lundi 15 mars 2021

L’effacement des dettes a déjà commencé (mais il ne faut pas le dire)

Billet publié sur le site de Marianne

 

C’est un des sujets qui a dominé les débats économiques ces dernières semaines : faudrait-il effacer une partie des dettes issues de la crise sanitaire ? Thomas Piketty mène le combat, au point de subir un tir de barrage assez féroce. Mais, finalement, puisque les banques centrales mènent depuis un peu plus de dix ans des politiques de monétisation importantes, un effacement des dettes publiques, certes temporaire et sans le moindre cadre démocratique, n’a-t-il pas, en fait, déjà commencé ?

 


Les angles morts du statut des banques centrales

 

Ici encore, les alternatifs ne sont pas les plus habiles communicants. Il faut dire que parler d’effacement de la dette rend le sujet explosif. La différence avec un défaut n’est pas claire pour les profanes, et cela permet toutes les caricatures, ce qu’Agnès Verdier-Molinié s’est empressée de faire. Pourtant, la monétisation des dettes publiques par les banques centrales, la création de monnaie ex nihilo, pour racheter les titres de dettes publiques des Etats, n’est-ce pas une forme d’effacement officieux des dettes publiques ? Après tout, quand une banque centrale publique détient les titres de dettes de son pays, l’Etat se doit à lui-même de l’argent. On peut considérer que les titres de dettes que possède cette banque centrale sur son propre pays sont à la fois au passif du pays (qui doit rembourser l’argent qu’il a emprunté), mais aussi à son actif, via la banque centrale, qu’il détient, et qui recevra le remboursement.

 

Comptablement, on pourrait sérieusement considérer que la monétisation est une forme d’effacement des dettes publiques. De facto, l’Etat, par sa banque centrale, créé de l’argent pour racheter ses propres dettes, qu’il finit par se devoir à lui-même. A l’échéance de ces dettes, le Trésor versera une somme à la Banque Centrale, ce qui revient comptablement à transférer de l’argent d’une poche (de l’Etat) à une autre. En outre, on constate depuis 2008 que les banques centrales entretiennent leur action, en renouvellant les achats de titres à échéance pour ne pas réduire leur soutien à l’économie. Ainsi, l’augmentation de l’encours de dettes publiques est devenu un instrument comme un autre de la politique monétaire. Ce faisant, il serait intéressant d’étudier le niveau de dettes publiques nettes (montant total moins celui détenu par la banque centrale), pour avoir un regard plus complet sur la question.

 

Cela explique le cas si particulier du Japon, dont la dette publique atteint 259% du PIB, ce qui devrait lourdement contraindre les choix du pays. Mais parce que la Banque du Japon a acquis 43% de la dette publique (pour 111% du PIB), Tokyo présente une dette nette assez proche d’autres pays. C’est parce que Shinzo Abe a décidé d’une accélération du programme de monétisation (à plus de 10% du PIB par an depuis 2012), que le pays n’a pas de pression pour se financer, pouvant se permettre des déficits importants. Néanmoins, la particularité du Japon est que sa banque centrale continue à fonctionner comme dans les pays européens des années 1980, Allemagne exclue, à savoir qu’elle obéit au gouvernement, dont elle n’est pas indépendante. Dans le cas du Japon, comptablement, il est très légitime de considérer que la dette publique détenue par la banque centrale est de facto effacée.

 

La situation est plus complexe pour les autres pays occidentaux, où la banque centrale est devenue indépendante du pouvoir politique. En effet, la monétisation devient un choix réversible, et l’Etat ne maitrise pas complètement ce que fait la banque centrale. Alors, pour être précis, on pourrait parler d’un retrait, momentané, de titres de dettes publiques. En effet, théoriquement, une banque centrale peut revendre ses titres. C’est ce qu’avait entrepris la Fed, qui a légèrement réduit le montant des bons du trésor à son bilan en 2018-2019. En cela, l’effacement n’est pas forcément permanent, et peut n’être qu’un retrait temporaire, même si on imagine mal une réduction forte des encours des banques centrales, même à long terme. On peut penser que les dettes qui ont été monétisées le resteront, et seront logiquement renouvellées à échéance, même si rien de tel n’est clairement dit officiellement.

 

En cela, les dettes publiques détenues par une banque centrale publique ne sont pas de la même nature que des dettes dues à des investisseurs du même pays ou même à des investisseurs étrangers, qu’il n’a jamais été question de ne pas rembourser. Le débat intéressant qui s’est esquissé porte en fait sur le rôle des banques centrales et de la monétisation des dettes publiques. L’action des banquiers centraux, arbitraire et sortie du cadre démocratique aux Etats-Unis et en Europe, est devenue trop importante pour ne pas être questionnée publiquement. Plus que l’annulation ou l’effacement d’une partie des dettes détenues par la banque centrale, la vraie question qui devrait être posée aujourd’hui, c’est pourquoi des décisions aussi importantes échappent complètement au cadre démocratique. Pourquoi les banquiers centraux ont acquis un tel pouvoir sans avoir de comptes à rendre. Aujourd’hui, la Banque de France détient pour 25% du PIB de dette publique de la France, plus de 500 milliards d’euros !

 

Dans le cadre européen actuel, les demandes de Piketty et de ses cosignataires sont irréalisables. Jamais l’Allemagne, et les pays de sa sphère économique, n’accepteront un quelconque allègement. Déjà, le fait d’accepter la monétisation a été très difficile, ponctué de crises fortes, entre démissions à la BCE, et avertissements de la Cour de Karlsruhe. Le compromis actuel a été forgé par une limitation des montants et un cantonnement de l’essentiel des rachats aux banques nationales : c’est la Bundesbank qui achète l’essentiel de la dette allemande et la Banque de France la dette française, limitant une mise en commun fédéraliste des créances publiques. Mais l’envolée des dettes suite à la crise de 2008-2009, puis à celle de 2020, a provoqué une telle augmentation de la monétisation que cela pose des questions légitimes sur les modalités de ces choix, qui devraient être débattues démocratiquement.

 

En un sens, l’annulation des dettes publiques est déjà à l’œuvre depuis une dizaine d’années, même si elle n’est que partielle, potentiellement seulement temporaire, et non soumise à l’avis des citoyens. Aujourd’hui, cela est fait de manière officieuse et arbitraire, à mille lieues de ce qu’une démocratie fonctionnelle devrait exiger. La demande d’aménagement des dettes détenues par les banques centrales est parfaitement légitime, mais ce qu’elle fait apparaître aujourd’hui, c’est que ces décisions ont été placées hors du cadre démocratique, et que cela n’est fondamentalement pas acceptable.

4 commentaires:

  1. Si l'effacement de la dette demandé par Piketty est irréalisable dans le cadre actuel, la remise en cause de l'indépendance de la banque centrale l'est tout autant pour les mêmes raisons...

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  2. Ce que vous appelez "contrôle démocratique" n'est-il pas synonyme de "contrôle par la commission des finances de l'Assemblée nationale" ?
    Vu ce que cette Assemblée (démocratique ?) a réussi à voter dans les années 80, et vu les décisions corrélatives de la BdF avant l'Euro, je me demande si le citoyen contribuable a quoique ce soit à gagner à une sortie de l'Euro.

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  3. @ Moi

    Bien d'accord.

    @ Alain M

    Non, plutôt le ministre des finances, sous l'autorité du Premier ministre. En revanche, il faut organiser un suivi démocratique de la politique monétaire par un vote, comme pour le budget, de manière à replacer la politique monétaire dans le cadre démocratique.

    Il y a tout à gagner à la sortie de l'euro, qui est un immense échec, une monnaie qui n'aurait jamais du voir le jour.

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