samedi 12 novembre 2011

Après l’euro (1/2)


Même si rien n’est certain, l’explosion des taux longs italiens pourrait rendre raison à Jacques Sapir, pour qui l’euro ne passera pas l’hiver. Après avoir développé les raisons pour lesquelles il faut mettre fin à cette aventure hasardeuse, il est nécessaire de parler de la manière de gérer la sortie.

Panique chez les européistes

C’est désormais la dernière de défense des fédéralistes, que l’on sent de plus en plus désemparés, comme l’illustre ce papier, qui indique ne plus croire au sauvetage de la monnaie unique européenne. A défaut de parvenir à convaincre les peuples des bénéfices de plus en plus maigres du passage à l’euro ou d’essayer de contredire les arguments des économistes qui démontent les effets négatifs de l’unification monétaire européenne, ils cherchent à faire peur.

Dépression économique, austérité, défaut sur les dettes, panique bancaire : voilà ce que nous apporterait la fin de la monnaie unique. Ils prennent pour exemple la fin du lien entre le peso et le dollar en Argentine début 2002, avec une dévaluation de plus de 70% et un défaut sur la dette argentine. Cette présentation est franchement abusive car si cette décision a produit un approfondissement de la crise en 2002, celle-ci avait commencé dès 1998 et dès 2003, la croissance reprenait, à 8% par an.

Pire, les évènements des derniers mois viennent en bonne partie démentir leurs prévisions catastrophistes. En effet, ce n’est pas la sortie de l’euro qui provoque de telles calamités, mais bien ce qui est fait pour essayer de maintenir cette construction baroque et anormale (dans le sens où aucun groupe de pays importants ne partage de monnaie ailleurs dans le monde). La dépression et l’austérité s’accentuent partout en Europe et la Grèce a fait défaut en restant dans l’euro.

Comme je l’ai soutenu sur Sud Radio jeudi (à partir de 15’), nous avons aujourd’hui les inconvénients d’une sortie de l’euro sans les avantages (la dévaluation, le retour à des politiques monétaires adaptées aux réalités nationales). Pire, comment ne pas constater que la zone euro s’enfonce de plus en plus dans la crise. Les plans d’austérité cassent la croissance, ce qui annule une partie de leur effet, appelant de nouveaux plans, qui affaiblissent plus encore la croissance.

Vers un moment de vérité

Même si je continue à penser, comme depuis 18 mois, que tout sera fait pour sauver la monnaie unique, ce qui pourrait malheureusement prolonger le supplice de l’euro, la situation est aujourd’hui extraordinairement tendue car les taux longs italiens ont dépassé le cap des 7%, seuil qui avait conduit aux plans précédents et que le dernier plan européen n’a rien réglé. La situation est encore gérable pendant quelques semaines mais l’Italie doit refinancer plus de 100 milliards de dette de février à avril.

Bref, si les taux continuaient à monter, l’Europe se retrouvera face à un choix terrible. Ou l’Italie accepte de payer des sommes confiscatoires qui risque d’accentuer la crise (plus d’intérêts, c’est plus d’austérité, et donc moins de croissance) ou le FMI, la BCE ou la zone euro cherchent une nouvelle fois à sauver les créanciers de l’Italie. Mais là, l’addition sera extrêmement élevée puisque les besoins de Rome pour trois mois sont équivalents aux plans triennaux précédents !

L’Allemagne bloque la situation en refusant de verser un centime de plus au FESF, ayant déjà bien conscience qu’il est probable qu’elle ne reverra pas en totalité les 211 milliards qu’elle a donné en garantie. Berlin et Karsruhe refusent de risquer davantage l’argent des contribuables allemands. Les dirigeants européens avaient annoncé une augmentation des moyens du FESF en octobre mais on constate aujourd’hui qu’il s’agissait d’un grand bluff.

Sortie désordonnée ou ordonnée

Bien sûr, la BCE peut encore éteindre temporairement l’incendie en rachetant la dette italienne mais l’Allemagne n’est guère favorable à cette idée. Parallèlement, la fuite des capitaux continue en Grèce, anémiant un pays qui n’en a guère besoin. Bref, tout semble en place pour une explosion de la zone euro. Ce n’est pas tout de placer des eurocrates à la tête de la Grèce et potentiellement en Italie, ils se retrouvent dans des situations ingérables du fait des traités européens.

Bref, ils pourraient bien paradoxalement avoir à gérer la déconstruction de ce pourquoi ils ont œuvré jusqu’à présent. On peut envisager deux voies extrêmes pour la fin de la monnaie unique européenne. Dans un premier cas, comparable à l’expérience argentine, un pays (l’Italie, dans quelques mois ?), incapable de se financer à un taux correct, se retrouverait contraint de sortir de manière précipitée et non coordonnée de l’euro et de faire défaut sur la dette.

Ce scénario pourrait être la conséquence d’un blocage allemand sur le refinancement européen de la dette italienne qui enverrait les taux longs italiens à des niveaux insupportables. L’échec d’énièmes négociations provoquant la sortie. Nous serions alors dans le cas argentin, avec très probablement une panique boursière puis bancaire, un approfondissement de la crise, mais aussi, assez rapidement après (comme pour l’Argentine) un net rebond de la croissance.

Mais ce scénario n’est pas la seule voie qui s’offre à nous. Les pays européens pourraient également décider de mettre fin à la monnaie unique, de la transformer en monnaie commune de revenir à des monnaies nationales, dont les parités seraient ajustées, tout en proposant un plan coordonné de relance de l’activité en encadrant les marchés financiers. Dans ce scénario (que nos dirigeants devraient avoir le bon sens de préparer), la transition pourrait être relativement indolore.

Bref, on constate tous les jours davantage que c’est le maintien de cette union monétaire contre-nature et bancale qui provoque une catastrophe économique pour l’Europe. Mieux, si la sortie de l’euro était bien coordonnée, nous pourrions en avoir les avantages avec un minimum de perturbation.

13 commentaires:

  1. Une des solutions envisagés pour ne plus subir la dictature des marchés financiers apatrides consiste en la monétisation de la dette et si tous les pays attaqués dont le nôtre en faisaient leur politique de façon concertée cela pourrait peut-être nous éviter le pire?

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  2. Je dis peut etre une betise mais serait possible de garder l'euro et d'avoir une monnaie locale qui serait le Franc pour la France par exemple (que dit le traité sur l'euro pour ce cas)

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  3. Oui, Patrice, c'est possible : l'euro monnaie commune pour les échanges internationaux et la réserve.

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    1. Non, Anonyme, c'est pas possible. Deux monnaies ne peuvent pas circuler conjointement dans une juridiction. Il y a eviction de l'une par l'autre.

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  4. Bravo pour votre courage de participer à l'émission de Ménard. Pour ma part, je n'ai pas eu celui rester bien longtemps sur cette fréquence, tant son écoute constitue une expérience éprouvante. Je ne savais pas exactement qui était ce Robert Ménard dont on parle régulièrement depuis quelques mois, mais il prouve que l'on a pas besoin d'être au centre du jeu idéologique pour être un tocard de première.

    Emmanuel B

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  5. De fait je posai la questions de pouvoir utiliser indifféremment le Franc et L'Euro y compris dans la vie de tous les jours ( complétement theorique bien sur)

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  6. Heu.. a quoi cela servirait il dans ce cas ??
    L'idée est me semble t-il de garder l'euro pour les échanges Europe <-> reste du monde, et avoir a l’intérieur de l'Europe une monnaie par pays, avec passage par le change pour aller acheter dans un autre pays de la zone.

    Vu de l’extérieur, l'Euro à la puissance du marché Européen de 500 M d'habitants.
    En interne, les monnaies 'locales' permettent a chaque pays de rester souverain de de vivre 'à sa façon'

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  7. Dans ce cas le Franc est toujours lié a l'Euro est ce que cela change quelque chose pour EADS qui délocalise aux USA ou en Chine parce que l'euro est trop cher ?

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  8. @ Cording

    Très juste. La monétisation permettra de nous passer des marchés financiers dans la phase de transition et donc de grandement la faciliter.

    @ Patrice Lamy

    Oui, c'est parfaitement possible et c'est même ce que nous proposons. En revanche, je ne pense pas que ce soit une bonne idée de laisser deux monnaies pour les échanges intérieurs car cela compliquerait la vie de tous les jours et rendrait les ajustements monétaires plus difficiles (tout le monde s'accrochant à la monnaie la plus forte : en Italie par exemple, on aurait des phénomènes d'euroisation de l'économie).

    @ Emmanuel B

    Merci.

    @ Alain34

    Je suis complètement d'accord.

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  9. J'ai lu sur un autre blog un argument contre une sortie partielle de l'euro (dans la mesure où cette sortie servirait à dévaluer la nouvelle monnaie par rapport à l'euro). Certains riches n'hésiteraient pas à faire fuir leurs capitaux en euros avant conversion dans les pays le gardant pour ensuite le rapatrier (ou pas) avec une grosse plus-value due au nouveau taux de change. Votre avis ?

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  10. Voici ce que j'ai trouvé sur le blog "2Villepin" en lien recommandé sur ce blog (voir colonne à droite).

    "2012 : le temps de l’union nationale ?", par Philippe Bas, ancien secrétaire général de l’Elysée :
    http://2villepin.free.fr/index.php/2011/11/12/8352-2012-le-temps-de-lunion-nationale-par-philippe-bas-ancien-secretaire-general-de-lelysee/#more-8352

    Extrait :
    "Certains se résignent à la fin de l’euro. D’autres l’appellent même de leurs voeux. Ce sont des imposteurs. La sortie de l’euro, ce serait le chacun pour soi, la guerre économique entre pays européens, la négociation en ordre dispersé avec des puissances de plus d’un milliard d’habitants (la Chine, l’Inde), l’impossibilité d’être forts face au reste du monde. etc ..."

    C'est exactement le contraire de la position défendue dans l'article de LP ci-dessus favorable à une sortie de l'euro (que j'approuve d'ailleurs).
    On peut être ouvert au dialogue, mais Philippe Bas nous traite tout de même d'imposteurs, ce qui n'est pas très fair play ! Ce ne serait pas plutôt un coup Bas ? :-)

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  11. toujours cette idée ridicule que quantité égale puissance ; il y a un moment qui serait intéressant a calculer ou le fait d’être 100millions 500millions ou 1 milliard ne rime plus a rien comme les têtes nucléaires 300 ou 3000 c'est egal .
    Un autre sujet gaullien post euro il serait bon de reparler de la participation !

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  12. @ Claribelle

    Très bonne remarque. C'est exactement ce qui se passe en Grèce, où 25% des capitaux ont fui le pays depuis 2 ans. La seule solution consiste à mettre fin à la libre-circulation des capitaux.

    @ Santufayan

    En même temps, ce papier démontre exactement ce que je dis, à savoir que la peur irrationnelle est la dernière ligne de défense des partisans de la monnaie unique...

    @ Patrice Lamy

    Très juste. L'euro est une anomalie à l'échelle de la planète. Aucun autre groupe de pays n'a choisi l'unification monétaire. Et il y a des dizaines de pays plus petits que la France qui ne ressentent pas le besoin de construire une telle tour de Babel.

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