dimanche 7 octobre 2012

Le football, illustration des dérives néolibérales


Inflation délirante des salaires, bulles de dettes, déficits abyssaux, inégalités crasses entre les clubs normaux et ceux qui sont soutenus par de riches mécènes : et si le football européen était le meilleur symble des dérives du néolibéralisme ?

La grande bulle footballistique

Les chiffres donnent le tourni. Zlatan Ibrahimovic devrait toucher la bagatelle de 9 millions d’euros net par an, soit l’équivalent d’environ 700 SMIC. En 7 mois, il touchera l’équivalent d’une vie de travail au SMIC, illustrant bien l’envolée des inégalités évoquée par Joseph Stiglitz dans son dernier livre. Néanmoins, il faut souligner que cela rapporte beaucoup à l’Etat puisque le coût complet du joueur du PSG approche les 20 millions, soit 11 millions de cotisations et impôt sur le revenu.

Mais ce cas emblématique illustre deux zones d’ombre importantes de la planète football. Aujourd’hui, du fait de riches mécènes, certains clubs peuvent totalement se passer des règles de bonne gestion. Les Echos, dans un très bon dossier, évoquait le cas du club de Manchester City, détenu par un membre de la famille royale d’Abu Dhabi, qui a investi plus de 300 millions d’euros en transfert et qui affichait un déficit abyssal de 232 millions d’euros sur la saison 2010-2011.

Plus globalement, les clubs européens vivent au-dessus de leur moyen puisqu’en 2010, ils ont perdu la bagatelle de 1,64 milliards d’euros (pour des revenus de 12,79 milliards) et présentent une dette brute de 15 milliards (6,9 milliards de dettes nettes estimées). Les clubs espagnols sont parmi les plus mauvais élèves puisqu’ils cumulent un tiers de la dette brute totale. L’Etat a même passé un protocole d’accord qui lui permettra de saisir une partie des droits de télévision pour récupérer l’argent qui lui est dû. Le roi avait été contraint d’effacer une partie des dettes du Real il y a 10 ans !

Irrationnel et exubérant

Il est difficile de ne pas appliquer les adjectifs jadis attribués par Alan Greenspan aux marchés financiers au football européen. En effet, le château de carte ne tient que parce que les revenus continuent à progresser et que la valeur des joueurs se maintient. Mais imaginons que la nouvelle récession que traverse l’Europe provoque une baisse des revenus des clubs de football. Alors, ce serait un véritable désastre économique pouvant aboutir à l’effondrement des clubs.

En effet, les salaires sont souvent négociés sur une longue durée. Pire, en cas de difficulté économique, la valeur des joueurs s’effondrera, provoquant de nombreuses reventes, qui feront baisser les prix du marché, et donc exploser la dette nette des clubs (puisque la valeur des actifs baissera fortement). Bref, le football européen n’est pas loin d’un krach, qui renforcerait encore les clubs détenus par de très riches mécènes, qui auront toujours les poches assez pleines pour les sauver.

C’est pourquoi les dernières initiatives de l’UEFA sur le fairplay financier, promues par Michel Platini, sont les bienvenues. Elles devraient imposer aux clubs de ne pas dépenser plus qu’ils ne gagnent. On pourrait également se demander s’il ne faut pas aller plus loin. Il est intéressant de constater que les Etats-Unis ont mis en place des systèmes visant à rebattre les cartes, avec le système de draft en basket ball, qui permet aux plus petits clubs de choisir les meilleurs jeunes.

Parce que le football est le sport préféré des européens, il convient d’en moraliser les pratiques financières. Quel exemple donnons-nous à notre société quand l’abitraire et l’indécence l’emportent sur tout le reste et que des clubs peuvent vivre en dehors de toute réalité économique ?

3 commentaires:

  1. Pour la comparaison avec les sports US, il y a une différence majeure. Ce sont des ligues fermées, il n'y a donc pas de montée ni de relégation sportive. Il y a aussi d'autres travers qui paraîtraient incongrus en Europe. Ce sont des franchises et elles peuvent tout simplement déménager vers la localité la plus accueillante. (c'est pourquoi il y a eu une certaine "migration" sur des années du Nord Est vers le Sud et l'Ouest).

    Paradoxal football sans frontière mondialisé avec certaines équipe sans aucuns joueurs nationaux dans leurs rangs mais malgré tout avec un encrage local qui reste fort.

    Sinon, vous n'aborder le sujet il me semble que par le prime de l'arbre qui cache la foret. Car s'il y a le PSG et le cas Zlatan Ibrahimovic c'est l'exception. Le reste de la ligue 1 n'a pas fait de folie. Lyon a même revendu son gardien titulaire, à la dernière minute du marché des transferts chose qui se fait rarement pour ce poste et pour faire des économies. Marseille non plus n'a pas fait de folie, effectif très stable.

    De plus même pour les joueurs, je ne suis pas certain que le salaire médian de la ligue 1 progresse au contraire. Bien sur les joueurs du PSG voient leurs salaires progresser mais le reste ?

    Car il y a bien une concentration vers certains clubs et pour certains joueurs.

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  2. @ Bowthan

    Merci pour ces précisions. J'ignorai le point sur la migration des franchises.

    Certes, le cas PSG est l'arbre qui cache la forêt, mais cela introduit une forte distorsion pour la ligue 1. Cette concentration rappelle la concentration qui a lieu dans de nombreuses industries, et qui ne me semble pas forcément profitable à l'intérêt général.

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  3. Article très judicieux.

    Et pas du tout anecdotique à mon sens. Le sport professionnel fonctionne à la fois comme un miroir et comme un laboratoire du néo-libéralisme. Le buzz continuel autour des transferts est très marquant de ce point-de-vue. Pour le véritable amateur de sport, c'est à la fois prodigieusement ennuyeux et comme une injure permanente à l'esprit d'équipe; d'un point-de-vue plus moral, c'est aussi une indécence caractérisée, mais c'est encore une perpétuelle publicité des principes les plus pervers d'une société où le gagnant serait fondé à tout prendre.

    Or le nombre de gagnants et les sommes en jeu sont suffisamment importantes pour être tout à fait significatifs. Là comme partout où les gens gagnent trop, l'argent ponctionné sur la société est en grande partie immobilisé. Que les ponctionnés soient volontaires ne changent rien à l'affaire. Il est évident que les mêmes sommes mieux réparties profiteraient mieux à tous. Dans la mesure où les collectivités publiques jouent un rôle majeur par le biais de la formation, des subventions ou de la mise à disposition des installations, de nombreuses choses pourraient être faites pour réguler l'inflation des sursalaires. Là comme ailleurs l'inégalité a un prix et on doit limiter les dégâts qu'elle occasionne.

    L'actualité (avec l'affaire des paris du handball) permet aussi d'aborder la question du financement du sport sous certaines formes perverses. Presque toutes les fédérations ont foncé tête baissée dans cette direction au moment où Sarkozy libéralisait radicalement le secteur des paris. Ici encore, le dol est terrible pour l'amateur de sport condamné à subir les incessantes discussions d'épicier que l'activité entraîne. On sait aussi les dérives que la généralisation de cette pratique favorise (contrôle mafieux des paris, matchs truqués etc.), mais il faut aussi voir qu'économiquement, si on envisage le problème de manière globale, c'est le mode de financement le plus dispendieux qu'on puisse imaginer.

    Si une part des profits des agences de pari revient bien au sport (et une autre à l’État), la ponction qu'elles réalisent ne correspond en effet à aucun service socialement utile . C'est donc un pur parasitage et on doit pouvoir comparer leur rôle à celui des Fermiers Généraux de l'Ancien-Régime.

    Emmanuel B

    PS : la lecture de Stiglitz est un très bon aliment pour de telles réflexions. Merci de l'avoir chaudement recommandé.

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