samedi 15 février 2014

La contrainte environnementale pourrait-elle retarder, voire remettre à jamais, la fin du travail ? 2/2



Billet invité de Thibault Laurentjoye, suite de la première partie

La double contrainte environnementale

Le poids que l'activité humaine en général fait peser sur l'environnement présente deux composantes : d'une part, la pollution au sens large, et d'autre part, l'épuisement des ressources naturelles.

La forme la plus souvent évoquée de pollution est celle liée à la montée du dioxyde de carbone (CO2) dans l'atmosphère, fréquemment évoquée comme source du réchauffement climatique. La focalisation sur le CO2 présente cependant plusieurs inconvénients. Tout d'abord, elle élude la responsabilité croissante d'autres gaz à effet de serre dans le réchauffement climatique, comme le méthane ou les hydrofluorocarbones. Par ailleurs, elle donne l'impression que le principal inconvénient des gaz émanant des voitures ou des usines se jouerait à des dizaines de kilomètres au-dessus de nos têtes dans la sphère céleste, alors que dès leur émission ils créent des problèmes bien plus proches de nous : irritation et infection des muqueuses respiratoires, risque accrû de cancers, etc. Enfin, l'effet de mode autour du CO2 a permis la création d'un marché des droits à polluer, qui n'a pas tenu ses promesses et a ouvert un nouveau terrain de jeu à la spéculation financière.

Une forme de pollution moins fréquemment évoquée dans les médias, et pourtant au moins aussi préoccupante, est celle des nappes phréatiques. Selon le Ministère de l'écologie, 21% des rivières et 40% des nappes phréatiques sont significativement chargées en micropolluants (métaux lourds, pesticides, benzène, phtalates) et si l'on prend en compte également les rejets dus à l'agriculture intensive, on se rend compte que plus de 50% des nappes phréatiques françaises sont polluées. Un rapport du Commissariat général au développement durable chiffrait en 2011 à 54 milliards d'euros annuels le coût de traitement de l'eau pour éliminer les rejets polluants agricoles, et à plus de 500 milliards au total le coût total de dépollution des nappes phréatiques. Enfin, ce rapport pointait négativement une tendance française avérée – que l'on retrouve également en matière médicale – consistant à guérir plutôt que prévenir, alors que le coût est évidemment bien supérieur dans le premier cas que dans le second.

L'autre aspect de la contrainte environnementale est le risque avéré d'épuisement des ressources naturelles. Passons sur la controverse autour de la fin du pétrole, dont l'échéance sans cesse repoussée semble servir de prétexte à gaspillage alors que de toute évidence sa quantité n'est pas illimitée. Hormis les métaux souvent évoqués, tels que l'argent, le chrome, le palladium, le zinc ou l'étain, on peut signaler le scandium, l'yttrium ou les lanthanides utilisés dans la production des objets de dernière technologie comme l'iPhone. Aujourd'hui, les Etats-Unis ou l'Europe ont épuisé l'essentiel voire l'intégralité de leurs réserves en certains minéraux, et sont devenus intégralement dépendants de leurs importations pour s'approvisionner – ce qui dans certains cas fait courir un risque de rupture d'approvisionnement pour des raisons géopolitiques.

La construction de machines et de plates-formes numériques dont la vocation serait de remplacer le travail humain est conditionnée à la disponibilité en quantité suffisante de ressources à propos desquelles nous savons qu'elles sont finies, tandis que la population mondiale augmente. Par ailleurs, les déchets issus de ces métaux ainsi que leur recyclage sont actuellement entachés de nombreux problèmes sanitaires – bien soigneusement délocalisés dans des pays pauvres comme l'Inde sous couvert de participer à leur développement – ce qui ramène au problème précédemment évoqué de la pollution.



Une solution : substituer le travail au capital

Face à la pollution, plus de travail est nécessaire à double titre : premièrement, pour dépolluer c'est-à-dire diminuer la pollution existante (dans la mesure du possible), deuxièmement, pour adopter des méthodes de production recourant moins à des facteurs de production polluants. Face à la rareté de certaines ressources, il est nécessaire de chercher des techniques de production alternatives, sans quoi la montée du prix de ces matières s'abattra comme un couperet sur le pouvoir d'achat des citoyens des pays pris au dépourvu.

La substitution du travail au capital polluant ainsi qu'aux ressources naturelles doit être envisagée. Elle a déjà commencé dans un secteur comme la viticulture où de nombreuses exploitations font le choix de passer à des modes de culture plus respectueux de l'environnement, comme la biodynamie, en remplaçant les machines et les produits chimiques par du travail humain ou animal. Elle se produit également dans l'industrie : Thierry Moysset, repreneur en 2007 de la Forge de Laguiole, a procédé à une ‘démécanisation’ en supprimant toutes les machines qui pouvaient être remplacées par des hommes. Une telle manœuvre, en réintroduisant une dimension artisanale haut de gamme, permet de créer de l'emploi de qualité, mais également d'améliorer la différenciation des produits, laquelle est une composante essentielle de la compétitivité hors-prix.

Conclusion(s)

Ce passage en revue de quelques faits significatifs permet de tirer deux conclusions. La première est que nous n'entrons vraisemblablement pas dans l'ère de la fin du travail, mais que les types de travail à fournir vont changer. Si l'on peut admettre que la satiété de certains besoins ainsi que l'amélioration absolue de certaines techniques vont permettre de libérer du travail d'un côté, il faut également admettre que la contrainte environnementale nous empêche de laisser cette force de travail libérée totalement vacante.

La deuxième conclusion que l'on peut tirer, est que l'investissement dans la dépollution et la substitution progressive de travail aux ressources naturelles non renouvelables doivent commencer aussi tôt que possible. Leur financement doit en partie, voire essentiellement, être public dans la mesure où il s'agit non pas de produire plus, mais de reproduire ce qui a été détruit ou endommagé. De ce point de vue, l'austérité budgétaire apparaît comme une politique de suicide environnemental et donc économique à long terme, dans la mesure où elle recule des dépenses stratégiques à long terme, pour arbitrer en faveur d'ajustements financiers de (très) court terme.
Le financement de la transition écologique doit être considéré comme un objectif bien plus important que la stabilité des prix ou des marchés financiers, et il ne faut pas s'interdire d'en faire le nouvel objectif prioritaire des banques centrales.

4 commentaires:

  1. "La construction de machines et de plates-formes numériques dont la vocation serait de remplacer le travail humain est conditionnée à la disponibilité en quantité suffisante de ressources à propos desquelles nous savons qu'elles sont finies, tandis que la population mondiale augmente"

    Pour remplacer le travail humain il suffit de consommer moins de ressources. C'est l'exemple classique du passage au lave-vaisselle qui demande moins d'eau, d'énergie et de détergent que la même tâche réalisée à la main.

    Il est vrai que l'industrie électronique use et abuse des terres rares, mais est-ce par nécessité ou par facilité ? La chlorophylle des plantes convertit l'énergie solaire avec un bien meilleur rendement que les panneaux photovoltaïques et sans exiger de terres rares.

    Je ne crois pas que l'électronique et l'informatique soient menacées par l'épuisement des ressources naturelles. Elles sont encore bien trop loin de ce que leur autorise les lois de la physique et même les logiciels gaspillent la mémoire et la puissance de calcul de manière éhontée.

    D'accord avec vous sur l'ampleur colossale du chantier qu'il faudrait lancer pour nettoyer l'environnement.

    Ivan

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  2. L'approche économique traditionnelle table sur les évolutions techniques permettant la substitution de nouvelles technologies à d'anciennes technologies. Dommage que cet auteur passe sous silence cette donnée. La micro-électronique actuelle utilise des terres rares, soit. Mais les recherches en cours montrent que de toutes autres technologies sont envisageables, basées sur d'autres support matériels pour traiter et stocker l'information, comme les bio-molécules à l'image de l'ADN et du cerveau, la spintronique aussi, évacuant ainsi la nécessité des composés actuels utilisés pour doper le silicium.

    De même, les matériaux de fabrication tels que l'acier pourraient bien être remplaçables par des matériaux structurés à base de carbone.

    Toute la panoplie des recherches en NBIC, dans lesquelles Google, entre autres, investit à tour de bras, sont susceptibles de changer la donne. A savoir, imiter en partie la nature qui s'est développée à partir d'éléments atomiques courants pour créer des structures matérielles et informationnelles reproductibles dans un recycle production-destruction-reproduction...

    Ce qui fait la spécificité humaine, mais aussi celle de l'évolution du vivant, est son inventivité jamais vraiment prévisible ni planifiable dans le détail.

    olaf

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  3. La fin du travail est une rhétorique qui n'est pas neuve et qui empêche de penser le travail autrement. Par exemple l'informatique a procédé à une révolution dans le travail et ce n'est pas pour autant qu'il faut moins de travail. Les révolutions technologiques en cours révolutionnent constamment le travail La contrainte environnementale n'annonce en rien la fin du travail mais de repenser tout notre monde dont celui du travail.

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