Hollandais). Elle a entraîné l'introduction en Chine de produits originaires du continent américain (maïs, tabac...) et de maladies infectieuses, notamment la syphilis. Elle a également été marquée par l'organisation de grandes expéditions maritimes visant à développer l'influence chinoise sur le pourtour de l'océan indien.

Il est trop tôt pour savoir si cette nouvelle phase d'ouverture risque de remettre en cause le modèle chinois et d'engager la Chine dans le processus de disparition des empires et des civilisations et si la globalisation, dont la Chine est dans l'immédiat la grande bénéficiaire, ne va pas remettre en cause dans d'autres domaines sa durabilité culturelle unique.


Même si les dirigeants du PCC affirment vouloir poursuivre dans la voie chinoise du développement, leur pratique s'écarte de la tradition chinoise. La Chine impériale, persuadée de sa supériorité culturelle, n'a pas recherché l'hégémonie politique et la colonisation de territoires lointains, contrairement aux empires occidentaux. Sa tutelle sur ses voisins immédiats, gagnés au modèle chinois, répondait d'abord à des questions de sécurité et le "tribut" acquitté par ces pays était symbolique. Par contre, ces dernières années, on voit la Chine affirmer sa présence directe dans des pays lointains, soit clients, soit fournisseurs de matières premières. Un des aspects les plus visibles est la prise de possession des surfaces agricoles partout sur la planète afin de répondre aux besoins alimentaires croissant de sa population. De même, des commentateurs ont cru voir la main de la Chine dans les soubresauts politiques récents de certains pays africains.

5 commentaires:

  1. Article intéressant, mais le dernier paragraphe parait discutable: l'imperialisme chinois semble peu marqué par rapport à l'impérialisme américain, en particulier l'ingérence politique est a très faible, notamment dans les pays africains. Bref la tradition chinoise semble finalement assez respectée.

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  2. Pratiquement, tous les empires ont disparu pour avoir pratiqué l'usure, c'est à dire le prêt d'argent avec intérêt, et celà depuis 14000 ans environ.Apparemment, la Chine semble s'entendre avec la Russie et l'Iran pour effectuer leurs échange avec une devise calée sur l'or métal. Les banques internationales qui possédent les banques centrales réputées indépendantes (des gouvernements) vont-elles pouvoir s'y opposer?

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  3. L'histoire, à lire :
    https://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20171222.OBS9679/l-europe-a-construit-sa-domination-en-ecrivant-l-histoire-des-autres.html

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  4. Questionnaire de nouvel an (à l'intention d'Herblay).

    Imaginons que, pour une raison ou pour une autre, des millions d'Anglais et d'Américains souhaitent s'installer en France et y obtenir le droit de vote.
    Imaginons que les partis de droite, pressentant que cela va leur permettre d'appliquer leur programme (Anglais et Américains étant plus néolibéraux que les Français) fassent tout pour leur faciliter l'immigration et l'accession à la citoyenneté.

    Question 1 : dans ce cas, seriez-vous en mesure d'y faire face intellectuellement, en expliquant clairement la manipulation à votre électorat cible ? De leur dire clairement "il faut que la France reste la France, donc les anglo-saxons ne peuvent pas devenir une part important de ses citoyens" ?

    Imaginons de plus qu'après quelques lustres de telle politique, l'Insee sorte une étude montrant que les descendants de ces anglo-saxons sur deux générations, y compris mariages mixtes, sont près de 20% d'une génération.

    Question 2 : approuveriez-vous, dans ces conditions, ceux qui pourraient essayer de nier le problème en prétendant que leurs adversaires qui souhaitent au contraire en parler ont une conception raciste de la citoyenneté ?

    Imaginons à présent que, sur les questions 1 ou 2, vous ayez une attitude différente de celle que vous avez honteusement adoptée sur les questions similaires qui se posent pour l'immigration musulmane.

    Question 3 : cette différence supposée de comportement ne révèlerait-elle pas une incapacité à traiter de la même manière des situations pourtant similaires ? Ne pourrait-on pas alors parler de manque de rigueur et de lâcheté intellectuelle ?

    NB Inutile de vous fendre d'une réponse sur ces questions, bien entendu. Nul ne doute, en effet, de votre capacité à noyer le poisson ; mais cette capacité explique aussi pourquoi il n'y aura jamais "d'alternative", contrairement à votre conclusion du billet précédent.

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    1. Pourquoi multiplier les questions (et poster deux fois le même message, après l'article du 31 décembre, puis après celui du 2 janvier) pour conclure que, bien évidemment, vous réfutez par avance toute réponse qui pourrait vous être apportée par celui à qui vous vous adressez ? En gros, vous êtes en accord avec vous-même et tenez à le faire savoir publiquement. Nous voilà bien avancés.

      Et que dire de l'hypothèse (qu'il serait presque trop flatteur d'appeler heuristique…) selon laquelle des anglo-saxons "néolibéraux" seraient désireux de s'installer en France ? Même accommodée à la sauce Macron, la France est et restera longtemps encore un bagne étatiste à fuir pour des néolibéraux. Quant à l'idée selon laquelle l'installation d'Américains ou de Britanniques en France relèverait d'une situation "similaire" à l'immigration musulmane issue de pays du Tiers-Monde ou émergents d'Afrique et d'Asie, on ne sait s'il faut la qualifier de cocasse ou de grotesque.

      Votre conception de ce qui construit l'identité d'un individu n'a par ailleurs rien à envier aux lois de Nuremberg : à vos yeux, même les descendants à la deuxième génération d'unions mixtes entre Français et États-Uniens ou Britanniques mériteraient d'être considérés comme susceptibles de mettre en danger l'homogénéité de la nation en diffusant en son sein l'affreux virus néolibéral hérités de leurs ancêtres… Que vous accordiez foi à cette coquecigrue ou que vous prétendiez l'attribuer à L. Herblay, dans les deux cas vous nagez en plein délire.

      En résumé, vous comparez des déambulateurs et des pastèques en imaginant par ce biais mettre L. Herblay en contradiction avec lui-même. On comprend mieux que vous ne souhaitiez pas qu'on vous apporte la contradiction.

      YPB

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