vendredi 24 août 2012

Le scandale de la fiscalité pétrolière


François Hollande avait promis de bloquer les prix de l’essence pendant la campagne présidentielle. Jean-Marc Ayrault vient de s’asseoir sur cette promesse en proposant une baisse « modeste et provisoire » des taxes sur l’essence. L’occasion de décrypter la fiscalité pétrolière.

Les ménages, dindons de la farce pétrolière

Selon les statistiques du Comité Professionnel Du Pétrole, en 2010, la France a consommé 10,9 milliards de litres de sans plomb, 39,7 de litres de gazole, 15,3 de litres de fioul domestique, et 7,3 de litres de kérosène. Mais leur fiscalité est très variable. Quand un litre de sans plomb rapporte près d’un euro de taxes diverses (60% du prix), le chiffre tombe à un peu plus de 60 centimes pour le gazole et un peu plus de 20 centimes pour le fioul domestique. Le kérosène, lui, n’est pas taxé.

Mais outre l’exemption du kérosène, il ne faut pas oublier que d’innombrables activités sont exonérées de taxes, comme les taxis, les transports publics, le transport routier de marchandise et l’agriculture. En fait, sur les plus de 70 milliards de litres consommés en France, environ une vingtaine seulement subissent une forte fiscalité (au moins proche de 50%) : ce sont uniquement les carburants utilisés par les ménages pour leurs déplacements avec leur automobile et rien d’autre !

Dans l’absolu, on peut questionner une compensation par l’Etat de l’augmentation du prix de l’essence. En effet, cela ne pousse pas à réduire la consommation et donc entretient la hausse des prix. Mais dans un contexte comme aujourd’hui, où le pouvoir d’achat est en baisse et où il est difficile pour les ménages de baisser leur consommation (il est souvent difficile de déménager, de changer de voiture, ou de passer aux transports collectifs), une réaction publique est impérative.

Une aberration écologique

Sur le fond, il est logique de taxer les produits pétroliers. La France n’en produit pas. Ces ressources ne sont pas renouvelables. Elles ont des conséquences négatives sur l’environnement. Il est donc normal de les taxer pour compenser leur impact négatif sur le pays et pousser à une utilisation frugale. Mais le système actuel est totalement ubuesque. Seul un quart environ de la consommation est fortement taxé alors que le reste ne l’est pas (kérosène, une part du gasoil) ou peu (fioul).

Ce n’est pas en exonérant plus de la moitié de notre consommation de taxes que l’on va avoir un impact sur la consommation ! Pire, l’exemption du kérosène est totalement illégitime car le CO2 produit en altitude serait beaucoup plus nocif pour l’environnement (outre le fait qu’elle soit injuste). La TIPP (une prémice de taxe carbone) est d’ors et déjà un véritable gruyère fiscal grignoté par de si nombreuses exemptions qu’elles rendent illusoire tout effet dissuasif sur la consommation globale.

Pour une fiscalité plus juste

Sur le principe, en période de croissance, il est logique d’augmenter la fiscalité sur les produits pétroliers. Mais comme nous sommes en crise, il serait bon de baisser d’au moins 10 centimes le prix de l’essence pour soulager les ménages piégés par la hausse des prix. Et cela n’est pas très compliqué. Après tout, taxer à 50 centimes le litre de kérosène rapporterait la bagatelle de 3,6 milliards d’euros, permettant de réduire de près de 8 centimes le prix du gasoil et de l’essence !

Plus globalement, il faut faire converger la fiscalité et faire primer l’intérêt général sur les intérêts particuliers. Certes, il faudra sans doute faire cela sur quelques années pour lisser les effets. En outre, si la France adopte une fiscalité très différente de nos voisins (sur le kérosène et le gasoil), il faudra, soit convaincre nos partenaires de faire de même, doit trouver des mécanismes compensatoires pour éviter de pousser l’activité hors de France (pour les compagnies aériennes notamment).

En tout cas, le débat actuel a le mérite de faire apparaître que la fiscalité pétrolière actuelle est totalement injuste et que les ménages sont les dindons de cette farce. Alors qu’il y a tant de moyens de financer une baisse du prix de l’essence, la réaction du gouvernement n’en est que plus dérisoire.

Contrairement à ce que j’ai annoncé sur Twitter, j’ai décalé à demain le début la publication de mon compte-rendu du prochain livre de Paul Krugman car je n’étais pas encore totalement satisfait de mes papiers.

11 commentaires:

  1. Pour une fois je ne suis pas tout à fait d'accord avec votre conclusion.

    Même s'il est incompréhensible que certaines activités polluantes ne soient pas taxées il ne faut pas oublier qu'au final c'est toujours le consommateur qui paiera les taxes.

    Taxer l'agriculture ? Au final le prix des produits alimentaires augmenterons.
    Taxer les transports publics au même taux que l'essence ? Au final cela incitera à prendre leur voiture et donc à polluer d'avantage.

    Est-il normal que les taxis parisiens ne payent pas de taxes alors que le réseau de transports en commun est dense ? Au contraire, il n'est pas forcément choquant que les taxis en province (où il n'y a pas de réseau de transports en commun) soient favorisés. Cela permettra peut être d'éviter que les gens achètent une voiture individuelle.

    De la même façon pour le prix de l'essence, est-il normal que les stations parisiennes soient taxées de la même façon qu'une station en grande banlieue ou en province ?

    Je pense qu'il faut revoir le système, pas pour faire converger les taxes mais pour taxer les activités les plus polluantes quand il n'existe pas d'alternative.

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  2. la bourse du matif à chicago donnent du pouvoir d'achat aux cultivateurs; comment se débarrasser de cet intrument qui joue avec la faim dans le monde.
    André JACQUES SD de Moselle

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  3. @ Anonyme

    Je suis d'accord pour l'agriculture. Mais cela doit s'accompagner d'une politique de soutien global à la filière en restaurant les prix minimums que la réforme de la PAC a supprimé, ce qui permettrait aux agriculteurs de vivre de leur travail.

    Je trouve qu'il est absurde d'avoir de telles différences de fiscalité sur les produits dérivés du pétrole. Ce gruyère fiscal limite l'effet sur la consommation et je crois que c'est profondément anti-républicain. Ce sont les lobbys qui font notre fiscalité.

    Après pour certaines catégories, cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas mettre en place des mesures d'accompagnement pour éviter de les pénaliser lourdement.

    @ André

    Très juste. Il faut interdire la spéculation sur les MP.

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    1. Bonjour Mr Pinsolle

      Vous dites qu'il faut interdire la spéculation sur les matières premières. Que sur les MP ?!

      Si je peux adhérer à l'idée générale de votre chronique ci-dessus, je la considère essentiellement "évangéliste".
      Vous ne pouvez ignorer que c'est tout le système qui doit être reconsidérer, et non pas le seul fiscal. Les puissants réseaux et cercles qui font notre République, l'Europe, le Monde, n'ont pas l'intention de s'en laisser conter et encore moins dépouiller.
      Il serait malvenu de l'occulter ou l'ignorer, et d'en tenir compte permet de mieux comprendre le sens de telle ou telle autre nomination à un poste clé.

      La malaise est général et le gouffre si profond qu'il est devenu insondable.

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    2. @ Arsenic

      Pas uniquement sur les MP bien sûr cf le papier consacré à la réforme de la finance :

      http://www.gaullistelibre.com/2012/06/18-propositions-concretes-pour-reguler.html

      Evangéliste ? Je ne saisis pas bien. Pas d'accord sur la suite du commentaire. A supposer que ce soient véritablement ces cercles qui fassent la politique (ce que je ne crois pas), de toutes les façons, le système actuel (que je crois principalement informel, et fruit du hasard) est tellement dans une impasse qu'il vaut mieux se contenter de la démontrer. S'encombrer d'une telle dénonciation, c'est se battre sur deux fronts. Je crois qu'il est beaucoup plus efficace d'en choisir un pour pouvoir enfin changer les choses.

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  4. La France produit 20000 barils de brut par jour et des société comme toreador s’intéresse de près a l'huile de schiste du bassin parisien ( bien sur problème d'extraction par fracturation ou vapeur ) qui nous assurerait une cinquantaine d'année de consommation actuelle ( mais a voir ) .
    Sur la taxation je suis partagé ; ou nous décidons de nous passer de pétrole a terme et nous taxons fort tous les produit pétrolier de façon a ce que les produits de remplacement soient mis en œuvre rapidement ( c'est plutôt mon choix car dans le sens de l'histoire et volontariste ) ou c'est le laisser faire et advienne que pourra .
    Quand aux promesses de Hollade ce n'est même pas la peine d'en parler

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  5. Et ne pas oublier l'essence a une TIPP plus forte que le gasoil sans aucune raison valable. D'ailleurs le bon sens voudrait que le gasoil, enfin reconnue cancérogène, soit plus taxé que l'essence, surtout qu'il est également plus énergétique au litre. De plus, on produit trop d'essence et pas assez de diésel...
    Mais bon, les constructeurs autos français ont choisit le diésel...

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  6. @ Patrice,

    Assez naturellement, je fais le même choix que vous pour la taxation.

    Il y a en effet l'option des huiles de schistes, à condition de les exploiter de manière propre.

    @ Alain34

    Très juste. Cela est totalement injuste. Un autre exemple de la fiscalité à géométrie variable sur le pétrole. Merci de l'avoir rappelé.

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  7. N'y a-t-il que moi qui s'inquiète de l'impact qu'aurait une éventuelle taxation du kérosène sur le budget carburant - colossal, près du tiers des coûts opérationnels totaux - notamment de notre compagnie aérienne "nationale", Air France ?

    Quand il est un secret de polichinelle que tant d'autres compagnies en particulier du Golfe (Emirates, Etihad, Qatar Airways,etc...), profitent de la manne pétrolière de leurs émirats respectifs à des prix sacrifiés, et taillent des croupières aux compagnies européennes surtout sur les trajets long-courriers, les plus profitables pour ces dernières.

    On voudrait les achever, elles qui sont déjà au prise de difficultés difficilement surmontables, que l'on ne s'y prendrait pas autrement.

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  8. @ Julien

    Très juste. Il ne s'agit pas de tirer dans le pied d'Air France (c'est ce que je voulais dire en parlant de mécanismes compensatoires pour éviter de pousser l'activité hors de France). Soit nous parvenons à convaincre nos partenaires européens de faire de même (ce qui est possible), soit nous mettons en place des taxes compensatoires, des quotas ou tout autre mesure pour éviter que notre compagnie nationale n'en pâtisse.

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  9. En liminaire, il est rien moins que prouvé que les émissions de CO2 d'origine humaine aient une quelconque influence sur le climat, et quand bien même ce serait le cas l'effet des très onéreuses mesures françaises pour limiter ces émissions est tellement infinitésimal (voire contre-productif comme dans le cas des éoliennes) que c'en est un aberration.

    @Alain34: il est tout à fait logique de moins taxer le gasoil: le rendement d'un diesel est meilleur que celui d'un moteur à essence, donc toutes choses égales par ailleurs un diesel consomme moins d'une matière première jusqu'ici importée.

    Et effectivement, depuis peu, les réserves de pétrole et de gaz prouvées en France, de schiste et dans le golfe du Lion, nous donneraient à ce jour une quarantaine d'années d'autonomie.

    Il s'agit d'un changement de donne absolument majeur pour la France, la meilleure nouvelle de ces cinquante dernières années, et il est proprement stupéfiant que les réactions médiatiques oscillent entre l'hostilité et l'indifférence.

    L'exploitation de ces ressources, particulièrement dans le contexte actuel, devrait être LA priorité nationale!

    Nous sommes redevenu un pays riche en ressources naturelles! c'est une nouvelle extraordinaire!

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