dimanche 5 avril 2015

L’enquête de David Graeber sur les origines de la monnaie

C’est un livre absolument passionnant, que j’ai découvert grâce à l’ami RST, « Dette : 5000 ans d’histoire » de David Graeber. Une histoire des derniers millénaires, sous l’angle de la monnaie et de la dette, sur toute la planète et sans se limiter à l’économie. Une mine absolument passionnante.



La monnaie, fille de la dette

Si le livre est centré sur la dette, il apporte un éclairage passionnant sur les origines de la monnaie. En effet, la monnaie descend directement de la dette. Pour l’auteur, « la monnaie virtuelle n’a rien d’une nouveauté. Il s’agit en fait de la forme initiale de la monnaie : systèmes de crédit, ‘ardoises’, notes de frais même, tout cela existait longtemps avant l’argent liquide. Ces choses-là sont vieilles comme la civilisation ». D’ailleurs, parmi les tous premiers écrits se retrouvent des tablettes mésopotamiennes enregistrant des crédits et des débits mesurés en grains et en argent métal.

Ce faisant, David Graeber tord le cou au mythe véhiculé par les néolibéraux, qu’il résume ainsi : « autrefois, on faisait du troc. C’était difficile. Donc on a inventé la monnaie. Et plus tard il y a eu le développement de la banque et du crédit ». En 1776, Adam Smith reprend cette idée, suivant un récit imaginaire d’Aristote. David Graeber révèle également que « bien des raisonnements les plus célèbres d’Adam Smith (sont) empruntés, semble-t-il, aus œuvres de théoriciens du marché libre de la Perse médiévale ». Mais pour Smith, l’idée était surtout de combattre l’idée que la monnaie était une création de l’Etat.

Le problème est qu’en réalité, cette théorie n’a jamais été vérifiée. Et dans les périodes d’effondrement, comme après la chute de l’Empire Romain, cela ne provoque pas un retour au troc, car « les gens ont continué à tenir des comptes dans la vieille monnaie impériale, même s’ils n’utilisaient plus les pièces ». Elle est restée l’unité de compte et permet le crédit.

L’organisation de notre système monétaire

On sait aujourd’hui qu’il y a cinq milles ans, en Egypte et en Mésopotamie (mais aussi en Chine et dans la vallée de l’Indus), les sociétés fonctionnaient avec des systèmes de crédit : « les gens ordinaires qui achetaient de la bière (…) d’une taverne avaient une ardoise, qu’ils payaient au moment de la moisson, en orge, ou avec tout ce qui pouvait leur tomber sous la main ». Développant de nombreux exemples, l’auteur affirme qu’« il est faux que nous ayons commencé par le troc, puis découvert la monnaie, et enfin développé les systèmes de crédit. L’évolution a eu lieu dans l’autre sens ».

En revanche, il est vrai que l’homme a utilisé de nombreux substituts à l’argent liquide moderne : sel en Abyssinie, coquillages sur la côte de l’Inde, morue sèche à Terre-Neuve, tabac en Virginie, sucre en Indes occidentales, fer à Sparte, cuivre dans la Rome antique. Il note que la monnaie s’est en général incarnée dans le bien le plus précieux de la société, celui qui était alors offert aux dieux, le bœuf dans la Grèce Antique, l’argent et l’or après.

Posant la question de la banque centrale, l’auteur raconte qu’en 1694, un consortium de banquiers se réunit et créé la première banque centrale, en Angleterre, en prêtant 1 200 000 livres au roi contre le monopole sur l’émission des billets de banque en pouvant prêter une fraction du montant que le roi leur devait (une forme de monétaisation de la dette royale), contre intérêts. Il faut noter que le système ne peut fonctionner que si le roi ne rembourse jamais toute sa dette, sans quoi il n’y aurait plus de monnaie.

« Dette : 5000 ans d’histoire » est une mine d’information pour les passionnés d’économie. Un livre d’autant plus essentiel qu’il n’est pas un livre d’économiste, mais un ouvrage foisonnant davantage construit comme un livre qui mêle histoire, politique, sociologie, et bien sûr, économie.

Source : David Graeber, « Dette : 5000 ans d’histoire », Les Liens qui Libèrent

Pour creuser la question de la monnaie, vous pouvez également lire les résumés de ces livres :
Pierre-Noël Giraud, « Le commerce des promesses » : partie 1 et partie 2
A-J. Holbecq et P. Derudder
-        « La dette publique, une affaire rentable » : partie 1 et partie 2
-        « Manifeste pour que l’argent serve au lieu d’asservir » : ici


Jean-Claude Werrebrouck, « Banques centrales : indépendance ou soumission » : partie 1 et partie 2

17 commentaires:

  1. Au sujet de la monnaie, je signale aussi cet ensemble de PDF :
    http://www.citoyen-lambda.fr/monnaie-mdcf.html

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  2. Sortie de l'UE, de l'Euro, de l'Otan, du Conseil de l'Europe (CESDH/CEDH), partenariat stratégique avec la Russie (déjà la Grèce ?) face à l'hybris libérale, rétablissement de la Banque de France dans toutes ses prérogatives et soumission intégrale de celle-ci au politique dans le cadre d'une démocratie renouvelée et référendaire.

    Après le mur de Berlin, d'autres murs doivent tomber pour qu'enfin la liberté revienne.

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  3. Pour un point de vue néochartaliste sur la monnaie, voir aussi le livre de Jean-Baptiste Bersac, Devises, l'Irresistible émergence de la Monnaie.

    YPB

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  4. Le livre de Graeber a aussi fait l'objet d'analyses critiques approfondies de Peter Hägel dans La Vie des idées (http://www.laviedesidees.fr/La-dette-est-elle-une-institution.html) et de la part du journaliste autrichien Franz Schandl de la revue Streifzuege (http://www.palim-psao.fr/article-quand-graeber-etale-la-dette-une-critique-du-livre-la-dette-5000-ans-d-histoire-par-fra-121371159.html).

    YPB

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  5. Un changement radical dans l’histoire de la finance moderne : l’Islande veut redonner le monopole de la création de monnaie à sa banque centrale. Le gouvernement islandais envisage de retirer aux banques la création monétaire pour la confier à la seule banque centrale de l’île. Dans un rapport de 113 pages commandé par le Premier ministre islandais, intitulé « A better monetary system for Iceland » (Un meilleur système monétaire pour l’Islande – voir ci-dessous), Frosti Sigurjonsson recommande au Framsóknarflokkurinn (Parti progressiste) au pouvoir de confier entièrement la création de l’argent à la banque centrale, avant de remettre cette prérogative au parlement.

    L’Islande veut ainsi mettre fin à un système qui s’est caractérisé par une série de crises, y compris la crise financière de 2008, qui a mis le pays en quasi-faillite.

    http://www.cercledesvolontaires.fr/2015/04/03/un-changement-radical-dans-lhistoire-de-la-finance-moderne-lislande-veut-redonner-le-monopole-de-la-creation-de-monnaie-a-sa-banque-centrale-express-be/

    Saul

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    1. Euh... les BC créent la monnaie déjà, les banques privées n'ont jamais créé la monnaie, elles la distribuent, mal ou bien...

      Une banque privée doit avoir un bilan équilibré entre ses emprunts et ses prêts comme toute entreprise privée. Ses emprunts se font auprès d'autres institutions privées ou auprès des BC qui seules créent la monnaie. Bernanke et Draghi le savent bien.

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    2. Voici le rapport (à envoyer peut-être au Ministre grec des finances !) :

      http://www.forsaetisraduneyti.is/media/Skyrslur/monetary-reform.pdf

      L’Islande sera-t-il le premier pays à adopter le « 100% monnaie » ? « Le sort de la proposition reste incertain car le premier ministre n'a pas donné d'avis définitif. "Les conclusions seront une contribution importante à la discussion à venir, ici et ailleurs, sur la création et la politique monétaires", a-t-il déclaré dans un communiqué. »

      http://www.lematin.ch/economie/islande-veut-revolutionner-systeme-monetaire/story/11026877

      « Anonyme” regardez cette vidéo (en prenant votre temps) sur le système des réserves fractionnaires et le 100% monnaie :

      http://www.centpourcentmonnaie.fr/

      Saul

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  6. L'un de mes prof de finance nous disait qu'il y a moins de 100 personnes au monde qui comprennent le phenomene de creation monetaire.

    impressionant compte tenu de l'importance ( pas etonnant que 100% des models economiques se gauffrent de facon pathetique ( inflation/QE ? ;-) ))

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    1. "moins de 100 personnes au monde"
      C'est sans doute un peu excessif, mais il faut partir de ce que la théorie économique dominante qui endoctrine nos étudiants part du principe que la monnaie n'existe pas en tant que telle. La théorie de la monnaie, et de la dette qui représente au final la même chose, suppose la déconstruction de l’École néoclassique : enjeu théorique mais plus vaste : réapprendre à appliquer des raisonnement scientifiques à l'économie. A partir de là la difficulté n'est pas si énorme :
      http://bloc-notesdejoelhalpern.hautetfort.com/archive/2011/11/20/petit-apologue-de-la-creation-monetaire.html

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  7. Moins de 100 personnes comprennent la création de la monnaie?

    C'est pourtant à la portée de tous.

    Tout a commencé avec le troc. Puis les marchands ont acheté la production des individus pour en faire commerce.
    Pour cela : ils ont utilisé l’or afin de monétiser ‘’l’effonrt et la compétence’’ d’un producteur. Plus tard l’or est resté dans les coffres et un récépissé d’once d’or à suffit.
    Plus tard encore, comprenant l’inutilité de l’or, la monnaie à suffit et avec cette monnaie s’est monétisé les ‘’efforts et compétences’’ des producteurs de tous ces biens et de tous ces services qui circulent.

    En finalité, et en réalité, nous ne payons pas un objet mais des ‘’temps d’activité’’ de ceux qui, avec leurs ‘’efforts et compétences’’, ont produit cet objet comme ceux qui le modifient, par la suite, ou le fond circuler jusqu’à son consommateur.
    Ce principe nous l’appelons ‘’l’économie réelle’’. C’est-à-dire : la circulation des biens et des services, en parallèle d’une circulation de la monnaie, du début de leurs production, jusqu’à leurs consommations ou leurs usages.
    Au XX° siècle, partant du principe que l’un produisait le besoin de l’autre et vise versa, il a été décidé de remplacer la solidarité familiale par la solidarité citoyenne. Cette dernière consiste à donner des moyens financiers à ceux qui ne produisent pas : les inactifs. C’est-à-dire payer des ‘’temps d’inactivité’’ à ceux là.
    C’est l’invention de la monétisation pour des ‘’temps d’inactivité’’ au profit de nos retraités, nos chômeurs ou autres et cette monétisation s’est ajoutée à la monétisation du ‘’temps d’activité’’ (effort et compétence) pour devenir la valeur du bien ou du service.

    En même temps, quelques têtes pensantes, pour ne pas simplifier les choses, se sont dit : « et si on mettait dans le prix de nos consommation une monétisation pour nos ‘’dépenses mutualisée’’ et nos ‘’dépenses collectives’’» la chose est entendue et faite. Voila pourquoi aujourd’hui, en additionnant :
    -- les monétisations pour les ‘’efforts et compétence’’ (temps d’activité) des producteurs, plus
    -- les monétisations pour ‘’des temps d’inactivité’’ de retraités, chômeurs, malades ou autres, plus
    -- les monétisations pour nos ‘’dépenses mutuelles et collectives’’ :
    nous obtenons les 100% du prix à payer pour acquérir nos consommations.

    Qui peut nier cette réalité ? Faut-il en savoir plus sur la monétisation ? Cette réalité là n’est-elle pas suffisante ?

    Vous parlez d'emprunt? alors n'oublier pas épargne.
    L'équilibre des deux devient l'essentiel de notre système et le déséquilibre la chienlit.

    Unci TOÏ-YEN

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  8. @ lowcarber

    Tout Faux?

    Avez vous dans votre porter feuille ou sur votre compte en banque autre chose que la monétisation de :
    -- les monétisations pour les ‘’efforts et compétence’’ (temps d’activité) des producteurs,
    -- les monétisations pour ‘’des temps d’inactivité’’ de retraités, chômeurs, malades ou autres,
    -- ou la monnaie d'un emprunt?

    Qui peut nier cette réalité ? Faut-il en savoir plus sur la monétisation ? Cette réalité là n’est-elle pas suffisante ?

    Vous parlez d'emprunt? alors n'oublier pas épargne.
    L'équilibre des deux devient l'essentiel de notre système et le déséquilibre la chienlit.

    Unci TOÏ-YEN

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  9. @ lowcarber

    Tout Faux?

    Avez vous dans votre porter feuille ou sur votre compte en banque autre chose que la monétisation de :
    -- les monétisations pour les ‘’efforts et compétence’’ (temps d’activité) des producteurs,
    -- les monétisations pour ‘’des temps d’inactivité’’ de retraités, chômeurs, malades ou autres,
    -- ou la monnaie d'un emprunt?

    Qui peut nier cette réalité ? Faut-il en savoir plus sur la monétisation ? Cette réalité là n’est-elle pas suffisante ?

    Vous parlez d'emprunt? alors n'oublier pas épargne.
    L'équilibre des deux devient l'essentiel de notre système et le déséquilibre la chienlit.

    Unci TOÏ-YEN

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  10. Merci à YPB pour les références concernant des critiques du livre de Graeber. J'ai lu le premier texte et parcouru rapidement le second (que je vais relire attentivement même si il me semble qu'il cherche à se payer l'auteur sans beaucoup d'arguments)et j'avoue ne pas avoir été vraiment convaincu.
    RST

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  11. @ Unci TOÏ-YEN
    " Tout a commencé avec le troc"
    Et bien non justement. Lisez donc le livre de Graeber avant de débiter votre théorie mal assimilée

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    1. @RST

      votre théorie consistant à que tout n'a pas commencé par le troc mais par la dette est une idiotie sans nom.

      D'abord il y a eu la dette qui a donné naissance à la monnaie.
      Donc une monétisation de la dette et non une monétisation des productions de biens et de services par le troc remplacé par des échanges de bien contre l'or lequel a été remplacé par des récépissés d'or ?

      Vous délirez.

      Unci TOÏ-YEN

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  12. @ Raphael

    Merci. J’essaierai de lire

    @ YPB

    Il fait partie des prochains livres que je dois lire. J’ai eu la chance de le rencontrer grâce à RST. Merci pour les liens

    @ Saul

    Merci. J’avais vu. Il faut que je fasse un papier à ce sujet (Islande / Grèce)

    @ Anonyme

    Je vous renvoie aux nombreuses références de ce papier. L’essentiel de la monnaie est créé par les banques

    @ J Halpern

    Merci pour le lien

    @ Un Citoyen

    Enoncer quelque chose, même avec conviction, n’en fait pas une réalité. Ce que vous dites ne repose sur rien, notamment le troc.

    @ RST

    Merci à toi pour la référence et la rencontre avec Jean-Baptiste. Je tarde un peu à lire son livre (j’en ai encore deux, courts, à lire avant), mais je compte bien le faire cet été.

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