samedi 8 octobre 2011

Les fondations pourries de la zone euro


Après avoir vu que la zone euro souffre d’une mauvaise politique monétaire et d’une libéralisation délétère qui l’offre à la compétition internationale, la question qui se pose pour sa pérennité est de savoir si cette construction originale repose sur des fondations solides ou pas.

Un débat qui mérite d’avoir lieu

Remettre en cause la monnaie unique relève encore de la profession de foi. Il suffit de voir la réaction de nombreuses personnes, sincères, quand on leur explique que l’on est favorable à la sortie de la monnaie unique. Certaines personnes réagissent comme si vous leur aviez dit que la terre était plate. Il y a un aspect quasi religieux dans l’adhésion d’une grande partie des Français à la monnaie unique européenne. Beaucoup conçoivent à peine qu’on puisse en débattre.

Et pourtant, le débat est nécessaire et plus que légitime. D’ailleurs, cette construction baroque qui consiste à unifier les monnaies d’un grand nombre de pays pourtant très dissemblables est relativement inédite (il y avait déjà eu l’Union Latine au 19ème siècle en Europe). Du coup, on peut argumenter qu’à l’échelle de la planète et de l’histoire économique, c’est la monnaie unique qui est une anomalie, dont les piètres performances et les dysfonctionnements révèlent le côté baroque.

Certains utilisent la faiblesse de certains de ses critiques pour dire qu’il n’est pas sérieux de critiquer la monnaie unique. L’argument d’autorité est habile. Mais il n’est pas recevable. D’innombrables économistes, libéraux comme progressistes critiquent la monnaie unique : Patrick Artus, Christian Saint-Etienne, Nouriel Roubini, Michel Aglietta, mais aussi les « prix Nobel » d’économie Joseph Stiglitz, Paul Krugman ou Amartya Sen ont tous souligné les carences de cette construction baroque.

Mieux, beaucoup d’économistes s’opposent à la monnaie unique. Maurice Allais s’était opposé au traité de Maastricht. Aujourd’hui, Alain Cotta, Jean-Jacques Rosa, Gérard Lafay, Hervé Juvin, Florin Aftalion, Jacques Sapir, Jean-Luc Gréau, Emmanuel Todd, Morad et Hattab, Frédéric Lordon et bien d’autres ont pris position pour le retour aux monnaies nationales. L’appui d’un si grand nombre d’intellectuels, malgré les vents dominants de l’opinion, démontre l’intérêt du débat.

Une Zone Monétaire non Optimale

Comme nous le constatons depuis près de deux ans, le problème fondamental de la zone euro est que ce n’est pas une Zone Monétaire Optimale, comme l’a défini le « prix Nobel » d’économie Robert Mundell. Selon lui, trois critères doivent être vérifiés pour former une telle zone : la mobilité des travailleurs, un budget central et une convergence macro-économique.  Ces conditions doivent permettre à la zone de bien fonctionner notamment en cas de crise économique.

En effet, la mobilité des travailleurs permet aux habitants d’une région particulièrement frappée par le chômage d’aller dans une région relativement épargnée. Le budget central permet à la collectivité d’aider les zones les plus durement frappées par la crise, par la redistribution, ce qui amortit la crise. Enfin, la convergence économique est nécessaire pour éviter que l’unification accentue les différences au lieu de les corriger, comme les travaux de Paul Krugman l’ont montré.

Le problème est que la zone euro n’est absolument pas une Zone Monétaire Optimale, contrairement aux Etats-Unis. La mobilité des travailleurs est négligeable à l’échelle européenne (elle est déjà moins forte à l’échelle nationale qu’au niveau des Etats-Unis). Quand la situation économique est mauvaise en Californie, ses habitants peuvent aller au Texas. A l’inverse, un Grec ou un Espagnol au chômage ne va pas aller en Allemagne ou en Hollande pour aller chercher du travail.

Le budget européen est égal à 1% du PIB contre 20% aux Etats-Unis. Enfin, il n’y a aucune convergence dans une zone aussi diverse, où le salaire minimum va de 200 à 1200 euros par mois et où les entreprises ou les distributeurs conservent une organisation largement nationale. Pire, une étude réalisée par le Centre pour une Intégration Européenne de Bonn a démontré qu’après 70 ans d’unification politique et économique, la Tchécoslovaquie n’était pas devenue une ZMO !

Une monnaie qui accentue les déséquilibres au lieu de les résoudre

Mais ce n’est pas tout. Si encore la monnaie unique permettait de réduire les déséquilibres, il pourrait y avoir l’espoir de faire fonctionner cette construction baroque. Le problème est que, bien au contraire, l’euro accentue les problèmes au lieu de les résoudre. Comme le soutient Jean-Jacques Rosa dans son livre, « la politique monétaire unique freine ainsi les économies en récession et stimule les économies en surchauffe », comme le montrent les dix dernières années.

C’est ainsi que la politique monétaire européenne porte une très lourde part de responsabilités dans les bulles irlandaises et espagnoles. Du fait de l’existence d’une seule monnaie et d’une seule politique monétaire pour des pays trop différents, on a imposé à ces deux pays des taux insuffisamment élevés qui ont provoqué une bulle du crédit, qui était trop bon marché. Pire, ces pays faisaient ce qu’ils pouvaient pour compenser avec des politiques budgétaires très rigoureuses.

C’est ainsi qu’ils avaient la dette la plus faible de la zone euro en 2007 (40% du PIB) et des excédents budgétaires. Mais c’était insuffisant et le différentiel entre les taux d’intérêts et leur croissance a provoqué une bulle financière et immobilière. Pire, elle aurait pu être évitée si ces pays avaient conservé une monnaie nationale, qui leur aurait permis de monter les taux d’intérêts et éviter le gonflement de cette bulle. C’est bien l’euro qui a en partie provoqué la crise de l’Espagne et de l’Irlande.

L’existence d’une monnaie unique pose également un problème de compétition salariale. En effet, quand il y avait des monnaies nationales, un pays pouvait laisser ses salaires augmenter plus vite que ses voisins : il pouvait dévaluer pour ajuster la valeur de sa monnaie à sa compétitivité. Avec l’euro, nous sommes entrés dans une « zone de basse pression salariale » où toute hausse des salaires est une perte de compétitivité salariale par rapport à ses principaux partenaires économiques.

C’est bien ce qu’a compris l’Allemagne quand elle a décidé de rejoindre la monnaie unique, avec des coûts salariaux alors 25% supérieurs à la moyenne de la zone. Le pays dépendant fortement de ses exportations, Berlin a décidé alors de comprimer ses salaires pour retrouver de la compétitivité. Résultat, les salaires ont baissé de 2.5% en 10 ans (avec une baisse atteignant 20% pour les bas salaires). Mais cette politique ne tient que parce que tout le monde ne la suit pas.

En effet, si tout le monde suivait le « modèle allemand », alors la demande s’effondrerait et il n’y aurait plus de croissance. Pire, il s’agit d’un modèle fondamentalement anti progressiste où l’on érige comme bonne pratique le fait de ne pas accorder le moindre gain de pouvoir d’achat aux salariés, quelques soient les gains de productivité. Bref, il s’agit bien plus d’un contre-modèle, rendu possible par la bonne spécialisation industrielle de l’Allemagne que d’un quelconque exemple.

Déséquilibres commerciaux et taille unique

Enfin, la monnaie unique rend impossible tout ajustement des déséquilibres commerciaux. Dans un système normal, un pays en excédent voit sa monnaie s’apprécier, ce qui pénalise ses exportations et favorise les importations, permettant un rééquilibrage des échanges. Inversement, un pays en déficit voit en général sa monnaie se déprécier, ce qui, si cela apporte un peu d’inflation, favorise également les exportations et les productions locales au détriment des importations.

Par ce mécanisme, il est bien évident qu’aujourd’hui, si nous n’avions pas de monnaie unique, le mark et le florin s’apprécieraient alors que la peseta, l’escudo, la lire et la drachme se déprécieraient naturellement. Le franc français, entre les deux groupes, se déprécierait face aux premiers mais s’apprécierait face aux seconds. Cela permettrait un rééquilibrage des balances commerciales, qui n’ont cessé de diverger depuis la mise en place de la monnaie unique.

Car c’est un autre vice de forme de l’euro, l’existence d’une monnaie unique accentue les problèmes au lieu de les régler. L’euro n’est sans doute pas assez cher pour l’Allemagne, retenu qu’il est par les pays en déficit, ce qui pousse encore plus ses excédents. Mais du coup, l’euro est beaucoup trop cher pour les pays du Sud, ce qui accentue leurs déficits. De nombreux économistes estiment que ces derniers ont besoin d’une dévaluation de 20 à 50% selon leur situation.

Soit une assemblée de personnes dont la pointure va du 36 au 45. En fait, une monnaie unique revient à imposer à toutes ces personnes de porter la même chaussure en pointure 40 au prétexte que c’est la taille moyenne de l’assemblée. Le problème est que cela ne va pas à grand monde et que tous les autres vont en souffrir, comme nous le voyons depuis dix ans.

Bref, outre le fait d’être mal gérée, la zone euro ne repose pas sur des fondations solides. Pire, sa construction même lui empêche de bien fonctionner. Paradoxalement, la convergence est beaucoup plus facile avec des monnaies différentes qu’avec une taille unique qui ne convient à personne.

11 commentaires:

  1. ' A l’inverse, un Grec ou un Espagnol au chômage ne va pas aller en Allemagne ou en Hollande pour aller chercher du travail.'.. Dites le aux 500.000 etranges régularisés en Espagne....

    Cela dit d'accord pour l'analyse monétaire du problème. Mais la vrai problématique est que l'Euro est une réalité monétaire au service d'une réalité politique, et d'un objectif non avoué: atteindre la taille critique pour continuer à peser au niveau mondial (au moins on parle de l'europe), nous prémunir contre le bloc de l'Est (post chute du mur), nous prémunir contre les tentatives de dictatures du sud (portugal et Espagne). Seul la première Europe à 6 faisait sens du point de vue monétaire. Pour autant l'élargissement politique bien que mal mené d'un point de vue éco me paraissait nécéssaire.....

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  2. Samedi 8 octobre 2011 :

    Crise en Europe : les patrons français, italiens et allemands veulent un nouveau traité.

    Les confédérations patronales française, allemande et italienne ont appelé samedi à la mise en chantier d'un nouveau traité susceptible de surmonter les déficiences actuelles de la zone euro.

    "Afin que puissent être établies les fondations d'une Europe du XXIe siècle prospère et politiquement forte, nous demandons à l'Union européenne de lancer le chantier d'un nouveau Traité, qui constituera une étape nouvelle vers une Union politique et économique plus étroite", ont affirmé le Medef français, le BDI allemand et la Confindustria italienne.

    http://www.romandie.com/news/n/_Crise_les_patrons_francais_italiens_et_allemands_veulent_un_nouveau_traite081020111110.asp

    Encore un nouveau traité européen ?

    Mais pourquoi ?

    Parce que les traités précédents n'étaient pas assez libéraux ?

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  3. Aucun efforts, dans ce billet, pour répondre à mes objections formulées dans de précédents billets. C'est un signe de faiblesse.

    «Certains utilisent la faiblesse de certains de ses critiques pour dire qu’il n’est pas sérieux de critiquer la monnaie unique. L’argument d’autorité est habile»

    Et pourtant vous continuez de citer des économistes qui ne sont pas d'autorité (dans ce domaine) parmi ceux qui s'opposent à l'euro:

    Emmanuel Todd n'est pas un économiste, c'est un démographe. Maurice Allais, parlons en, je lui consacre un nouveau billet dans mon blog (ºC).

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  4. En Europe, tout le monde est d'accord, maintenant : il faut recapitaliser les banques européennes le plus vite possible.

    Le 6 octobre 2011, Robert J. Shapiro, conseiller du FMI, prévoit un effondrement du système bancaire européen dans les semaines à venir si rien n'est fait.

    http://www.youtube.com/watch?v=IihddO0Mxus&feature=player_embedded

    Pour les anglophones, voici le site du FMI : on explique la biographie de Robert J. SHAPIRO, conseiller du FMI.

    Robert J. SHAPIRO is the Chairman and co-founder of Sonecon, LLC. He is a Senior Policy Fellow of the Georgetown University Center for Business and Public Policy, Chairman of the U.S. Climate Task Force, Director of the Globalization Initiative at NDN, and Director of the Axson-Johnson Foundation in Sweden. Mr. Shapiro was Under Secretary of Commerce from 1997 to 2001. Prior to that appointment, he was co-founder and Vice President of the Progressive Policy Institute and the Progressive Foundation. He was also a senior economic advisor in the presidential campaigns of Bill Clinton, Al Gore, John Kerry, and Barack Obama. Shapiro holds an M.A. and a Ph.D. from Harvard, an M.Sc. from the London School of Economics and Political Science, and an A.B. from the University of Chicago.

    http://www.imf.org/external/region/advisorygroups/members/AGWH.htm

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  5. Marine + NDA = Victoire en 2012 !
    Faut y penser les copains...

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  6. Quelle est le % des obligations grecques garanties par la zone euro?

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  7. Autour de moi les langues se délient et certains expriment ouvertement le souhait du retour au Franc, les autres croient toujours comme dans une religion à l'avenir radieux que procurerait l'euro. Seul le réel les fera changer d'avis qu'ils le veuillent ou non.

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  8. @ Kama

    Sauf que la plupart des immigrés en Espagne ne venaient pas de la zone euro...

    @ BA

    Certains en profitent pour essayer de faire progresser leur agenda.

    @ °C

    A dire vrai, je n'ai pas vraiment regarder vos papiers pour rédiger les miens. Je laisse les autres lecteurs juger du sérieux ou non de ma démarche... De toutes les façons, le château de carte va finir par s'effondrer. Tous les jours, les citoyens comprennent que ce machin est ingérable en plus d'être nuisible.

    @ Totolascience

    La défaite, sûrement.

    Jamais !

    @ Cording

    Cela bouge en effet. Même des fédéralistes commencent à se poser des questions et à se demander si nous ne sommes pas allés dans la mauvaise direction.

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  9. A Laurent Pinsolle,

    Le rassemblement c'est la défaite ? Première nouvelle !

    Vos 5% sont précieux, ils s'ajouteront à ses 25 à 30 % au premier tour.

    Auriez-vous des pudeurs à donner la main à une caissière, un maçon, à une femme de ménage, qui choisirait MLP ? Comment ça, ces gens-là sont intellectuellement mineurs ?

    Je connais des agrégés de philosophie, des énarques, des historiens d'art, des hommes de plume qui votent Marine à ce jour.

    De Gaulle a sélectionné les CV à Londres ?

    Parmi ceux qui l'ont suivi, on trouvera des profils bien éloignés de la République et même du républicanisme que défend, bien seule comme le dit Elisabeth Badinter, Marine.

    Notre Général est une femme ! Alliance NDA-Marine, c'est la voie ; le RIF a été précurseur.

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  10. @Kama : on a beaucoup fantasmé (et on continue de fantasmer) sur les fameux immigrés espagnols... qui sont majoritairement sud-américains et hispanophones... et qui n'ont intérêt qu'à rester en Espagne ou à repartir en Amérique du Sud.

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  11. @ Totolascience

    Je sens que je vais refaire un papier pour préciser ma position à l'égard du FN. Aucun problème pour parler et débattre avec des militants ou des sympathisants du FN. Je partage en partie leurs motivations.

    En revanche, les dirigeants du FN sont pour moi infréquentables : des politiciens extrémistes et amateurs. Jamais il n'y aura de rassemblement autour de MLP.

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