dimanche 18 septembre 2011

Jean-Luc Gréau critique le néolibéralisme (2/2)

L’immense intérêt du livre de Jean-Luc Gréau est, qu’outre un constat très solide et argumenté, il propose également des solutions pour combattre les dérives qu’il a identifiées.


Même s’il ne fait jamais mention du Général de Gaulle, certaines remarques de l’auteur sont profondément gaullistes. Il soutient ainsi qu’ « il n’existe pas d’exemple de développement réussi qui n’ait été fondé sur une volonté et une vision nationales ». Sa vision des relations au sein des entreprises rappelle aussi fortement le projet de participation et la meilleure association du capital et du travail que le fondateur de la Cinquième République a défendu. Il se demande ainsi « pourquoi les droits de l’actionnaire priment sur ceux des salariés, apporteurs de travail, et des créanciers, apporteurs de crédit » et propose une meilleure association de tous à la marche des entreprises.


Mais le principal apport de Jean-Luc Gréau dans ce livre est sa proposition de néo-protectionnisme. En fait, pour éviter que la concurrence commerciale entre les nations ne débouche sur un alignement par le bas des salaires, des systèmes sociaux et de toute forme de régulation, il propose d’encadrer le commerce en créant des marchés communs régionaux dans les principales zones économiques mondiales. Cette proposition, proche du Marché Commun originel, reviendrait à établir des marchés libres dans les zones économiques comparables et davantage encadrer et limiter le commerce entre ces grandes zones régionales. À ceux qui pourraient parler d’un retour en arrière, on pourra signaler qu’au sein de l’Union Européenne, plus de la moitié des échanges se font entre pays européens… Ainsi, pour vendre dans une région, il faudrait produire dans cette région, la taille des zones assurant une concurrence suffisante pour les consommateurs.


L’auteur affirme que cela « a pour but de remettre les entreprises dans le champ de la responsabilité collective, après vingt années durant lesquelles les scrupules anciens de leurs dirigeants se sont progressivement évanouis au vent du grand large mondialiste ». Il souligne que le mouvement actuel ne permet absolument pas une intensification de la concurrence ni même une spécialisation des économies, mais uniquement un transfert massif des activités industrielles vers une seule région. Ainsi, chaque zone aura ses réglementations sociales et environnementales, qui se feront moins concurrence, ce qui permettra une convergence progressive vers le haut plutôt que vers le bas. Jean-Luc Gréau souligne également qu’une telle réorganisation permettra une meilleure préservation de l’environnement.


Concernant la régulation des marchés, il fait plusieurs propositions volontiers radicales. Il propose un traitement différencié des actionnaires en fonction de leur engagement dans le capital d’une entreprise et de créer un lien contractuel et des droits renforcés en cas d’engagement durable. Mais c’est surtout sa critique radicale des marchés qui engendre une de ses propositions les plus surprenantes : la suppression de la Bourse pour les entreprises. Constatant l’incapacité des marchés à correctement évaluer les entreprises ou les innombrables effets pervers induits (temps perdu pour l’information financière, pression des résultats trimestriels, rachats d’action…), il suggère de remplacer les bourses par les Private Equity, fonds qui investissent dans les entreprises non cotées, pour instituer un véritable rapport de travail entre l’entreprise et ses actionnaires, davantage informés et impliqués dans sa gestion.


J’avoue que je suis un peu sceptique sur ce dernier point. Outre la mise en place pratique, s’il est vrai que ces fonds ont une vue qui dépasse le trimestre, les objectifs qu’ils assignent à moyen terme aux entreprises (pour les revendre le plus cher possible) peuvent parfois être néfastes à plus long terme. Ensuite, je ne suis pas convaincu que cela limiterait le nombre de fusions et acquisitions, au contraire. À mon sens, la complexité qu’introduit le marché rend finalement plus compliquées des transactions qui seraient finalement assez simples de fonds à fonds… Il faut noter également que Jean-Luc Gréau prend position contre la taxe Tobin car il juge que les niveaux envisagés ne permettront pas de réellement influencer les marchés. À titre personnel, je crois à cette taxe pour deux raisons : permettre une meilleure contribution du monde financier à la collectivité et également limiter une certaine spéculation court-termiste.


Mais ces deux bémols ne sont rien à côté de l’apport immense de l’auteur à une réflexion économique dépourvue des tabous idéologiques de la plupart des commentateurs actuels. Je vous recommande donc très vivement sa lecture, qui ira bien au-delà de ce court et incomplet résumé.


Source : « L’avenir du capitalisme », Jean-Luc Gréau, NRF, texte publié en juillet 2008

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