jeudi 31 juillet 2014

Pourquoi le droit de vote des étrangers va-t-il à l'encontre de la tradition républicaine française ? (billet invité)


Billet invité de Cochin

L'éternel retour

Dans une récente interview publiée sur le site de l'hebdomadaire Marianne, Jean-Christophe Cambadélis revient sur une des promesses de campagne de François Hollande qui, malgé sa forte impopularité auprès des Français, est régulièrement mise en avant par le parti socialiste : l'octroi du droit de vote aux étrangers non communautaires lors des élections locales.


Comme trop souvent, à défaut de véritable réflexion sur un sujet qui n'est pas aussi anecdotique que certains le pensent, Jean-Christophe Cambadélis préfère s'en tenir à des formules creuses reposant sur des raisonnements abstraits pour justifier une telle mesure. Ce faisant – et le procédé, qui ne fait pas honneur à ceux qui l'emploient, est un classique de l'argumentation socialiste –, il s'attache à renvoyer à l'extrême-droite les opposants au projet, présenté comme allant  « contre la tendance à la fermeture et à la stigmatisation de tout ce qui n’est pas de souche et qui, aujourd’hui, a le vent en poupe ».

La question est pourtant loin d'être aussi simple que ne le laisse penser le premier secrétaire du parti socialiste et remet en cause les fondements même du modèle républicain français, ce qu'a bien compris Jean-Luc Laurent, le président du MRC, qui s'est détaché de ses alliés socialistes sur cette question, comme sur bien d'autres. On notera d'ailleurs que le fait que le MRC, c'est-à-dire l'un des principaux héritiers de la tradition républicaine jacobine, se prononce clairement contre un tel projet alors même que les Verts, qui représentent l'avant-garde de la dérive libérale-libertaire d'une partie de la gauche française, en sont les plus grands défenseurs, est tout à fait révélateur de ce qui s'y joue.

Une question qui touche au cœur de notre conception de la République

Pour Jean-Christophe Cambadélis, la mesure serait notamment justifiée par le fait que de les personnes à qui l'on accorderait ce droit «  payent des impôts, des taxes, des cotisations sociales et participent donc à l’effort de solidarité ». Un tel argument serait concevable si nous étions dans un pays de suffrage censitaire, où l'électeur tire son droit à participer à la vie politique des impôts qu'il paye. Voilà cependant plus de cent cinquante ans que la France s'est éloignée d'une telle conception de la citoyenneté : c'est bel et bien la nationalité qui est au fondement de la citoyenneté, dans la vision française de la République.

C'est d'ailleurs parce qu'il va à l'encontre de ce modèle républicain français que l'octroi du droit de vote aux étrangers est à l'heure actuelle inconstitutionnel et demanderait par conséquent soit l'approbation des deux chambres réunies en Congrès, soit celle des Français consultés par referendum (et les sondages sur la question montrent que ceux-ci y sont très largement opposés).

L'article de la Constitution qu'il faudrait changer (l'article 3) n'est par ailleurs pas n'importe quel article : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum […]. Sont électeurs […] tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Il s'agit, comme on le constate à sa lecture, d'un article qui résume à lui seul une partie importante de la tradition républicaine française telle qu'elle a été pensée et mise en œuvre depuis deux siècles et demi.

Pour revenir sur quelques pages – déjà anciennes – de Pierre Rosanvallon

A la fin de son ouvrage Le Sacre du citoyen, paru au début des années 1990 et consacré à l'histoire du suffrage universel en France, Pierre Rosanvallon, aujourd'hui titulaire de la chaire d'Histoire moderne et contemporaine du politique au Collège de France, s'était déjà interrogé sur une telle mesure. Le contexte l'y invitait doublement, puisque François Mitterrand avait inscrit le droit de vote des étrangers aux élections locales dans ses « 110 propositions » et que le traité de Maastricht prévoyait d'accorder ce droit aux citoyens des autres pays de l'Union européenne.

Après avoir brossé sur près de 600 pages l'histoire du suffrage universel en France, l'historien exprimait tous ces craintes sur les effets de l'extension du droit de vote, c'est-à-dire de la citoyenneté, à des personnes ne possédant pas la nationalité française (peut-être est-il bon de préciser que Pierre Rosanvallon est loin d'être un historien nationaliste puisqu'il a été l'un des principaux penseurs de la Deuxième gauche et a fondé en 1982 la Fondation Saint-Simon, un club de réflexion libéral réunissant intellectuels, haut-fonctionnaires, technocrates et hommes d'affaires).

Après avoir signalé le caractère indissociable des catégories de nationalité et de citoyenneté en France, Pierre Rosanvallon poursuivait : « Il n'y a pas de citoyen démocratique possible si la figure de l'étranger est niée, si l'étranger n'est pas pensé politiquement, dans son extériorité vis-à-vis de la cité. Sinon, ce dernier ne sera reconnu que de la façon la plus sauvage, sous les espèces du clan, de l'ethnie ou de la race, dessinant en creux le visage le plus primitif de l'idée de nation. Au rebours de cette illusion, il  n'y a que deux façons de concevoir positivement la nécessaire intégration des étrangers résidant dans une société : l'assimilation politique dans la nation, par le biais de la naturalisation, avec ce qu'elle suppose comme inscription dans une histoire et dans une culture politique, et l'insertion économique et sociale dans la société civile. Il n'y pas de troisième voie possible » (Le Sacre du citoyen, 1992, p. 581).

Il prenait par ailleurs soin de montrer que le cas de l'Irlande, de la Suède, des Pays-Bas et du Danemark, qui avaient accordé le droit de vote aux étrangers ne pouvaient être comparés au cas français, du fait de la relative facilité de la naturalisation dans notre pays : « il est en effet frappant de constater que les pays qui ont mis en oeuvre ce droit [le droit de vote des étrangers] sont parmi les moins assimilationnistes, comme s'il s'agissait pour eux d'exorciser leur mauvaise conscience ou d'offrir une compensation à la rigidité des règles de naturalisation » (Ibid., p. 581).

Enfin, revenant sur l'octroi du droit de vote aux étrangers citoyens d'un pays de l'Union européenne, il signalait à quel point une telle mesure, tout à fait conforme aux traditions politiques des pays du Nord de l'Europe, heurtait les conceptions françaises de la vie politique et de la citoyenneté : « Le sens de la mesure est cohérent avec la conception civile de l'administration muncipale qui prévaut culturellement dans l'Europe anglo-saxonne et l'Europe du Nord. Par sa nature « prépolitique », le vote municipal peut dans ces pays être dissocié de l'exercice de la citoyenneté politique. La langue même traduit parfois cette différence. En allemand, la notion de « citadaineté » (le Stadtsbürger) ne s'est pas confondue historiquement avec celle de citoyenneté (le Staatsbürger). Le droit de vote local n'y a donc pas la même portée qu'en France. La chaîne politique de la citoyenneté est continue en France, de l'échelon local à la nation tout entière. […] L'universalisme à la française ne peut envisager la ctoyenneté que sous la forme d'un bloc. » (Ibib., p. 583-584)

Du constat final de Pierre Rosanvallon, on pourrait conclure une chose, que montrent bien d'autres aspects de la vie de notre pays : si aujourd'hui l'identité française est menacée, c'est bien moins par les membres de certaines communautés religieuses ou par certains immigrés que par la partie de nos élites qui, alors même qu'elle dispose des leviers du pouvoir, se montre prête à remettre en cause la tradition républicaine française, vieille de plus de deux siècles et demi.

12 commentaires:

  1. L’article 3 qui dit que « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum » est une belle blague, ça fait longtemps que le peuple français n’exerce plus pleinement sa souveraineté. D’ailleurs les étrangers d’origines européennes peuvent voter à certaines élections en France. Mais rassurez-vous : le vote des étrangers n’est pas pour demain car il faudrait une majorité qui dispose des 3/5 au parlement et la gauche ne l’a pas. Quant à faire un référendum sur ce sujet, ce n’est même pas la peine d’y penser ! Ca fait plus de 30 ans que le PS propose cette mesure dans son programme mais elle ne sera jamais mise en œuvre, sauf si ça devenait une obligation européenne puisque dans ce cas, l’UMP s’y rallierait !

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  2. Qui prend encore au sérieux le PS et ses caciques ? Où est cette personne ? 30 ans de leçons de morale et d'agitation pour quoi ? Pour la catastrophe actuelle, une post-démocratie vendue au marché. De toutes façons le PS n'a rien à voir, de près ou de loin, avec la gauche. Le PS c'est la droite du capital, rien de plus. Quant à l'UMP, il suffit de lire les journaux... c'est fini également. Qu'ils s'en aillent, tous !

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  3. Je partage totalement le contenu de cet article... Rendez-vous également sur http://www.gaullisme.fr/2014/07/23/henri-guaino-le-droit-de-vote-des-etrangers/

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  4. Le droit de vote est déjà acquis aux élections locales pour les ressortissants européens, ce qui revient à opérer une distinction raciste entre les étrangers - ce qui est d'ailleurs un principe implicite de l'Union Européenne. Le Royaume-Uni a su conserver des liens privilégiés avec le Commonwealth, alors que nous laissons se déliter nos rapports avec l'Afrique, qui représente pourtant le cœur de la Francophonie d'aujourd'hui.

    Evidemment, le droit de vote n'est pas la solution, il conduit à dissoudre la citoyenneté et possiblement à dresser un peu plus les communautés les une contre les autres. mais les socialistes n'en ont cure : il s'agit pour eux de lancer une diversion de plus face au désastre de l'Union Européenne, et de trouver des réserves d'électeurs pour le PS...

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  5. En mettant en avant la proposition du droit de vote des étrangers il ne s'agit pour le PS et la gauche que de recréer de façon artificielle le clivage droite/gauche quand on a un gouvernement socialiste qui fait la politique de l'offre, libérale que l'UMP ne renierait pas. Toutefois cette politique va échouer parce qu'un employeur ne crée pas d'emplois s'il n'a pas un carnet de commande bien rempli ce qui implique des clients solvables qui sont aussi des salariés.

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  6. En France, la situation est en train de dégénérer.

    Lisez cet article :

    Jeudi 31 juillet 2014 :

    Pire que le 21 avril !

    Le sondage Marianne-Ifop qui alarme : Marine Le Pen en tête du premier tour en 2017.

    Le sondage Ifop pour Marianne est un choc : si le premier tour de la présidentielle avait lieu aujourd’hui, Marine Le Pen arriverait en tête. La candidate frontiste recueillerait 26% des voix, et Nicolas Sarkozy se qualifierait pour le second tour avec 25% des voix, que ce soit face à François Hollande ou à Manuel Valls, lesquels seraient tous les deux éliminés (avec 17% des suffrages).

    Si l’hypothèse d’un Front National au second tour de 2017 se fait chaque mois plus probable – au point que les politiques, de droite comme de gauche, semblent l’avoir actée, dans un fatalisme défaitiste sinon dans de coupables stratégies –, jamais encore un sondage n’avait placé la candidate FN en tête du premier tour. 

    Ce test, à trois ans de l’échéance, vient confirmer que la dynamique dont elle bénéficie depuis plusieurs années est une lame de fond, et que nous n’assistions pas, ces derniers temps, à des séismes électoraux singuliers (comme certains ont voulu le dire lors des dernières européennes), mais à une tectonique.

    « Depuis l’arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti et la mise en place de sa stratégie de « dédiabolisation », le FN a enregistré à chaque scrutin des plus hauts historiques », confirme Jérôme Fourquet, directeur du pôle opinion de l’Ifop.

    http://www.marianne.net/Le-sondage-Marianne-Ifop-qui-alarme-Marine-Le-Pen-en-tete-du-premier-tour-en-2017_a240405.html

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    1. Le FN comme chien de garde du système, avec les médias du capital et du pouvoir qui orchestrent çà finement!

      Ils lui servent la soupe à volonté jusqu'en 2017, histoire de fabriquer un phénomène, sans jamais mettre sur la table les éléments qui pourraient sérieusement faire douter son électorat populaire (gestion financière du parti, équipe de campagne 2012 douteuse, enquête pour fraude fiscale, soutien à Assad et Poutine...).

      Et puis hop! Au second tour, on déclenche les sirènes: attention le fascisme est à nos portes! La démocratie et l'honneur de la France sont en danger: Votez UMPS!

      Les petits vieux prennent peur (ils sont de plus en plus nombreux et sont des électeurs assidus) et bourrent les urnes pour l'UMPS et le tour est joué une fois de plus. Ouf! dans les coulisses de l'oligarchie.

      Ceci dit, même si la Lepen passait sous l'effet d'une défiance inouïe, le grand capital ne serait pas aux abois. Il sait très bien qu'elle et ses amis n'ont jamais été autre chose que des comédiens opportunistes et qu'ils se vendront au plus offrant en continuant d'occuper la galerie avec la croisade anti-hallal.

      La seule solution pour que l'oligarchie se mette à trembler est de construire une force politique qui concurrence le FN sur les questions de vivre-ensemble qui aujourd'hui sont au coeur des préoccupations mais tout en parlant à l'intelligence de chacun.

      C'est-à-dire en proposant un pacte qui allie fermeté républicaine, protectionnisme économique, équité sociale et vision d'avenir (mutation écologique).

      Il ne faut verser ni dans les coups de menton, ni dans la victimisation naïve et bien insister sur le contexte économique qui génère tous ces problèmes.

      Et afficher une volonté inébranlable pour y remédier en redéployant en France l'outil productif de notre souveraineté.


      Une pensée pour l'illustre Jean Jaurès, mort il y a 1 siècle tout juste et qui reste depuis comme une étoile pour tous ceux qui aiment la politique pour la recherche du bien commun, dans un esprit complètement désintéressé. Mon estime infinie pour ce grand homme!

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    2. "elle et ses amis n'ont jamais été autre chose que des comédiens opportunistes et qu'ils se vendront au plus offrant en continuant d'occuper la galerie avec la croisade anti-hallal."

      Possible... mais par principe il vaut mieux considérer que l'histoire ne suit pas toujours la partition prévue. Je suis évidemment d'accord avec vous sur la probabilité du pire, mais je n'ai pas de certitude. Les dirigeants du FN ne sont pas des marionnettes - ils ont à l'inverse manifesté une constance rare et une capacité à résister aux pressions. Il n'est pas du tout sûr qu'ils se conformeraient aux plans de l'oligarchie - même si leur tropisme anti-immigrés laisse craindre le pire.

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  7. « Si aujourd'hui l'identité française est menacée, c'est par la partie de nos élites, qui se montre prête à remettre en cause la tradition républicaine française,».
    Rien de surprenant à cela, car la raison n’est pas politique, mais psychologique. A mon avis, les classes dirigeantes de ce pays, en commençant par les politiques, ont absolument, viscéralement besoin de se différencier du peuple, de la masse, de se reconnaître, de se regrouper entre elles, pour constituer ce que tu appelles justement des « élites ». En réalité, mieux vaut pour elles défendre n’importe qui et n’importe quoi que de suivre, à défaut de partager, ceux qu’ils ont baptisé des « populistes ». Il n’y a donc aucune raison de croire que leur attitude changera. Il faut les mettre dehors.

    Demos

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  8. Le problème est que l'article 3 sous la VIeme République ne s'applique que tous les 5 ans révolus. Il en allait autrement sous la Veme République.

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  9. Il n'a pas été nécessaire de toucher à toucher à l'article 3 de la constitution pour donner aux étrangers ressortissants UE le droit de vote aux élections locales, je ne vois pas pourquoi si les étrangers sont maghrébins ou africains ce texte poserait subitement un problème.

    Parlons donc du vrai problème qui n'est ni la tradition républicaine (le droit de vote pour les étrangers réservé de manière discriminatoire aux seuls ressortissants UE est passé comme une lettre à la poste même chez ceux qui la veille encore ne voulaient entendre parler que de la naturalisation couronnant un parcours d'intégration réussi, et osèrent souvent le ressortir dès le lendemain aux autres étrangers) ni la conformité à l'article 3 de la constitution.

    Il s'agit d'un problème de discrimination et rien d'autre.

    Ivan

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  10. @ yvan, perte de souveraineté tout simplement plus que discrimination !!

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