dimanche 25 septembre 2011

Paul Krugman dissèque les crises


Paul Krugman est un économiste particulier, un libéral de plus en plus modéré. Et outre une capacité d’analyse qui lui a valu le prix d’économie décerné à la mémoire d’Alfred Nobel, il a une capacité de vulgarisation peu commune, ainsi qu’un véritable sens politique.


Le rôle de la libéralisation monétaire


« Pourquoi les crises reviennent toujours » est un ouvrage ancien (1999) qui a été réédité et mis à jour en 2009. Mon ami RST en avait fait un résumé très intéressant, mais je souhaite y apporter également mon regard. De manière très significative, ce livre est centré sur la crise des pays asiatiques, crise à laquelle Joseph Stiglitz et Jacques Sapir accordent une grande importance. Paul Krugman revient également dans ce livre sur l’ensemble des crises économiques des pays émergents.


L’éditorialiste du New York Times a l’immense mérite de souligner le rôle de la monnaie dans les crises, facteur trop souvent oublié aujourd’hui. Il rappelle qu’après l’arrimage du peso au dollar en 1991, les prix à la consommation avaient augmenté de 40% en Argentine, contre seulement 6% aux Etats-Unis, phénomène que l’on retrouve au Mexique. Du coup, la rigidité des taux de change était devenue un handicap pour ces pays du fait de la surévaluation de la monnaie.


Le prix Nobel d’économie montre à quel point la surévaluation d’une monnaie est dangereuse pour l’économie. Elle provoque un déficit commercial puisqu’elle pénalise les exportations et favorise les importations (le Mexique avait un déficit de 8% du PIB en 1993) et pénalise donc la croissance. Les ayatollahs de l’euro fort feraient bien de garder cela en mémoire… Il y voit les raisons de la crise argentine de 2002, qui a provoqué une baisse du PIB de 18%.


Mais ce sont aussi des raisons monétaires qui expliquent en partie la crise de 1997-1999. En effet, la dévaluation chinoise de 1994 puis la baisse du yen avaient contribué à déséquilibrer les échanges commerciaux de beaucoup de pays, notamment la Thaïlande. Le déséquilibre de sa balance commerciale créa une crise de confiance et une spéculation contre le bath, qui provoqua une hausse des taux d’intérêt qui étrangla l’économie, puis aboutit à une grave récession économique.


Le rôle de la libéralisation financière


Mais la crise asiatique s’explique plus encore par la libéralisation des flux financiers. En effet, alors que les pays émergents recevaient 42 milliards de dollars de capitaux en 1990, ce montant a atteint 256 milliards en 1997. Une partie était des investissements physiques, mais de plus en plus, les capitaux étrangers avaient une origine financière, voir même purement spéculative. En effet, les investisseurs faisaient du « carry trade », empruntant en monnaie à taux faible pour placer en monnaie à taux élevé.


Du coup, ces flux financiers avaient tendance à pousser à la hausse les monnaies des pays émergents, contraignant la banque centrale locale à acheter des monnaies de réserve et à vendre sa monnaie pour maintenir les parités monétaires. Mais cette augmentation de la demande de monnaie locale fit également monter les taux d’intérêt, encourageant plus encore le phénomène de « carry trade », et créant les conditions parfaites pour une nouvelle bulle.


Conséquence de la bulle, à un moment, les flux de capitaux se tarirent et la baisse de demande de monnaie locale provoqua la baisse de son cours. Les banques centrales se mirent donc à vendre des monnaies fortes pour acheter leur monnaie afin de défendre leur cours, épuisant leurs réserves. Les pays asiatiques étaient obligés de défendre leur monnaie, étant donné qu’une partie de leur dette était libellée en dollar, ce qui rendait très problématique toute dévaluation.


La crise se transmit rapidement aux autres pays par un double mécanisme : la panique des marchés et la création des fonds pays émergents. En effet, la méfiance à l’égard de la Thaïlande se transmit immédiatement aux autres pays puisque les investisseurs se mirent à bouder l’ensemble des fonds de pays émergents asiatiques, ce qui provoqua la même fuite de capitaux dans l’ensemble de l’Asie du Sud-Est et les mêmes conséquences (à part dans les pays encadrant les flux financiers).


Dans ce livre, Paul Krugman montre bien comment l’anarchie monétaire et financière est à l’origine de bulles économiques et financières dangereuses qui peuvent provoquer de graves crises, et qui se transmettent en un instant à la planète.


Source : « Pourquoi les crises reviennent toujours », Paul Krugman, texte publié en février 2009

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