vendredi 7 octobre 2011

La zone euro : une maison mal construite, en zone inondable


Le problème avec la zone euro est qu’elle cumule les vices de forme, ce qui permet de penser qu’elle est réformable. En effet, tous ceux qui veulent croire que la monnaie unique pourrait fonctionner peuvent pointer ses innombrables dysfonctionnements.

Le sempiternel problème de l’euro cher

En effet, la monnaie unique souffre déjà d’une mauvaise gestion. La première, évidente depuis près d’une dizaine d’années, est la cherté de l’euro. Parce que la BCE n’a jamais daigné s’intéresser à la valeur de la monnaie unique et qu’elle mène une politique uniquement tournée vers la lutte contre l’inflation, la valeur de l’euro est beaucoup trop élevée. Dans un premier temps, la monnaie unique était tombée jusqu’à 0,82 dollar, expliquant la croissance de la fin des années 1990.

Mais depuis, elle est montée jusqu’à 1,6 dollars, en plein délire monétariste, quand Jean-Claude Trichet et ses sbires avaient monté le taux directeur de la BCE début juillet 2008, luttant contre un fantôme d’inflation, alors que la Federal Reserve avait déjà compris que le temps était plutôt au soutien à la croissance, ce qui l’avait conduit à déjà baisser ses taux de 3 points ! Depuis la crise, l’euro oscille entre 1,2 et 1,45 dollars, un niveau encore largement trop élevé.

Les économistes estiment en général que la parité d’équilibre de la monnaie unique se situe entre 1 et 1,15 euros. Michel Aglietta avait avancé le chiffre de 1,07 dollars, qui se trouve confirmé par une récente étude de The Economist qui avait conclu que l’euro était la seule grande monnaie à être surévaluée, de 36% (à un moment où la monnaie unique cotait un peu plus de 1,4 dollars), alors que le dollar, le yen, la livre sterling et même le wuan étaient à peu près à un niveau équilibré.

Les conséquences de cette surévaluation sont dramatiques pour notre industrie. Louis Gallois, patron d’EADS déclarait ainsi en 2008 que « l’euro à son niveau actuel est en train d’asphyxier une bonne partie de l’industrie européenne en laminant ses marges à l’exportation ». C’est pour cette raison qu’Airbus a décidé de faire fabriquer une partie du fuselage de l’A350 aux Etats-Unis pour se protéger contre la cherté de l’euro, au grand dam des sous-traitants européens.

Parallèlement, alors que nos constructeurs fabriquaient plus de 3 millions de véhicules en France jusqu’en 2005, cette production est tombée sous les 2 millions en 2009, du fait d’une vague sans précédent de délocalisations, en Slovénie, en République Tchèque ou en Roumanie, pour profiter de coûts de production nettement inférieurs. Pire, de plus en plus de composants sont également importés. Pas étonnant que la France ait perdu un million d’emplois industriels depuis 10 ans.

Un monétarisme absurde

Cette surévaluation chronique de l’euro a une raison toute simple : la politique absurdement monétariste menée par la Banque Centrale Européenne, prolongement de la politique délétère menée par Jean-Claude Trichet au début des années 1990. Il faut dire que le seul objectif de la BCE est la lutte contre l’inflation, et pas la croissance ou l’emploi comme aux Etats-Unis. Cette politique conduit à une appréciation de l’euro contre toutes les monnaies qui privilégient également la croissance.

Après le précédent lamentable de 2008, la BCE vient de persister dans l’erreur, en augmentant par deux fois ses taux au printemps 2011, alors que la Federal Reserve et la Banque Centrale d’Angleterre se gardaient bien d’une telle décision alors que les économies sont encore en phase de convalescence après avoir traversé la pire crise économique depuis la Grande Dépression des années 1930. Pire, ces décisions n’ont aucune influence sur le niveau de l’inflation.

Ce que la BCE refuse de voir dans les épisodes inflationnistes de 2008 et 2011, c’est qu’ils viennent d’une envolée conjoncturelle des prix des matières premières (dont certains ont plus que doublé). Bien sûr, cela provoque une hausse de l’inflation, mais celle-ci est forcément temporaire car les prix ne peuvent pas doubler tous les ans et surtout, les autres prix restent relativement stables, l’inflation hors éléments volatiles restant, toujours sous les 2%.

En outre, le niveau du chômage fait qu’il ne risque pas d’y avoir de dérapages des salaires, comme cela a pu avoir lieu dans les années 1970. Bref, le risque de dérapage inflationniste est totalement marginal et il est donc totalement absurde de monter les taux pour contrer une légère hausse de l’inflation qui n’est provoquée que par l’appétit de la Chine pour les matières premières. Ce faisant, nous nous tirons dans le pied, sans contribuer à réduire l’inflation globale…

L’autre absurdité monétaire amenée par l’euro est l’article 123 du traité de Lisbonne (l’ancien article 104 du traité de Maastricht), qui interdit à la BCE de prêter directement aux Etats. Bien sûr, cette règle a été en partie violée cette année pour réduire les tensions spéculatives sur les taux des pays en délicatesse avec les marchés, mais au global, il est tout de même incroyable que l’Europe ait renoncé à toute création monétaire, qui devrait pourtant être du ressort public.

Résultat, la BCE a fini par racheter pour un peu plus de 120 milliards d’obligations d’Etat, mais i ces achats ont été stérilisés pour éviter tout risque inflationniste… De l’autre côté de l’Atlantique, la Fed a pris en pension 1500 milliards de Bons du Trésor. Résultat, malgré un déficit abyssal (comparable à celui de la Grèce), les Etats-Unis empruntent à 2%, comme l’Allemagne. Idem pour la Grande-Bretagne, qui n’hésite pas à recourir elle aussi à la monétisation.

Une zone euro construite en zone inondable

Et ce n’est pas tout. Outre le fait de mal gérer sa monnaie, l’UE gère mal son économie. Les dirigeants des pays européens ont souscrit à une libéralisation anarchique et dogmatique des mouvements de biens, de capitaux et de personnes qui font de l’Europe la zone la plus ouverte du monde. Nos pays sont devenus des zones offertes à tous les produits du monde, quelles que soient les conditions sociales, salariales ou environnementales dans lesquelles ils sont faits.

Le libre-échange dogmatique que nos dirigeants ont accepté a provoqué une désindustrialisation massive et des destructions d’emplois colossales. Comment les travailleurs des pays les plus riches peuvent lutter avec des salariés qui touchent 10 à 30 fois moins, y compris au sein de l’UE (le SMIC Roumain est à peine supérieur à 100 euros). Et le pire est que l’Asie et l’Amérique Latine ont bien compris que le protectionnisme est une condition nécessaire au développement économique.

Mais nous sommes également en zone inondable d’un point de vue financier. La libéralisation des mouvements de capitaux est également une des réformes apportées par la construction européenne, et la directive Delors-Lamy de la fin des années 1980. Aurélien Bernier, du M’PEP, a souligné dans son livre qu’il s’agit sans doute de la prunelle des yeux des technocrates européens, qui ont mis en place dans les traités un verrou redoutable pour la protéger.

Le problème est que cette circulation anarchique des capitaux (contestée par certains pays) a des conséquences délétères. Outre le fait d’amener dans la zone euro les crises financières qui viennent d’ailleurs, elle pousse à un moins-disant fiscal, salarial et social, comme l’illustre bien le taux d’imposition sur les sociétés de l’Irlande, qui attire les multinationales par sa fiscalité avantageuse. Pourquoi ne pas déplacer ses capitaux quand on peut payer moins d’impôts ?

Le problème de cette logique est que cette concurrence est sans fin. Pire, elle complique la possibilité pour les pays de mener une politique indépendante et différente de celles des autres pays européens. Comment mettre en place une taxe Tobin si les capitaux peuvent se déplacer sans contrainte ? C’est l’amère expérience faite par la Suède dans les années 1990. Une taxe sur les transactions financières n’est possible qu’avec un contrôle des mouvements de capitaux.

Dès lors, pas étonnant dans ces conditions que la zone euro ait subi une crise aussi violente que celle qui a traversé les Etats-Unis. Pourtant, en étant à la périphérie, nous aurions du être un peu protégés. Contrairement au mythe ridicule qui voudrait que l’euro nous ait protégé pendant la crise, les politiques européennes ont aggravé notre situation. En effet, si nous avions été protégés, alors la crise aurait été nettement moins forte qu’aux Etats-Unis.

Bref, outre le fait le fait d’être plus offerte qu’ouverte, la zone euro est mal gérée, ce que de nombreux soutiens de la monnaie unique finissent par admettre aujourd’hui. Comme le dit Todd, « avec l’euro fou, l’Europe réussit le tour de force d’utiliser sa propre puissance économique pour se torturer ».

Demain, « Les fondations pourries de la zone euro »

8 commentaires:

  1. Pendant qu'on laisse les banques commerciales augmenter la quantité de monnaie, les États sont obligées d'emprunter sur les marchés - en leur payant des intérêts conséquents ( 125 millions par jour pour la France) - cette même monnaie. Et comme par hasard, quasiment les montants des intérêts (si on veut bien oublier ces deux dernières années) .

    Il est temps que la BCE ou la BdF puisse financer directement la collectivité qui, par son travail, fait la valeur de la monnaie.

    La seule monnaie qu'il faut emprunter sur les marchés, ce sont les devises qui nous sont nécessaires pour assurer le solde négatif de notre balance des échanges ... en attendant que celui-ci puisse s'équilibrer.

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  2. Qu'y a-t-il de préférable : acheter une Toyota made in France ou une Renault made in Slovénie?
    N'oublions pas que l'Etat reste un actionnaire de Renault donc de son patron, l'apatride comme Pascal Lamy, Carlos Goshn. Les capitalistes comme les technocrates n'ont pas de patrie comme Madame Parizot et toute l'oligarchie seuls les travailleurs en ont une!
    Depuis le début de la crise en 2007 les traités ont été bafoués par leurs auteurs et pour nous ils ne doivent même pas avoir la valeur du papier sur lesquels ils sont rédigés!

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  3. Au-delà de l'ouverture de notre marché aux produits à bas coût, la libéralisation des mouvements de biens, capitaux et personnes est aussi une plaie qui pousse ceux qui en ont les moyens à aller chercher ailleurs l'opportunité d'augmenter leur profit et quand on voit que la seule réponse apporter par certain est une interdiction des licenciements boursiers, on peut sérieusement douter de la capacité de ceux-ci à redresser la situation... De l'art de s'attaquer aux conséquences tout en niant les causes. On est dans le même déni avec les euro-obligations, non ?

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  4. Un conseiller du FMI annonce la "débâcle bancaire dans deux ou trois semaines."

    L'américain Robert J.Shapiro était interviewé par la BBC. Il est très alarmiste.

    "Je pense que dans deux ou trois semaines, nous assisterons à la débâcle des dettes souveraines qui entraînera une débâcle du système bancaire européen."

    Relevée par l'excellent site ElectronLibre, c'est l'inquiétante déclaration de l'américain Robert J.Shapiro, membre d'un comité consultatif au Fonds monétaire international, à la BBC mercredi soir.

    "Je ne parle pas simplement d’une banque belge relativement petite (Dexia, ndlr), mais je parle des plus grandes banques du monde, des plus grandes banques en Allemagne, des plus grandes banques en France, qui impacteront les banques au Royaume-Uni. Cela s’étendra partout".

    Pour les spécialistes, l'Américain entend par ces propos mettre la pression sur les autorités européennes pour qu'elles prennent des dispositions dans la crise de la dette avant qu'il ne soit trop tard.

    http://www.sudouest.fr/2011/10/07/un-conseiller-du-fmi-annonce-la-debacle-bancaire-pour-dans-deux-ou-trois-semaines-520250-5096.php

    Pour les anglophones, voici le site du FMI : on explique la biographie de Robert J. SHAPIRO, conseiller du FMI.

    Robert J. SHAPIRO is the Chairman and co-founder of Sonecon, LLC. He is a Senior Policy Fellow of the Georgetown University Center for Business and Public Policy, Chairman of the U.S. Climate Task Force, Director of the Globalization Initiative at NDN, and Director of the Axson-Johnson Foundation in Sweden. Mr. Shapiro was Under Secretary of Commerce from 1997 to 2001. Prior to that appointment, he was co-founder and Vice President of the Progressive Policy Institute and the Progressive Foundation. He was also a senior economic advisor in the presidential campaigns of Bill Clinton, Al Gore, John Kerry, and Barack Obama. Shapiro holds an M.A. and a Ph.D. from Harvard, an M.Sc. from the London School of Economics and Political Science, and an A.B. from the University of Chicago.

    http://www.imf.org/external/region/advisorygroups/members/AGWH.htm

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  5. C'est un long billet que je lirai plus en détail plus tard, mais le mien (ºC) tombe à propos : il s'agit d'un discours récent de C.Noyer. Ultime folie, vous verrez.

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  6. @BA:"Un conseiller du FMI annonce la "débâcle bancaire dans deux ou trois semaines."

    si c'est une prévision d'un type du FMI, pas de risque. ce sera dans 3 jours, 3 mois, ou 3 ans mais pas 3 semaines.

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  7. @ Alf

    Pour le coup, je suis d'accord. Attention aux prédictions catastrophistes. Le GEAB passe son temps à le faire depuis plus de 2 ans et se trompe. Le système va tomber. Il n'a pas été loin de le faire, mais il y a des forces de rappel, comme je le rappelle depuis longtemps.

    @ °C

    Je vais regarder.

    @ Max

    Complètement d'accord

    @ Cording

    Très juste. De manière incroyable, Renault a plus délocalisé que PSA alors que l'Etat est à son capital...

    @ André-Jacques

    Très juste

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  8. «discours récent de C.Noyer.»

    Une autre partie (financière) du discours est analysée dans un autre blog (ºC).

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