dimanche 30 novembre 2014

Délires austéritaires et pensée unique : le gouverneur de la Banque de France s’y met aussi (billet invité)


Billet invité de l’œil de Brutus


Dans la droit ligne de l’UMP (lire ici), tout en étant bien sûr très proche des postures de la majorité actuelle, le président de la Banque de France, Christian Noyer, y est aussi allé de son petit couplet austéritaire et néolibéral dans une interview donnée aux Echos (lire ici).  Les litanies de l’oligarchie au pouvoir, pour le plus grand bénéfice de la finance mondialisée et le plus grand malheur des peuples, se poursuivent donc. Accompagnées de mensonges plus ou moins grossiers pour faire passer la pilule (ou tenter de le faire). On relèvera, entre autres, ces passages les plus croustillants :

Christian Noyer : « Les pays qui ont entrepris des réformes de structure, comme l’Espagne, l’Irlande ou le Portugal, commencent à en toucher les dividendes. »

Les chômeurs espagnols, irlandais et portugais seront ravis de l’entendre ! Le pays de Cervantès, avec certes un très léger reflux (mais vraiment pas de quoi s’enthousiasmer) compte encore 24,5% de chômeur (54% pour les jeunes de moins de 25 ans !). Celui de Vasco de Gama 14,1% et l’ex-Tigre celtique 11,5%[i]. Et encore, ces chiffres sont très vraisemblablement faussés par l’utilisation, comme en France, de certains biais statistiques[ii].

La croissance espagnole repart certes, timidement (+0,6% au dernier trimestre ; +1,6% en perspective annuelle), à la hausse. Mais certainement pas suffisamment pour rattraper un PIB par habitant qui s’est effondré de 10% depuis 2009[iii]. Le Portugal conserve une croissance quasi-atone (+0,2% au dernier trimestre) qui ne devrait même pas atteindre 1% en rythme annuel[iv]. Le PIB irlandais reprend, lui, de la vigueur (+1,5% au 2e trimestre avec des perspectives 2014 à +4,5%)[v]. Mais n’oublions pas que les Irlandais ont vu leur PIB par habitant se contracter de 13%[vi] et surtout que l’Irlande est un modèle économique fragile reposant sur le parasitage fiscal des autres. A l’explosion de la prochaine bulle (et quand on voit les milliards que la BCE déverse à foison sur les banques européennes, elle finira par arriver), les Irlandais se reprendront, à n’en pas douter, une nouvelle énorme claque dans la figure.

Et bien sûr, M. Noyer n’a pas un mot (pas une pensée ?) sur le massacre économique, social et sanitaire infligé aux Grecs.

C’est donc cela les résultats si probants des réformes structurelles que M. Noyer réclame à cor et à cris pour la France ?


Christian Noyer : « De nombreuses réformes ayant des effets positifs à très court terme pourraient et devraient être faites : une franche libéralisation du travail le dimanche, la réduction accélérée des réglementations qui freinent la construction de logement, etc. Et à moyen terme, la croissance potentielle de la France pourrait être renforcée significativement grâce à une réforme du marché du travail. (…) Revoir les mécanismes d’indexation du SMIC, donner plus de latitude aux partenaires sociaux dérogeant à la durée légale du travail dans l’entreprise, assouplir les règles du licenciement. »

Antiennes tristement habituelles. Dans un pays où la consommation et l’investissement sont atones, on ne voit pas en quoi le travail du dimanche (qui remettra encore plus en cause le modèle familial et la capacité des plus démunis à s’occuper de leurs enfants) et une flexibilisation encore accrue du marché du travail dynamiseront quoi que ce soit, si ce n’est les profits que les grands groupes redistribuent à leurs actionnaires et à leurs patrons (et non pas en investissements ou à leurs salariés). Le CAC40 se gave comme jamais, mais M. Noyer, qui n’a toujours pas compris (ou ne veut pas comprendre …) que la crise actuelle, hors ses indéniables aspects systématiques (ce qui veut qu’à un moment donné ou un autre c’est bien au système (financier en particulier) qu’il faudra s’attaquer), est bien plus une crise de la demande que de l’offre, estime que l’ogre n’en pas encore eu assez. Les travailleurs devront encore accepter davantage de tensions pour que les camarades de promo de l’ENA de M. Noyer (Jean-Charles Naouri, PDG de Casino ; Baudouin Prot, PDG de BNP-Paribas ; Yves-Thibault de Silguy, vice-président de VINCI et président du comité France-Qatar au sein du MEDEF ; Serge Weinberg, président du fonds d'investissement Weinberg Capital Partners ; Michel de Rosen, spécialiste en pantouflages (Rhône-Poulenc, Saint-Gobain) et rétro-pantouflages (inspection de finances, cabinets ministériels), aujourd’hui président d’Eutelsat ; etc.) continuent à s’en mettre plein les poches.

Christian Noyer : « Je ne considère pas que la déflation soit un risque crédible. Le risque est surtout celui d’une inflation trop faible, pendant trop longtemps. »
L’avenir nous le dira … Mais en l’état, M. Noyer joue avec les mots : entre une déflation (c’est-à-dire une inflation négative) et une inflation « trop faible », il n’y a pas forcément un grand écart (quelques dixièmes de points suffisent) et donc peu de changements en termes de conséquences. Que l’inflation soit faible ou que l’on soit carrément en déflation importe en fait peu : dans tous les cas, l’investissement est découragé et la rente préservée[vii]. Mais c’est peut-être là l’objectif …

Christian Noyer : « La BCE a baissé ses taux en territoire négatif, ce que ni la Fed ni la Banque du Japon n’ont fait. Elle a pris des engagements sur le cours futur de sa politique monétaire et a facilité le refinancement bancaire : aujourd’hui, les banques peuvent emprunter à son guichet à 0,15% pour 4 ans, à condition de relancer le crédit. Nous intervenons sur le marché de la dette sécurisée et bientôt sur celui des crédits titrisés, ce qui doit aussi faire baisser le coût du crédit. Ces mesures produisent déjà des résultats : les taux d’intérêt ont décliné sur toutes les maturités et cela a en partie soutenu la hausse des actions et obligations, créant un effet de richesse. »
Et oui, vous avez bien lu : 6 ans après l’effondrement de Lehman Brothers, la BCE soutient les crédits titrisés ! Et la BCE prête aux banques à un taux quasi nul pour qu’elles-mêmes puissent prêter dans la foulée à 2 ou 3 % (pour la France, bien plus pour certains membres de l’UE) aux Etats pendant que l’on vous explique qu’il vous faut vous serrer la ceinture pour … rembourser notre dette auprès … des banques ! Soulignons également que si la FED et la Banque du Japon n’ont pas baissé leur taux en deçà de zéro, les performances économiques de leurs pays sont toutes autres que celles de la zone euro et que ces banques centrales, elles, rachètent les Bons du Trésor de leurs Etats.
On appréciera au passage la conception de la création de richesse de notre financier en chef : la richesse ce n’est pas la valeur ajoutée crée par un salarié et un entrepreneur (et ne parlons même pas de cette belle citation de Jean Bodin : « il n’est de richesses que d’hommes »). Non, non : la création de richesse, c’est la hausse du cours des actions et des obligations. C’est sûr « quand on est caissière on n’a pas de stock-options »[viii], et quand on n’a pas compris ça (ou quand on n’y adhère pas …) on l’a dans le Ba-ba indéfiniment …

Christian Noyer : « Je ne verrais aucun problème à ce que la BCE achète d’autres actifs et si nécessaire des emprunts d’Etat ».
En tant que président de la Banque de France, M. Noyer est membre de droit du conseil des gouverneurs de la BCE. A ce titre, il sait parfaitement que la monétisation de la dette publique est une ligne rouge pour l’Allemagne[ix]. Elle ne sera jouée qu’en dernier recours et avec une dose homéopathique, et ce exclusivement pour empêcher un effondrement généralisé de l’euro, comme ce fut le cas pour la Grèce. Evoquer une monétisation de la dette publique par la BCE en sachant parfaitement que cela n’interviendra jamais relève donc de l’artifice de propagande.

Christian Noyer : « (la limitation de la taxe sur les transactions financières à certains CDS et l’exclusion des autres produits dérives de son champ d’application) est un choix extrêmement raisonnable car les CDS sont le compartiment de dérivés dont l’utilité est la plus faible et qui présente le plus gros risque de déstabilisation des marchés. Les autres dérivés – sur les actions et les taux – ont une véritable utilité économique pour les entreprises et l’épargne. »
La régulation bancaire au pistolet à bouchon …Il y a 6 ans, on nous avait promis plus jamais ça. Camarade banquier rassure-toi : tu pourras continuer à spéculer de manière grossière et éhontée, personne ne te demandera rien, surtout pas de participer à l’effort collectif d’assainissement des comptes publics. Pour les autres, c’est tout autre chose … (voir notamment le bilan économique et social du mandat de M. Hollande).

Christian Noyer : « Renforcer les fonds propres de ces acteurs et mettre en place des procédures de résolution ordonnée ne fait donc pas débat. » 
Et bien justement si ! Les amis banquiers du comité de Bâle de M. Noyer ont trouvé un excellent artifice pour continuer à faire ce qu’ils veulent avec leurs fonds propres (ou plutôt leur absence de fonds propres) : pondérer les actifs bancaires en fonction des risques supposés. Ce qui revient, en pratique, à supprimer quasiment toute exigence de fonds propres (c’est très expliqué par Olivier Berruyer ici). Cela un patron de la banque de France ne peut pas l’ignorer !


[ii] Lire Président à mi-chemin, Jacques Sapir, Russeurope, 05-nov-14.
[viii] Les Fatals Picards, Sauvons Vivendi.

7 commentaires:

  1. Parler de succès d'une politique alors que la situation n'est pas devenue meilleure qu'avant le début de la crise est en effet malhonnête.

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  2. Je ne suis pas économiste. Je "comprends" l'économie à mon petit niveau. Je constate juste...
    Islande, 2008 : situation quasi- identique à celle de la Grèce. A une différence fondamentale : en Islande :
    - on a nationalisé les principales banques
    - on a mis les banquiers responsables de la crise en prison (le dernier, il y a quelques jours)
    - on a refusé de rembourser les banques responsables de la crise avec les fonds publics
    - on a annulé, pour la seconde fois en quelques mois, une partie des emprunts immobiliers des islandais, pertes financières pour l'Etat compensées par une taxation accrue des avoirs des banque (soit, un gain de pouvoir d'achat moyen de plus de 14% pour les foyers islandais, pour la seconde fois)
    - etc.
    Résultats : les Islandais ont "dégustés". Certes. Pendant 3 ans (les Grecs, Espagnols, Portugais, dégustent toujours !)
    Mais, de situation grecque en 2008, l'Islande est passée, en 2013, à une croissance de 2% !!!
    Bien entendu, l'Islande, c'est 350000 habitants. Mais, ils n'ont pas eu peur de mettre, eux, les banques à contribution. Et, ils n'ont pas eu peur des pressions étrangères (notamment britanniques et danoises) pour dire "vous aurez que dalle" ; ils n'ont pas d'armée et encore moins de bombe atomique ; pourtant, ils ne se sont pas couchés devant la finance ! Eux ! Plus fort : voyant la politique catastrophique de l'UE pour "sortir très rapidement de la crise", ils ont décidé de ne pas entrer dans l'UE... malgré les très fortes pressions et menaces de l'UE et des USA.
    Bien entendu, l'exemple particulier de l'Islande ne vaut pas généralité. MAIS, l'exemple de l'Islande montre qu'on peut avoir une autre politique, certainement imparfaite j'imagine, mais à priori nettement plus efficace que celle de l'UE !!! Et si on se base sur le taux de croissance comme l'un des principaux indicateurs de réussite économique !

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  3. L'Union Européenne est en faillite.

    Pour la période 2014-2020, les 28 Etats européens se sont engagés à donner 908 milliards d'euros au budget de l'Union Européenne.

    Mais ça, c'était avant.

    La Cour des comptes européenne a fait ses comptes : elle vient d'annoncer que les 28 Etats européens allaient encore devoir payer.

    En tout, les 28 Etats européens vont devoir payer 326 milliards d'euros supplémentaires !

    Vous avez bien lu : il manque 326 milliards d'euros dans la caisse de l'Union Européenne !

    Lisez cet article ahurissant :

    La Cour des comptes s'alarme du trou faramineux du budget européen.

    Ce rapport souligne entre autres le fait que les États membres devront débourser 1 234 milliards d’euros pour couvrir les engagements de la Commission. Ce montant totalise les 908 milliards prévus pour les paiements de la période et quelque 326 milliards supplémentaires correspondants à des décaissements liés aux deux périodes budgétaires précédentes, au moins.

    http://www.euractiv.fr/sections/priorites-ue-2020/la-cour-des-comptes-salarme-du-trou-faramineux-du-buget-europeen-310327

    L'Union Européenne, c'est 28 Etats dont la dette publique atteint 11930,266 milliards d'euros.

    L'Union Européenne, c'est 28 Etats qui doivent payer 908 milliards d'euros pour le budget européen 2014-2020, alors qu'ils sont déjà hyper-endettés.

    Et aujourd'hui, nous apprenons qu'en plus, comme si ça ne suffisait pas, il va falloir trouver 326 milliards d'euros supplémentaires pour éviter la faillite de l'Union Européenne !

    Mais avec quel argent ?

    Hein ?

    Avec quel argent ?

    L'Union Européenne, c'est le tonneau des Danaïdes.

    L'Union Européenne, c'est un mécanisme perdant-perdant.

    L'Union Européenne, c'est un suicide collectif.

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    1. Je partage ta colère, mais pas la conclusion. En effet, qui dit suicide, dit acte délibéré pour mettre fin à sa vie, ce qui n'est pas le cas. Il s'agirait plutôt ici de crime organisé. Non ?

      Demos

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  4. Christian Noyer appartient à ce groupe d'anciens hauts fonctionnaires dont le rôle est de "réquisitionner l'Etat" au profit de la surclasse mondialisées, souvent elle-même- tout au moins en France- peuplée d'anciens fonctionnaires. Cf: http://www.lacrisedesannees2010.com/2014/10/la-surclasse-mondialiste-interdit-la-fin-de-la-crise.html

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  5. Le 8 février 2013, l'européiste Jean Quatremer était désespéré.

    Jean Quatremer pleurnichait car il venait d'apprendre que le Royaume-Uni, les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et l'Allemagne avaient gagné : ces cinq Etats avaient obtenu que le budget européen pour la période 2014-2020 soit en baisse.

    Ces cinq Etats avaient obtenu que le budget européen baisse à 908,4 milliards d'euros pour la période 2014-2020.

    Lisez cet article :

    David Cameron, le triomphant.

    C’est le vainqueur par KO. Le Premier ministre britannique avait fixé sa ligne rouge : 885 milliards d’euros de crédits de paiement (l’argent effectivement décaissé). Dès son arrivée, il avait averti : «Les chiffres doivent redescendre, et si ce n’est pas le cas, il n’y aura pas d’accord.» Pour le leader tory, le dernier compromis ébauché par Herman Van Rompuy, le président du Conseil européen, était encore trop haut. De 943 milliards en crédits de paiements, le curseur fut donc ramené à 913 milliards d’euros. Toujours trop pour Cameron. «Il ne voulait pas d’un chiffre commençant par 9», raconte un diplomate. Finalement, au bout de trente heures d’âpres marchandages, les Vingt-Sept ont topé à 908,4 milliards. Cameron est apparu triomphant face à la presse : le fameux chèque obtenu par Thatcher en 1984 n’a pas été touché alors qu’il «était attaqué de tous les côtés». Et la France n’est pas parvenue à l’isoler. «Les Pays-Bas, la Suède, la Finlande et Angela étaient à mes côtés», s’est-il rengorgé.

    http://www.liberation.fr/economie/2013/02/08/budget-de-l-ue-peze-perdu-pour-hollande_880574

    Mais le 26 novembre 2014, la Cour des comptes européenne balance une bombe.

    Dans son rapport, page 5, paragraphe XVIII, la Cour des comptes écrit que l'Union européenne est en faillite.

    Les Etats européens devront donner 908 milliards d'euros au budget européen, et en plus, comme si ça ne suffisait pas, ils devront donner 326 milliards d'euros supplémentaires !

    En clair : il y a un trou de 326 milliards d'euros dans la caisse de l'Union Européenne !

    Et ça, ce n'était pas prévu !

    Si les Etats ne bouchent pas ce trou de 326 milliards d'euros, l'Union Européenne sera en cessation de paiements.

    Lisez ce rapport :

    Les États membres seront tenus à l’avenir de contribuer à hauteur de 1 234 milliards d’euros pour couvrir les décaissements correspondant aux engagements. Ce montant se compose des 908 milliards d’euros convenus aux termes du CFP pour la période 2014‑2020 (paiements), auxquels s’ajoutent 326 milliards d’euros supplémentaires correspondant aux décaissements des crédits d’engagement des CFP précédents, ce qui pourrait affecter la capacité de la Commission à satisfaire toutes les demandes de paiement pendant l’exercice au cours duquel elles sont présentées.

    http://www.eca.europa.eu/Lists/ECADocuments/LR14_02/QJ0614039FRN.pdf

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  6. Effectivement je suis daccord avec vous sur le fait que ca avant mais je mets un bémol sur le "on voit la fin" car on y est vraiment pas à mon avis... tant que les politiques eux meme possendent des comptes offshore aucune loi réelle ne sera votée dans n'importe quel pays.

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