mercredi 21 mars 2012

Le retour vers le futur des inégalités


Il y a dix jours, The Economist a fait un papier très intéressant sur la croissance des inégalités, indiquant qu’elles repartaient à la hausse et que ce thème a toutes les chances de s’inviter dans le débat politique.

Une pause et cela reprend

L’hebdomadaire britannique commence par reprendre les travaux d’Emmanuel Saez, un économiste de Berkley qui a fait des études sur l’évolution des inégalités de revenus depuis 1913. C’est lui qui a inspiré les travaux de Camille Landais et Thomas Piketty en France. Il montre que les 10% qui gagnent le plus gagnent 46% des revenus totaux aujourd’hui, comme à la fin des années 1920 et au début des années 1930, contre un peu plus de 30% de 1940 à 1980.

Le 1% qui gagne le plus concentre environ 18% des revenus, à peine moins que le pic de 1929, contre 8% de 1960 à 1980. Enfin, le 0,1% qui gagne le plus a touché 12% de l’intégralité des salaires en 2007, battant largement le record de 8% de 1929, après être tombé à 2% en 1973. The Economist affirme que de 1993 à 2010, plus de la moitié des gains de revenus aux Etats-Unis sont allés au 1% qui gagne le plus, démontrant que l’économie ne tourne que pour une petite minorité.

Assez logiquement, les revenus des plus riches ont plus baissé que la moyenne avec la crise. The Economist évoque une chute de 36% des revenus des 1% les plus riches de 2007 à 2009, contre 11,6% pour les 99% restant. Mais il semblerait que ce ne soit qu’une pause puisque leurs revenus ont progressé de 11,6% en 2010 par rapport à 2009, quand ceux des 99% restants n’ont progressé que de 0,2% ! A priori, la tendance devrait rester la même ensuite…

Un problème politique

The Economist avait déjà souligné que le thème des inégalités s’impose dans la campagne électorale aux Etats-Unis. Le mouvement « Occupy Wall Street » s’est cristallisé autour du thème des 99% contre les 1% qui accaparent une part trop grande de la richesse du pays. Barack Obama s’est positionné sur la question en demandant l’instauration d’un impôt plancher pour éviter que les millionnaires ne parviennent à éviter l’impôt en utilisant les niches fiscales.

Il a également déjà annoncé qu’il comptait revenir sur les baisses d’impôt de Georges Bush et rétablir un taux marginal d’impôt sur le revenu de 39,6%. Certes, nous restons loin du taux de 91% instauré par Franklin Roosevelt en 1944, certes en pleine guerre, mais il ne faut pas oublier que le taux marginal d’imposition était encore à 70% aux Etats-Unis en 1980 ! Même The Economist souligne que si la tendance continue, alors le débat politique pourrait changer.

En effet, le système actuel n’est absolument pas juste. Il n’est pas normal que la quasi totalité de la croissance ne profite qu’à une petite minorité. Tocqueville avait dit que « préoccupés du seul soin de faire fortune, les hommes n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous ». On peut voir dans ce sentiment une raison du succès de Jean-Luc Mélenchon ou de la proposition de François Hollande d’une tranche à 75%.

Le débat sur les inégalités va continuer à fortement influencer le débat politique tant nous sommes revenus à une situation extrême. Même si la France n’est pas les Etats-Unis, la tendance est la même et elle n’en est pas moins inacceptable.

13 commentaires:

  1. Depuis a peu près 10 ans je "prophétise" que ca va se terminer par :
    - 100 millions de riches
    - 2 milliards qui travaillent pour eux et pour eux-mêmes
    - 5,6,7 milliards dont plus personne n'a rien à faire.

    Puis-je me tromper !

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    1. D'où la nécessité d'un revenu garanti qu'aucun politique n'évoque, à part Villepin qui est hors course.

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    2. Il est vrai que le concept de J.Marseille est intéressant: http://postjorion.wordpress.com/2012/03/17/234/ d'autant qu'il évite le maquis des allocations, aides et bourses diverses et en corrige les effets pervers (et en simplifie la gestion et donc le coût de celle-ci).
      On peut aussi appliquer cela à la Sécurité sociale: tout Français aurait droit à la SS de base (qu'il travaille ou pas) ainsi que tout étranger en situation régulière. Libre ensuite aux entreprises ou aux particuliers d'en faire plus via des mutuelles ou assurances privées.

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    3. il y aura de moins en moins de "travail" c'est inéluctable les taches répétitive et de service seront dans l'avenir proche faite par des robot; c'est déjà le cas en partie et la majorité des économistes en sont resté au quantitatif . Nous pouvons ralentir le phénomène par un grand bond en arrière religieux comme le christianisme qui nous a couté 2000 ans de stagnation pourquoi ne pas parier sur l'islam ; mais sur une échelle millénaire c'est reculer pour mieux sauter

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    4. désolé j'ai un vrai problème avec les "s"

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  2. @ André-Jacques

    Il y a un moment, une majorité ne pourra pas accepter que celle une petite minorité profite du système....

    @ Olaf

    Il faut que je travaille sur le sujet. cela semble intéressant.

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    1. A mon avis, l'une des meilleures synthèses sur le sujet :
      http://jeanzin.fr/index.php?article/2011/12/14/Un-revenu-pour-travailler

      Un colloque en Mars sur le sujet :
      http://calenda.revues.org/nouvelle21721.html

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    2. il y a au moins 2 sujets sur lesquels DLR doit se prononcer c'est le revenu garanti ou universel (il existe plusieurs formules ) et la conférence de citoyens qui permet d’améliorer la démocratie et qui est une formule plus légère que le referendum

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  3. Et le "pire", c'est qu'avoir de la croissance n'est pas en soi un facteur de comblement des inégalités, on en a suffisamment eu la démonstration en Europe depuis 2008...

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  4. @Laurent

    Justement, à ce propos, pourquoi le programme 2012 de DLR n'est-il pas plus ambitieux en allant au delà d'une nouvelle tranche d'imposition avec un taux marginal à 50% ?

    Si cette proposition était un marqueur fort il y a quelques années, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui.

    Et question subsidiaire, est-ce que cela aurait un sens de coupler de nouvelles tranches d'imposition avec une niche fiscale pour (par exemple) l'investissement de longue durée dans des PME innovantes ayant leur activité en France (ou autre) - un outil de plus pour réorienter l'épargne ?

    Merci d'avance pour votre éclairage.

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  5. "Diminuer le taux d'imposition du capital ne mettre pas un turbo à l'économie, et l'augmenter ne provoquera pas de dépression."

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2012/03/21/pas-de-correlation-evidente-entre-taxation-du-capital-et-taux-de-croissance_1673281_3234.html#xtor=RSS-3208

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  6. Pour info, Emmanuel Saez n'a pas inspiré Camille Landais et Thomas Piketty: il a appliqué en 2003 avec Piketty (article joint publié dans QJE 2003) les méthodes mises au point par ce dernier pour étudier l'évolution historique des inégalités en France (Les hauts revenus en France au 20e siècle, Grasset 2001. Ceci est expliqué clairement sur le site "World Top Incomes Database". Pour une fois que l'innovation vient de la France, pas la peine de l'attribuer aux Etats-Unis!

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  7. @ Anonyme

    Merci pour ces précisions.

    @ Olaf

    Merci pour le second lien. J'avais vu. Il faut que je travaille sur cette histoire de revenu citoyen. Merci pour les liens qui vont me permettre de réfléchir à cette question.

    @ Marco

    Votre point n'est pas faux. Le débat a beaucoup évolué par rapport au moment où nous avions bouclé notre programme fiscal, qui était alors en avance (le PS ne proposait alors que 45% comme tranche marginale). Hollande pose une question légitime.

    Sur les niches fiscales, j'ai tendance à être assez radical, et assez proche des analyses de Piketty et Landais, à savoir toutes les supprimer à peu de choses près.

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