dimanche 13 novembre 2011

Après l’euro (2/2)


Aujourd’hui, un peu plus de 30% des Français sont favorables au retour aux monnaies nationales. Il faut dire que les prévisions catastrophistes sans cesse martelées peuvent faire préférer un avenir sombre mais prévisible aux incertitudes du retour au franc. Réponses aux principales questions.

Est-il possible de sortir de la monnaie unique ?

En effet, rien n’est prévu dans les traités européens pour décrire comment un pays pourrait sortir de la monnaie unique. Cependant, il faut noter que 10 pays de l’UE sur 27 ont toujours leur monnaie nationale pour constater qu’il est parfaitement possible de rester dans l’UE sans avoir l’euro (la question de savoir quelle UE étant un autre débat). En outre, un économiste m’expliquait que l’absence de texte, loin d’empêcher la sortie, la faciliter car tout est possible.

Certains affirment qu’il faudrait passer par l’article 50 du traité de Lisbonne et sortir de l’Union Européenne. Je n’y crois absolument pas. Outre le fait que certains experts affirment au contraire que l’absence de textes donne plus de latitude, il est bien évident qu’en de telles circonstances, la volonté politique s’imposera à tous ces chiffons de papier, qui sont d’ailleurs fréquemment froissés par les actes des dirigeants européens (les sommets franco-allemands n’étant pas prévus par les traités).

Comment fait-on pratiquement ?

Pratiquement, la sortie de la monnaie unique est assez simple à imaginer car nous avons le précédent des anciens pays communistes qui ont éclaté et sont revenus à des monnaies nationales. Lors de la scission de la Tchécoslovaquie, il n’a fallu que quelques semaines pour que la République Tchèque et la Slovaquie décident de revenir à des monnaies distinctes, plus adaptées à leurs réalités nationales, comme le souligne même le Centre pour l’Intégration Européenne de Bonn !

Dès l’annonce de ce changement (et même sans doute avant), les mouvements de capitaux doivent être strictement encadrés pour éviter les fuites. Comme en 1958 avec le nouveau franc ou en 1992 en Tchécoslovaquie, les futurs anciens billets devront être tamponnés avec une mention de la nouvelle monnaie (20 nouveaux francs sur le billet de 20 euros par exemple) de manière à attendre l’impression des nouveaux billets, dans un délai de trois à six mois.

En fait, l’essentiel de l’argent étant aujourd’hui électronique (et la part de l’argent liquide dans la masse monétaire de plus en plus basse), la transition serait extrêmement rapide. Pour encore la faciliter, il y aurait tout intérêt à choisir un taux de conversion où un nouveau franc égale à un euro (au lieu de revenir à la parité de 6,55957 franc), de manière à éviter les conversions, perturbatrices pour les citoyens et les entreprises dans leur vie de tous les jours.

Le nouveau franc sera-t-il dévalué ?

On peut alors se demander quel serait l’intérêt pour la France de revenir au franc pour ne pas dévaluer par rapport à l’euro ? En fait, la situation de la France est particulière car nous sommes entre les anciens pays à monnaie chère, Allemagne et Pays-Bas et les anciens pays du Sud de l’Europe, qui dévaluaient fréquemment leur monnaie. En fait, la France est un intermédiaire entre les deux parties de l’Europe et donc la parité du franc resterait stable par rapport à l’euro.

En revanche, le mark et le florin s’apprécieraient probablement de 15 à 20% par rapport à l’euro (le franc étant alors dévalué par rapport à eux) et, parallèlement, la lire et la peseta se déprécieraient de 15 à 20% par rapport à l’euro (le franc étant alors réévalué par rapport à ces monnaies). On peut imaginer que la drachme baisserait de 30 à 40% par rapport à l’euro. L’ensemble de ces réajustements pourrait être fait dans le cadre d’un nouveau Système Monétaire Européen.

Comment finance-t-on la dette ?

C’est l’autre intérêt de la sortie de la monnaie unique : en quittant le corset de l’article 123 du traité de Lisbonne, qui interdit à la BCE de monétiser directement les dettes publiques (l’ancien article 104 du traité de Maastricht), la France pourrait parfaitement reprendre le contrôle de la Banque de France et utiliser la monétisation pour se financer en cas de tension des marchés, comme le font les Etats-Unis, le Japon ou la Grande-Bretagne depuis la crise, sans dérapage inflationniste.

Pour cela, il faudrait bien sûr revenir sur la loi de 1973, qui a donné le privilège incroyable de la création monétaire aux banques privées. Dans un tel contexte, le risque de krach financier serait limité aux pays dont la monnaie baisserait par rapport à l’euro, augmentant le poids de la dette. Mais il faut souligner que ce risque existe déjà au sein de l’euro et qu’ils pourraient demander à leur banque centrale de restructurer le secteur bancaire, quitte à le nationaliser, comme l’a fait Londres en 2008.

Y-a-t-il un risque inflationniste ?

C’est le dernier chiffon rouge agité par les défenseurs de la monnaie unique : une sortie de l’euro pourrait créer un emballement de l’inflation. Et il est vrai que l’inflation est aujourd’hui le principal problème de l’économie argentine, même si on peut considérer qu’il est très largement compensé par une croissance annuelle de 8% et une division par trois du niveau de chômage en moins de dix ans (23% en 2002, 7% aujourd’hui). Là encore, il s’agit essentiellement d’un fantasme.

En effet, les importations des pays du Sud de l’Europe représentent environ 20% de leur PIB. Même une baisse de 20% de leur monnaie ne provoquerait au mieux qu’une augmentation théorique et temporaire de 4 points de l’inflation, probablement étalée sur deux ans, comme le montre l’expérience britannique. Et dans le cas de la France, ce serait nettement plus faible puisque si les produits allemands seraient plus chers, les produits italiens et espagnols le seraient moins.

Bref, en gardant la tête froide et en analysant rationnellement les conséquences d’un retour aux monnaies nationales, on constate que les conséquences d’un retour aux monnaies nationales n’ont rien à voir avec l’apocalypse que l’on nous annonce.

11 commentaires:

  1. puissiez-vous dire vrai j'attend ça comme le messie

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  2. "si les produits allemands seraient plus chers, les produits italiens et espagnols le seraient moins."
    On importe plus de l'Allemagne que de la Grèce ou l'Espagne, non ?

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  3. Votre premier paragraphe (Est-il possible de sortir de la monnaie unique ?) explique comment un pays pourrait finalement sortir de l'euro sans forcément sortir de l'UE ==> sortie partielle
    Votre troisième paragraphe (Le nouveau franc sera-t-il dévalué ?) considère que tous les pays sortent de l'euro dont les pays qui tirent l'euro vers de haut (Allemagne, Pays-Bas) comme ceux qui le tirent vers le bas (Grèce) et donc que la France ne subirait pas de dévaluation ==> sortie totale
    Cela n'est pas très logique !

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  4. Anonyme du 13 novembre à 12h24 : ça dépend pour quoi et ça dépend quand !
    Pour la Grèce, oui, ça paraît relativement évident, étant donné qu'on en importe surtout des produits agricoles typiques. En revanche, depuis l'Espagne, on importe énormément de produits pétrochimiques, de produits culturels (livres, films...), d'électricité et de machines liées à l'énergie renouvelable, par exemple, sans compter d'autres secteurs (produits agricoles en masse, voitures...). Il y a donc largement moyen d'équilibrer nos échanges avec nos partenaires européens.

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  5. Je dois dire que je lis et j'écoute avec beaucoup d'attention vos arguments concernant la sortie de l'euro mais je dois dire que je ne suis pas convaincue(bien que je ne sois une experte en économie).Je viens de regarder un débat Chevenement et Guaino et même Chez Chevenement je n'ai pas eu l'impression lors de ce débat qu'il voulait revenir au franc.Certes il a parler à la fin du débat non plus de monnaie unique mais de monnaie commune.Mais il n'était pas hermétique à l'idée de sauver l'Euro: "Il n'est possible de rester dans l'Euro qui si on met au centre un puissant moteur : la Banque centrale européenne. Elle seule a les moyens nécessaires pour casser la spéculation, soutenir la croissance et nous sortir de cette politique récessionniste qui nous mène à l’abîme."
    De plus que dites vous à ceux qui racontent que si on sortait de l'euro notre dette "exploserait".

    Concernant votre papier sur la Palestine, je suis tout à fait d'accord avec vous.Mais malheureusement Obama qui avait essayé de redorer le blason des Etats Unis après la catastrophique politique de Bush n'a plus aucune marge de manœuvre.C'est dommage car cela avait plutôt bien commencé mais comme sa politique étrangère et elle même imposé par le congrès et donc sous forte influence extérieure, on peut considérer qu'il n'y a plus de politique étrangère stratégique aux EU.

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  6. Jouyet - Président de l'AMF - fait des déclarations tonitruantes dans le JDD sur la dictature des marchés. Y a bon. L'UE est finie, on est au bout et tant mieux. Je suis au surplus heureux de pouvoir m'imaginer la tête de Giscard, Delors - père et fille -, Barroso et tous les européistes acharnés (UMPS), quand il vont voir ces institutions qui ont permis la grande dérégulation finir en poussière. Bientôt nous serons débarrassés de la norme européenne, le vent emportera tout, et tout cela ne sera qu'un mauvais rêve mais qui aura tout de même porté avec lui le chômage, la misère, et les intérêts exponentiels de la dette au profit de la Banque privée. Tout cela est le fait de choix politiques opérés par des individus, ces derniers doivent rendre compte devant la nation de leurs actes. Mettons en place des commissions parlementaires pour faire le jour sur ces mécanismes de trahison de la nation et du peuple.

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  7. Il y a un adage qui dit que la mauvaise monnaie chasse la bonne. Douze ans après il est évident que l'euro est une mauvaise monnaie qui a chassé de bonnes monnaies adaptées à des réalités nationales que les européistes ont voulu nier. Le réel se venge, les faits sont têtus comme disait Lénine. L'UE c'est l'URSS de Brejnev qui avait sa doctrine de souveraineté limitée interdisant aux membres de l'union de faire sécession et aux pays frères de s'émanciper du Grand frère. On sait depuis 20 ans ce qu'il en est advenu! Eh bien, l'UE c'est pareil!
    A propos du retour au franc une dévaluation s'imposera si l'Allemagne empêche la réévaluation de son DM-EURO et l'inflation n'est une catastrophe que pour les rentiers et non pour les salariés si l'on rétablit l'échelle mobile des salaires, et si la croissance est supérieure à l'inflation.

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  8. @ Anonyme

    Oui, nous importons plus de l'Allemagne, qui est notre premier fournisseur. Il faut noter que le franc baisserait par rapport aux autres monnaies du monde (dollar, yen, wuan...)

    @ Claribelle

    Remarque juste. Mais je souhaite tout d'abord démonter l'argument (de moins en moins évoqué) qu'il ne serait pas possible de sortir de l'euro, y compris dans les circonstances les plus difficiles (sortie désordonnée). Qui peut le plus, peut le moins.

    Mais je crois qu'en réalité, la sortie serait coordonnée car tout le monde y aurait intérêt.

    @ FH

    Je me rends compte que j'ai oublié de développer un aspect important, à savoir que je suis favorable à une transformation de la monnaie unique en monnaie commune avec retour aux monnaies nationales. Par conséquent, nous continuerions à avoir une coordination des politiques monétaires à l'échelle européenne, avec un SME comparable à celui des années 1980. C'est ce qu'évoque JPC.

    Concernant la possibilité de garder l'euro, je l'ai traitée dans trois autres papiers (je vais faire un dossier sur le sujet). Même avec des euro-obligations, de la monétisation et un budget commun (ce qui me semble totalement illusoire vu l'état de l'opinion allemande), reste le problème des différentiels de compétitivité des pays de la zone euro, et qui nécessite des ajustements monétaires.

    La dette n'exploserait pas car l'euro resterait stable par rapport à l'euro, comme je l'explique dans le papier.

    Pour la Palestine, c'est dommage en effet.

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  9. A lire l'excellent dernier article de Joël Halpern
    http://bloc-notesdejoelhalpern.hautetfort.com/

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  10. @ Laurent

    "Par conséquent, nous continuerions à avoir une coordination des politiques monétaires à l'échelle européenne, avec un SME comparable à celui des années 1980"

    Dieu nous en préserve ! Je suppose qu'ici votre clavier vous a emporté, car le SME des années 80 imposait un ancrage au mark qui s'est traduit en France par des politiques déflationnistes et l'installation du chômage de masse ! Un SME d'accord, mais à condition que la charge de la stabilisation des parités pèse autant, sinon plus, sur les pays commercialement excédentaires que sur les autres. Et sous réserve également d'un accord européen de contrôle des mouvements de capitaux.

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  11. @ J Halpern

    Je parlais des années 80 et non des années 90. Dans les années 1980, il me semble qu'il y avait encore des ajustements de parité, contrairement aux années 1990. Bien entendu, il est hors de question de revenir aux imbécilités de la politique du franc cher, qui a joué un grand rôle dans ma construction politique.

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