dimanche 16 juin 2013

Remettre l’argent au service de l’intérêt général


C’est un livre essentiel, signé par André-Jacques Holbecq et Philippe Derudder, le livre qu’il faut offrir aux néophytes pour leur faire comprendre les enjeux autour de la monnaie. Un ouvrage hautement politique qui synthétise de manière simple, courte et claire pourquoi le système actuel est aberrant.



L’homme, la seule querelle qui vaille

Ce n’est pas le livre qui sera le plus utile pour ceuq qui s’intéressent de près aux questions monétaires, et qui ont lu Pierre-Noël Giraud ou Jean-Claude Werrebrouck, mais le « Manifeste pour que l’argent serve au lieu d’asservir » est un livre plus politique qu’économique, et qui s’adresse à un public très large, y compris ceux qui n’ont jamais lu de livres d’économie. Comme dans leur livre sur la dette publique ou celui sur les monnaies complémentaires, les auteurs utilisent des paraboles (celle des deux îles est particulièrement parlante : je vous laisse la découvrir au début du livre) qui permettent de prendre du recul sur l’actualité et de saisir des choses qui devraient pourtant être évidentes.

Humanistes, ils rappellent le paradoxe de cette société qui créé tellement de richesses mais où subsistent tellement de pauvres, le fait que « les difficultés financières conduisent au démantèlement de l’appareil social et des services publics, au creusement des inégalités, pendant qu’elles empêchent la transition écologique et énergétique ». Ils affirment que si nous ne répondons pas aux défis actuels, c’est parce que nous restons dans le cadre. Ils citent André Gide, qui disait que « le monde ne pourra être sauvé que par des insoumis ». La Grèce est la victime de ce cadre, de « la logique comptable (qui) nous dépouille (…) de toute humanité » au point de nous faire considérer comme normal, voir ‘responsable’, le fait de laisser une personne mourir de soif auprès d’une fontaine d’eau claire.

La monnaie pour les nuls

Les auteurs rappellent ce qu’est la monnaie : « une dette collective qui promet au fournisseur qu’il pourra trouver dans la communauté ce dont il a besoin quand il en aura besoin », un facilitateur de l’échange et une réserve d’épargne. Ils soulignent que c’est le fait que la monnaie ait été basée sur des métaux précieux qui fait qu’aujourd’hui encore, on pense qu’elle est une richesse en soi, qu’elle est rare et qu’elle manque. Ils remontent jusqu’à l’invention de la monnaie papier au milieu du 17ème en Suède et en Angleterre pour expliquer les mécanismes de la création monétaire. A ces débuts, les orfèvres émettaient autant de monnaie que la valeur de leurs stocks, mais constatant que jamais tous les stocks qui leur étaient confiés étaient réclamés en même temps, ils finirent par en émettre davantage, créant alors de la monnaie via l’effet de levier, selon le principe de réserve fractionnaire.

C’est le début de l’argent-dette, totalement virtuel, une unité de compte sans valeur intrinsèque et est donc créée en fonction des besoins, devenant potentiellement infinie. Mais du fait des choix faits par les Etats, aujourd’hui, les banques centrales n’émettent qu’une petite partie de la masse monétaire, l’immense majorité l’étant aujourd’hui par les banques privées par une « opération tellement simple que l’esprit en est dégoûté » pour l’économiste John Kenneth Galbraith : il suffit pour une banque de prêter une somme donnée, faisant apparaître un prêt à son actif et un dépôt à son passif. Il faut noter que la monnaie banque centrale ne sert qu’à régler les soldes entre banques. La monnaie que nous utilisons aujourd’hui sont donc essentiellement « des dettes de banques privées transmissibles » !

Les auteurs questionnent alors les intérêts « outils de l’asservissement moderne », et le fait de rémunérer une monnaie créée ex nihilo, au contraire du fait de prêter un bien dont on se prive durant le temps du prêt. Ils notent que les intérêts peuvent représenter 30 à 40% du coût total d’un bien dans l’immobilier. Ils notent que l’argent ne travaille pas mais que comme « seuls les êtres humains travaillent, pas l’argent, l’intérêt que nous touchons est une part de la rémunération du travail d’un autre ». Ils citent une étude de l’économiste Margrit Kennedy : seule 10% de la population touche plus d’intérêts qu’elle n’en paie et que 80% en paient davantage qu’elle n’en touche, signe du rôle des intérêts dans les inégalités. Le seul moyen d’éviter l’effet d’appauvrissement généralisé de la grande majorité de la population consiste à un accroissement de l’endettement global, mais en 2008, cela nous a mené au krach.

Monnaie et dette publique

Les auteurs reprennent et actualisent l’analyse de leur livre « La dette publique, une affaire rentable » en soulignant que si la dette publique d’établissait à 1717 milliards d’euros fin 2011, « une grande partie n’a été empruntée que pour payer les intérêts de la période précédente ». Ils tordent le coup à l’idée selon laquelle l’Etat vivrait au-dessus de ses moyens, citant un rapport d’Attac publié par la fondation Copernic en janvier 2012, qui souligne que « les recettes de l’Etat représentaient 15,1% du PIB en 2009 contre 22,5% en 1982 » et que depuis 1999, les gouvernements ont baissé les impôts de 3 points du PIB, expliquant 20 points de PIB de la dette… Ils notent aussi que la Cour des Comptes chiffre l’ensemble des dispositifs dérogatoires fiscaux et sociaux, au sens large, à 172 milliards en 2010.

De nombreuses études confirment leurs calculs, l’OFCE ayant estimé que, depuis 1979 « en l’absence de tout versement d’intérêts par les administrations publiques, le stock de dette atteint en 2008 aurait été de 17,7% du PIB » au lieu de 67,4%. Le chiffre de 20% de dette publique hors intérêts est confirmé par Attac ou la fondation Hulot. Les auteurs notent qu’entre 1994 et 2011, la dette est passée de 567 à 1717 milliards mais que l’Etat a payé 815 milliards d’intérêts, soit deux tiers de la hausse de la dette (1150 milliards). Hors intérêts, le solde public est resté globalement équilibré jusqu’en 2009. Pour eux, seule l’Etat est légitime pour créer la monnaie. Pour eux, « par traités et décrets, le système bancaire privé a conquis le pouvoir de création des moyens de paiement en totale indépendance du pouvoir politique, qu’il n’utilise que pour servir ses intérêts (…) S’il a acquis la légalité par manœuvres, manipulations, pressions de toutes sortes au fil de l’histoire, il ne saurait jamais prétendre à une légitimité quelconque ».

Il rappelle le texte du « Manifeste pour que l’argent serve au lieu s’asservir », pour lequel, « une nation souveraine a le pouvoir et la légitimité d’émettre sa propre monnaie », qui demande à ce que la banque centrale puisse financer l’Etat et les collectivités publiques soulignant que « c’est aux instances représentatives de la société de décider, après avis des organismes publics concernés, du montant d’émission monétaire imposé à la banque centrale ». Pour eux, si cela ne peut se faire à l’échelle européenne, cela doit se faire à l’échelle nationale. Ils rappellent la proposition de la Fondation Hulot, d’investir « 600 milliards d’euros d’investissements au cours des 10 prochaines années pour investir dans la transition économique, écologique et sociale (soit 3% du PIB / an) ».

Quelle alternative ?

Ils exposent trois alternatives au système actuel. D’abord, le 100% monnaie, défendu par Maurice Allais, un système de couverture à 100% par de la monnaie banque centrale, que seule la banque centrale pourrait émettre, et les banques coupées en 3. Ils notent que « la capture par les Etats de la rente liée à la création monétaire permettrait de dégager des marges de manœuvre budgétaires très significatives ». La seconde est le néochartalisme, Modern Money Theory, défendue par James K Galbraith, partisan de politiques contracycliques (où l’Etat doit pouvoir soutenir la demande quand il y a une crise). Cette école préconise également que « seuls les Etats sont à même d’émettre une monnaie qui sera la seule qu’ils accepteont en paiement des taxes et impôts, la monnaie centrale ou de base ».

Enfin, la troisième option, préconisée par Frédéric Lordon, est « la nationalisation des banques et le crédit socialisé », développée dans son livre et son papier « Pour un système socialisé du crédit ». Il y soutient que la monnaie est un bien aussi vital que la sûreté nucléaire, ce qui impose un contrôle public. Il ne s’agit pas d’un système où l’état contrôlerait tout, mais avec une association de toutes les parties prenantes de la société (salariés, entreprises, associations, collectivités locales) dans la gestion du système bancaire. Il envisage le défaut des Etats pour permettre de réformer le système en faisant table rase du système actuel et en montrant que le pouvoir revient bien aux peuples et pas à la finance.

Les auteurs concluent par une citation de Maurice Allais : « il est aujourd’hui paradoxal de constater que lorsque, pendant des siècles, l’Ancien Régime avait préservé jalousement le droit de l’Etat de battre monnaie et le privilège exclusif d’en garder le bénéfice, la République démocratique a abandonné pour une grande part ce droit et ce privilège à des intérêts privés ». Un petit livre à faire lire et offrir.

Source: « Manifeste pour que l’argent serve au lieu d’asservir », P. Derudder, A-J Holbecq, Dangles éditions

5 commentaires:

  1. Je n'ai pas encore lu ce livre mais le compte rendu que tu en proposes est un excellent résumé de la situation.

    A-J Holbecq a accompli une œuvre de salut publique et, à titre personnel, je lui doit beaucoup dans ma compréhension du fonctionnement de la monnaie. Je ne le remercierai jamais assez.

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  2. Plus qu'intéressant pour les neophytes effectivement! Ce sera surement mon prochain achat! Merci Laurent!

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  3. Au passage, intéressante analyse :

    Charles Gave : L’exception culturelle ou quand De Gaulle inventait l’eau sèche http://institutdeslibertes.org/lexception-culturelle-ou-quand-de-gaulle-inventait-leau-seche/

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  4. GRECE. Dernier concert de l'orchestre national symphonique. Le gouvernement a décidé de couper le budget de la formation, après l'arrêt de la diffusion de la télévision publique.

    Larmes et émotion. Conséquence directe de l'arrêt de la diffusion de la télévision publique grecque, la semaine dernière, l'orchestre national symphonique de Grèce - équivalent de l'orchestre de Radio France - a joué son dernier concert vendredi 14 juin. Selon un communiqué de l'ensemble musical, la restructuration de l'audiovisuel public n'accorde plus le budget nécessaire pour le maintien de l'orchestre, vieux de 75 ans et du chœur.Pour cette dernière représentation, l'orchestre a joué un extrait des "Variations Enigma", intitulé "Nimrod", une œuvre symphonique du compositeur britannique Edward Elgar. Sur ces images, particulièrement touchantes, on aperçoit certains musiciens pleurer pendant qu'ils jouent. Face à eux, des centaines de Grecs écoutent le concert, rassemblés à l'extérieur du bâtiment.

    http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20130617.OBS3565/dernier-concert-de-l-orchestre-national-symphonique-de-grece.html

    Décidemment les grecs vont devoir boire le calice jusqu'à la lie. Lire également « La Grèce au bord du précipice par Jacques Sapir » :

    http://russeurope.hypotheses.org/1364

    Saul

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  5. Tous pensent eux-memes où investir et comment gagner de l'argent! Quant à moi, je préfère http://casinoenlignecanadians.com/ car je peux gagner en jouant aux jeux préférés et en m'amusant!

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