lundi 26 août 2013

François Lenglet, malgré tout, un peu trop bien pensant


Après avoir étudié en quoi les constats de François Lenglet sont étonnamment proches de ceux des milieux alternatifs sur l’analyse de la crise financière, de celle de la zone euro et de son traitement et ses critiques sur la monnaie unique, il faut bien souligner quelques points de désaccord.



Sur l’Europe, il reste au bord du Rubicon

C’est tout le paradoxe de ce livre, comme celui de Paul Krugman : il développe longuement ses arguments contre la monnaie unique et sur les problèmes qu’elle a créés mais finit malgré tout par conclure en plaidant pour plus d’intégration européenne. L’argumentation, très courte, est à la limite de l’indigence. Il soutient ainsi que l’euro nous apporterait une augmentation des échanges commerciaux, une solidité financière et monétaire et nous permettrait de peser plus dans le monde. Le premier argument est contestable puisque le taux d’intégration du commerce européen n’a pas vraiment progressé depuis la monnaie unique. L’évocation d’une plus grande solidité financière et monétaire semble une blague au regard des trois dernières années. Enfin, sur le fait de peser davantage, cela fait des décennies qu’on évoque cette tarte à la crème théorique sans pouvoir en faire la moindre démonstration sur un quelconque sujet.

S’il admet que l’euro est trop cher pour nous, il affirme que l’euro apporte à la France des taux d’intérêts faibles. Mais un regard outre-manche permet de contester cet argument puisqu’avec un déficit deux fois plus important, Londres emprunte au même taux que nous… Ses arguments pour dénoncer les exemples avancés par les opposants à la monnaie unique sont tout aussi fragiles. Il critique la monétisation de la Grande-Bretagne, des Etats-Unis et du Japon en évoquant l’inflation et une nouvelle bulle. Mais l’inflation n’a pas dérapé dans un seul de ces pays, malgré des programmes de monétisation massifs. Mieux, l’absence de monétisation ne garantit pas d’éviter les bulles, comme on l’a vu avant 2008… Il affirme que les cas suédois et danois (hors de l’euro, et qui ne semblent pas s’en plaindre) ne sont pas représentatifs car ces pays sont compétitifs, bien gérés, petits et avec un marché du travail flexible.

Un problème de monnaie et de compétitivité

En fait, il recommande trois priorités : rigueur budgétaire, « serrer le coût du travail » (le moyen poli de dire « appauvrissement des classes populaires ») et montée en gamme. Cette dernière suggestion est juste mais c’est un travail de long terme que tous les pays dits développés, notamment en Europe, mènent, en limitant grandement le potentiel. S’il fait preuve de pragmatisme sur l’austérité en disant qu’« une bonne politique pratiquée au mauvais moment devient une mauvaise politique », il oublie que sa potion amère de baisse du coût du travail et de tour de vis budgétaire ne nous permettrait pas de retrouver la croissance. Il y a donc une incohérence dans son discours, outre quelques petites erreurs, comme quand il parle de « faillite » et non de « défaut » pour les Etats ou qu’il dit que le TCE réglait les problèmes de gouvernance en Europe, alors que le traité de Lisbonne est un copier-coller du TCE.

Ensuite, l’exemple scandinave contredit ses arguments. En effet, l’examen du bilan de la Banque de Suède montre justement que le pays a largement utilisé ce levier pour sortir de la crise, faisant passer son bilan de 200 à 700 milliards de couronnes en moins de 4 mois fin 2008 (500 milliards de couronne de plus, soit plus de 20% du PIB), pour descendre à 300 milliards courant 2011 et remonter à 450 milliards aujourd’hui. Cela avait permis de faire baisser la couronne de 20% et relancer l’économie. Et l’inflation en Suède devrait atteindre 0,2% en 2013 selon The EconomistLa monétisation ne provoque pas forcément de poussée inflationniste. Tout dépend du contexte et de la politique globale. Dommage que l’auteur se laisse aller à des caricatures, comme il l’avait fait face à NDA en avril 2012.

Malgré tout, la lecture de ce livre est intéressante et François Lenglet est utile car il dit beaucoup de choses justes et nous pouvons être heureux que ce soit lui et non Jean-Marc Sylvestre qui officie sur RTL. Et puis, même si nous ne sommes pas d’accord sur tout, il popularise bien de nos idées.

Source : François Lenglet « Qui va payer la crise ? », éditions Pluriel

14 commentaires:

  1. Ecrire 3 articles sur Lenglet, c'est lui accorder beaucoup d'importance... qu'il n'a pas ! Lenglet n'est pas un vrai économiste, il a fait des études littéraires, c'est un journaliste à la base.

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    1. Et c'est comment un vrai économiste ? Allez faire un tour à la fac et vous verrez ce qu'on y apprend en matière d'économie. Il n'y a pas d'experts en économie, seulement des universitaires, des intellectuels, des journalistes, des blogueurs, des citoyens... Alors, merci de poser le tampon "vrai économiste" et vive le débat.

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    2. Économiste est ce un bullshitboulot ? ( terme de merglish bien connu )

      http://www.slate.fr/story/76744/metiers-a-la-con

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    3. @ Rieux
      "C'est comment un vrai économiste ?" Vous devriez en lire quelques uns, vous verriez la différence avec Lenglet...

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    4. Il n'est nullement indispensable d'être économiste de formation et de profession pour bien comprendre l'économie, si l'on a beaucoup lu, beaucoup observé, beaucoup réfléchi. Mais on risque de se retrouver un peu court sur certaines questions techniques, où notamment une bonne maîtrise de l'économétrie est utile.

      Le problème est ailleurs. Un économiste/historien/sociologue/etc. de profession travaille sous le contrôle de ses pairs qui veillent à ce que ses travaux satisfassent à certaines exigences épistémologiques. Si tel n'est pas le cas (plagiat, insuffisance ou mauvaise citation des sources, falsification des données, erreur de calcul…), sa réputation professionnelle risque d'être mise en cause. Ce n'est certes qu'un risque, et le monde universitaire grouille d'escrocs et d'incompétents qui ont su faire carrière.

      Mais il y a parfois des scandales assez retentissants comme on l'a vu récemment avec l'affaire Reinhart-Rogoff. Qu'on se rappelle aussi la manière dont Frederic Mishkin avait été mis en cause pour avoir rédigé un rapport délirant d'optimisme sur le système financier islandais, deux ans avant son effondrement.

      Un journaliste économique comme Lenglet est à l'abri de cette pression. Ses articles ne seront pas soumis à un comité de lecture scientifique, ses erreurs de jugement ou les inexactitudes factuelles de détail qu'il aura colportées n'auront aucun impact réel sur sa réputation professionnelle.

      Je me souviens d'une vieille polémique à propos du traitement de Dien Bien Phu par Henri de Turenne, dans la série de documentaires télévisés sur les grandes batailles dont il avait assuré l'écriture. On lui avait reproché d'avoir utilisé sans distance critique la présentation de la bataille par la propagande du Viet-Minh. Il s'était simplement défendu en arguant que l'histoire était faite par les vainqueurs et, qu'après tout, il était journaliste et scénariste, et non pas historien de métier.

      YPB

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    5. Selon l'ONISEP "La mission essentielle du journaliste consiste à transmettre une information sur n'importe quels sujet et support, en la rendant compréhensible et accessible à divers publics (lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes...)."
      alors Lenglet ou Turenne quand sont ils journalistes économistes ou scénaristes (aie aie aie beaucoup de istes ) ou sont ils en superposition quantique ?

      "Le comble pour un journaliste ? Etre à l'article de sa mort."
      Jules Renard

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  2. Je vois que François Lenglet critique la monétisation de la Grande-Bretagne. C'est vraiment risible quelles que soient les qualités de cet auteur que Laurent Pinsolle semble apprécier. Quelques chiffres pour rappel :

    Sur 1 an le PIB de l'Allemagne, le meilleur élève de la zone euro, affiche une hausse de 0,9% (article du 14 août 2013):

    http://www.lecho.be/actualite/economie_politique_europe/L_Allemagne_enregistre_une_meilleur_croissance_que_prevu.9388743-3323.art?ckc=1

    Sur 1 an le PIB du Royaume-Uni affiche une hausse de 1,5% (article du 23 août 2013):

    http://www.bfmtv.com/economie/royaume-uni-croissance-augmente-0-7pour-cent-deuxieme-trimestre-587150.html

    Il faut pourtant rappeler que la Grande-Bretagne, actuellement en cure d'austérité, a été et est toujours confrontée à des problèmes économiques, en particulier, des problèmes de déficits qui l'auraient placée parmi les cancres de la zone euro, si elle s'y trouvait, avec des taux d'intérêt pour emprunter proches de ceux de l'Espagne, une dévaluation interne obligatoire, une explosion du chômage à des niveaux grecque ou espagnol. Par exemple, en 2011, son déficit budgétaire annuel représentait encore 8,3 % du PIB.

    http://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89conomie_du_Royaume-Uni

    La Grande-Bretagne a des méthodes de soutient à l'économie et à la finance que ne peuvent pas avoir les pays en crise de la zone euro. Exemple pour la finance, lire l'article ci-dessous de Philippe Murer, professeur de finance vacataire à la Sorbonne, en date du 27 novembre 2012, qui explique comment la Banque d'Angleterre aide l’État à se financer à taux 0 avec un mécanisme original :

    http://www.marianne.net/Royaume-Uni-contre-le-deficit-budgetaire-la-Banque-d-Angleterre-ouvre-les-vannes_a224732.html

    Saul

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  3. Le Brésil est en train de lutter contre l'inflation :

    Entre lutte contre l'inflation et défense du réal, la banque centrale du Brésil déploie son arsenal. Quitte à provoquer un ralentissement de la croissance.

    http://www.gaullistelibre.com/2013/08/francois-lenglet-malgre-tout-un-peu.html?utm_source=feedburner&utm_medium=feed&utm_campaign=Feed%3A+gaullistelibre+%28Blog+gaulliste+libre%29

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  4. Une petite pépite d'article de Francois Lenglet, datant de 1995, intitulé "Croissance : préparez-vous à trente ans de bonheur" qui nous prouve la puissance intellectuelle de cet homme. ;)
    (http://lexpansion.lexpress.fr/economie/croissance-preparez-vous-a-trente-ans-de-bonheur_5385.html)

    On peut trouver une critique de cet article ici : http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2012/10/09/quand-francois-lenglet-annoncait-30-ans-de-croissance-heureuse/


    Sinon le journal Fakir avait publié un excellent article sur Lenglet. Il revient entre autres sur les chiffres bidons qu'il avait présentés à Mélenchon dans "Des paroles et des actes" : http://www.fakirpresse.info/Les-Voleurs-de-debat-1-Francois.html

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    1. Fakir apporte, comme à son habitude, de bonnes informations argumentées et incontestables.

      Finalement, ce qui traduit le mieux le danger, oui le danger, représenté par des gens comme Lenglet se trouve dans la conclusion de l'article : "On (Fakir) a discuté très gentiment, avec un gars ouvert, sympa ... mais on s’attendait à plus de solidité dans l’argumentation".
      Eh oui, il ne faut pas se fier aux apparences, la duplicité peut mettre de beaux atours pour mieux frapper et que l'on ne dise pas qu'il est honnête. Diriger des quotidiens économiques libéraux a bien un sens, non ?

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  5. @ Anonyme

    Pas d’accord. Non seulement F Lenglet s’est imposé en très peu de temps comme le journaliste de référence en économie. Le fait qu’il n’ait pas fait d’études économiques n’est pas un problème, à la limite, c’est presque mieux car les sciences économiques sont des sciences humaines, ce que la mathématisation de l’économie tend à faire oublier à beaucoup. En outre, son livre est important car il défend des idées qui ne sont pas toujours très populaires…

    @ Saul

    Juger sur un an, c’est un peu court tout de même, même s’il est vrai que l’on peut attribuer en partie à la politique monétaire (et à la nouvelle bulle financière) le fait que l’économie britannique ne se soit pas effondrée comme la Grèce (j’avais fait un papier disant que Londres + euro = Athènes), mais le plus intéressant est de comprendre pourquoi il a une telle opinion. Et là, c’est l’addition des dettes qui le choque (de manière en partie légitime). Après, si on réfléchit à la notion de monnaie, cela peut faire avancer la réflexion dans une autre direction.
    @ Olaf

    Merci pour le lien. Mais il s’agit d’un contexte bien différent.

    @ BIP

    Merci, c’est intéressant, mais il me semble qu’il fait une étude théorique et qu’il ne conclut pas de manière absolument sûre que cela va se passer de la sorte. Il me semble davantage faire une hypothèse. En outre, n’oublions pas quand même que le contexte était très différent en 1996. Et puis, attention, pas évident que ce soit lui qui ait choisi le titre du papier (souvent les journalistes ne le choisissent pas).

    Sur DPDA, vous avez un lien vers mon décryptage de l’émission avec NDA qui montre des choses comparables.

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    1. La période d'un an est celle allant du 30 juin 2012 au 30 juin 2013. Au cours du deuxième trimestre 2013, le PIB a augmenté de 0,3% dans la zone euro (ZE17) ainsi que dans l’UE27 par rapport au trimestre précédent, selon les estimations rapides publiées par Eurostat, l’office statistique de l'Union européenne. Au cours du premier trimestre 2013, les taux de croissance avaient été respectivement de -0,3% et -0,1%. En comparaison avec le même trimestre de l'année précédente, le PIB corrigé des variations saisonnières a enregistré une baisse de 0,7% dans la zone euro et de 0,2% dans l’ UE27 au cours du deuxième trimestre 2013, contre respectivement -1,1% et -0,7% au trimestre précédent. Au cours du deuxième trimestre 2013, le PIB des États-Unis a augmenté de 0,4% par rapport au trimestre précédent (après +0,3% au premier trimestre 2013). Par rapport au même trimestre de l'année précédente, le PIB a augmenté de 1,4% (après +1,3% au trimestre précédent.

      http://epp.eurostat.ec.europa.eu/cache/ITY_PUBLIC/2-14082013-AP/FR/2-14082013-AP-FR.PDF

      Les chiffres sont parlant. L'union européenne dans son ensemble a un problème de croissance. Les chiffres d'évolution du PIB sont encore pire dans la zone euro en moyenne que dans l'ensemble de l'union européenne en moyenne. Le PIB diminue de 0,7% dans la zone euro dans la période allant du 30 juin 2012 au 30 juin 2013 (baisse de 0,2 en moyenne dans l'UE), alors qu'il augmente de 1,5% durant la même période au Royaume-Uni qui est également en crise économique. De toute façon les modalités de financement des États par les marchés financiers ne sont plus adaptées au couple « croissance faible- taux d'endettement élevé des États en pourcentage du PIB». Le système, dont la déficience est plus accentuée en zone euro qu'ailleurs, ira inéluctablement dans le mur, à moins qu'il soit remplacé par autre chose de viable.

      http://www.contrepoints.org/2013/06/27/129139-plus-de-dette-publique-moins-de-croissance-economique

      Saul

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  6. Depuis que j'ai entendu lenglet nous expliquer que les États-Unis ne ne font jamais marcher la planche à billets, je zappe. je préfère de loin des gens comme F.Lordon ou J.Sapir (maitrise tres bien le sujet russe également pour ce dernier) .

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