mercredi 29 janvier 2014

La critique philosophique de la théorie du genre de Dany-Robert Dufour


Billet invité : notes de lecture de « LE DIVIN MARCHE » de Dany-Robert Dufour (Denoël, 2007).



Le Divin Marché, la révolution culturelle libérale  est un ouvrage philosophique majeur pour comprendre comment les théories libérales-libertaires se sont muées en idéologies à vision totalisante, si ce n’est totalitaire. D-R. Dufour y montre ainsi comment, bien loin d'être sortis de la religion, nous sommes tombés sous l'emprise d'une nouvelle religion conquérante, le Marché, fonctionnant sur un principe simple, mais redoutablement efficace, mis au jour par Bernard de Mandeville (La Fable des abeilles) en 1704 : "les vices privés font la vertu publique". Ce miracle étant permis par l'intervention d'une Providence divine (cf. la fameuse "main invisible" postulée par Adam Smith), on se trouve donc dans une mystique quasi-religieuse pour laquelle D-R. Dufour tente de rendre explicites les dix commandements implicites de cette nouvelle religion, beaucoup moins interdictrice qu'incitatrice (c’est à la toute sa force) - ce qui produit de puissants effets de désymbolisation, comme l'atteste le troisième commandement : "Ne pensez pas, dépensez !".

Du point de vue de l'éducation et de la formation des sujets, le projet libéral en tant qu’idéologie tend à s'inscrire contre une conception de l'école conçue, depuis l'antiquité gréco-romaine, comme scholè puis otium[i]. Cette conception invitait chaque individu, avant son entrée dans le monde des échanges (neg-otium[ii]), à se livrer à un travail de maîtrise de soi afin de ne pas avoir à subir ses propres passions, ni celle des autres. Nous devons donc bien distinguer entre deux conceptions de l'éducation, antagonistes. Dans la conception classique, il faut pratiquer le contrôle et la maîtrise des passions. Dans la conception libérale, il faut libérer les passions et les pulsions. Plus ce projet triomphera, plus nous assisterons à la mise en place d'un monde pulsionnel, grandement désymbolisé. Cependant, ce monde pose un nouveau problème: le contrôle des passions et des pulsions ne s'effectuant plus au niveau symbolique, il devra, de plus en plus, être pratiqué directement au niveau des corps, de l'intérieur (par des molécules, les médicaments, notamment anti-dépresseurs) et de l'extérieur (par l'extension des techniques de surveillance) - ce qui n'est sans conséquence sur le fonctionnement démocratique des sociétés libérales. Plus généralement, ce livre, publié un an avant le début de la grande crise bancaire et financière de l'automne 2008, décrit et analyse les effets potentiellement dévastateurs du principe libéral (porté à ses ultimes conséquences avec l'ultralibéralisme), non seulement dans l'économie marchande, mais aussi et surtout dans les autres grandes économies humaines : les économies politique, symbolique, sémiotique et psychique - sans oublier celle qui les englobe toutes, l'économie du vivant[iii].

Le 2e commandement (« tu utiliseras l’autre comme un moyen pour parvenir à tes fins ») s’intéresse, entre autres, à la théorie du genre. Dany-Robert Dufour y relève que celle-ci met en fait profondément à mal l’interdit œdipien.

L’homme étant parlant et pensant, il peut se raconter des choses et dont s’inventer tel qu’il n’est pas. En un sens, cela fait même partie des droits de l’homme. Mais, c’est de là que découle la théorie du genre : le sexe est ce que je suis, le genre est ce que je fais[iv], voire ce que je raconte. Le genre vient en plus du sexe. La théorie du genre peut également mettre à mal les mouvements féministes : les féministes ne seraient-elles pas alors cantonnées à des « femmes qui veulent faire l’homme » ? Et dans ce cas, la fin du patriarcat qu’elles réclament n’en serait pas vraiment une mais tout simplement le remplacement des hommes par des femmes qui font l’homme. Mais si le genre se limite à identifier des hommes qui font la femme et réciproquement des femmes qui font l’homme, alors en fait il n’y a rien de vraiment nouveau et le genre est aussi vieux que l’humanité. Là où les choses se corsent c’est quand le genre prétend remplacer le sexe. Là est le tournant du postmodernisme : le parlant se prétend plus fort que le vivant, voire le vivant est la simple conséquence du parlant. Cette posture a néanmoins ses limites : même un transsexuel conserve biologiquement (via ses chromosomes XX ou XY) son sexe d’origine. Toutefois, elle met en valeur un rapport à soi, et donc à l’autre, entièrement mensonger qui va jusqu’à imposer ce mensonge à toute la société : « que je mente à moi-même ne suffit donc pas, que mes amis mentent avec moi pas davantage, il faudra que je mette le législateur dans le coup et que toute la société mente avec moi pour que je puisse effectivement soutenir ce rapport mensonger à moi-même ». La question de l’adoption par les couples homosexuels adopte le même caractère mensonger : « parce que l’enfant adopté chez les couples stériles vient à la place de l’enfant qu’ils auraient pu avoir si une déficience physique n’avait pas atteint au moins l’un des deux. Ceci ne vaut pas pour le couple homosexuel puisqu’en l’occurrence, ce n’est pas une déficience qui les affecte, mais autre chose : le fait qu’ils soient de même sexe, ce qui est une contre-indication majeure pour avoir des enfants dans une espèce sexuée ».

La science pourrait toutefois résoudre cette contre-indication. On peut ainsi obtenir des gamètes mâles ou femelles à partir des cellules souches de la moelle, ce qui fait qu’un couple homosexuel pourrait avoir des enfants partageant bel et bien le même ADN que les deux « parents ». Mais à partir de là, il n’y aurait plus de limite (d’autant plus que l’on arrive à transformer des mères ménopausées en mère porteuse) : pourquoi ne reproduirait-on pas la même chose avec des générations différentes ? On peut ici commencer à penser que Dany-Robert Dufour exagère. Il donne pourtant un exemple pour le moins troublant : aux Etats-Unis, Jeanine, une sexagénaire largement ménopausée, a donnée naissance à un joli garçon de 3 kilos dont l’ovule, qu’elle avait reçue d’une donneuse, avait été fécondé par le sperme de son propre frère, lequel avait également servi à féconder une mère porteuse pour donner naissance à un autre enfant. L’ensemble forme une famille très postmoderne : Jeanine, son frère, les deux enfants et la grand-mère vivent tous sous le même toit.

Si l’on revient à la question même de la religion du Marché, on relève que celle-ci aboutit à une dissolution de la distinction entre prix et valeur (ou dignité). Cette distinction était pourtant fondamentale pour Kant : « Tout a ou bien un prix, ou bien une dignité. On peut remplacer ce qui a un prix par son équivalent ; en revanche, ce qui n’a pas de prix, et donc pas d’équivalent, c’est ce qui possède une dignité ». Le postmodernisme en arrive à confondre complètement prix et dignité, comme il parvient à faire s’effondre les interdits de tous types. Cette confusion entre valeur et prix est intrinsèquement liée à la théorie du genre (tout comme à la question de l’adoption par les couples homosexuels) : si le parlant prétend dicter sa loi au vivant, il faut bien avouer qu’une belle liasse de billets y contribue bien. Le « genre » comme l’adoption peuvent vite devenir de simples questions de prix. Et tant pis pour la dignité.

L'Oeil de Brutus



[i] « Les Romains employaient le terme otium. C'est un moment de calme, un moment à savourer, un moment de liberté qui nous offre la paix intérieure. Les Grecs, eux, parlaient de scholè. » (Anselm Grün, Retrouver le goût de la vie, Albin Michel, 2013, p. 121).
[ii] Travail, commerce.
[iii] Dans l’idéologie libérale, et ce n’est pas là le moindre de ses aspects totalitaires, l’économie marchande engloutit toutes les autres.
[iv] Pour reprendre Dany Robert Dufour, "dans les formules du genre, on fait l'homme ou la femme". On peut alors s'interroger sur manière dont les théoriciens du genre "classerait" les personnes selon leur sexualité. Par exemple, on peut constater la multiplication de questionnaires divers et variés qui, de plus en plus, demandent le genre au lieu du sexe. Or, si l'on applique la théorie du genre à ce type de questionnaire (et, pour ne pas prêter à confusion, seulement dans ce cas), ce type de demande constitue une profonde atteinte à la vie privée puisqu’il s’agit alors de définir votre sexualité (par exemple, dans la logique de la théorie du genre et seulement dans cette logique (non celle de l'auteur), un homme homosexuel pourrait cocher la case « féminin » dans ce genre de questionnaire). Ceci amenant tout de même à se poser la question de savoir pourquoi, du jour au lendemain, certaines administrations (publiques ou privées) ne s'intéressent plus à notre sexe mais à notre genre."

22 commentaires:

  1. Hier, les députés ont voté, à une large majorité, la loi sur l'égalité homme femme.

    D'après un article du Figaro, un amendement apparemment non soutenu par le gouvernement faisait obligation aux écoles de journalistes, d'architectes et de danse d'inclure un module d'enseignement sur l'égalité homme femme.

    Les écoles de journalistes protestent contre cet amendement, car elles ont "vocation à former des esprits critiques". (sic)

    D'autre part, le Figaro explique pourquoi ne sont visées que ces trois types d'écoles : les grandes écoles ont apparemment déjà engagé une démarche "volontaire" en ce sens, en signant une charte prévoyant ce type de cours avec le ministère de la recherche (re sic).
    En réalité, c'est suite aux pressions induites notamment par Sarkozy et son nominé à la Cour des comptes sur les boursiers et les femmes en grandes écoles que celles-ci ont espéré réduire la pression de cette manière.

    L'otium a donc bien du plomb dans l'aile, puisque même les grandes écoles sont obligées de faire des concessions aux polémiques médiatiques.
    Les journalistes, eux, s'en exonèrent après les avoir fait monter en épingle : "selon que vous serez puissant ou misérable"...

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  2. Le second paragraphe de l'article (Du point de vue de l'éducation [...] l'économie du vivant) est similaire à celui de la notice Wikipedia de D-R Dufour dont la dernière mise à jour date du 19 Janvier 2014.

    Est-ce que l'auteur du billet est également celui du paragraphe de l'article Wikipedia ?

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    1. Et bien non; je ne suis pas l'auteur de la fiche Wikipédia de DRD ! Comme je n'ai pas pompé sur Wiki, je pense que l'un de mes amis avec qui j'avais partagé mes notes en a profité pour mettre à jour Wikipédia (et il a raison : c'est fait pour, et ça ne doit surtout pas exempter de la lecture de cet excellent ouvrage).

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    2. Ah d'accord.

      Nos amis de Wikipedia étant assez chatouilleux sur le sujet des citations, il faudra dire à votre ami d'insérer une note de référence vers ce billet. Pour rendre à César ce qui lui appartient.

      Billet intéressant de toutes façons qui a eu le mérite de me faire découvrir un auteur dont j'ignorais l'existence.

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  3. Dany-Robert Dufour est un de nos tres grands philosophes contemporains, helas encore trop méconnu de la majorité. Merci de participer à sa popularisation par ce billet.

    Par contre, j'ai un doute sur la question de l'adoption par un couple homosexuel. Dans ma memoire, Dufour s'opposait certes vigoureusement à la PMA et la GPA, qu'il assimile à une objectisation marchande de la vie humaine et une déconnexion dangereuse avec la réalité biologique, mais pas forcément à l'adoption, puisque dans ce cas l'enfant est déjà sur Terre, qu'on le veuille ou non, et qu'il fait partie de ses droits inaliénables d'etre acceuilli par un foyer aimant, quelqu'il soit. On notera d'ailleurs que puisqu'une adoption est autorisée pour un célibataire, il n'y a pas de raison de l'interdire pour un couple homosexuel.
    Je possede le bouquin, donc si vous avez les references precises sous la main, je prends :)

    Ensuite, je trouve le lien que vous faites entre théorie du genre et homosexualité dangereusement confus. En effet, il s'agit bien de deux choses tres différentes, puisque dans la grande majorité des couples homosexuels, aucun des deux ne prétend jamais etre du sexe qu'il n'est pas. L'homo-sexualité n'est pas la trans-sexualité. L'homo-sexualité c'est l'amour entre deux hommes (ou deux femmes) qui chacun s'assume comme homme (ou femme) et ne souhaite pas se transformer. Il n'y a qu'une toute petite partie des homosexuels qui sont trans-sexuels (et peut-on encore les considérer comme homosexuels puisqu'ils ont justement changé de sexe ?)

    Autant Dufour développe une critique fine et pertinente du phénomene trans-sexuel et des gender studies, notamment aux Etats-Unis, mais il explique bien à chaque fois que celle-ci ne s'inscrit en aucun cas ni dans une critique de l'homo-sexualité ni dans une défense normative de stéréotypes culturels. C'est la difficulté du style "blog" et de la concision qu'elle impose, mais il serait dommage qu'un lecteur inattentif de votre billet en vienne tenté par des amalgames douteux, voire par une récupération "réactionnaire" des ouvrages de Dufour (posture qu'il s'attele lui-meme à démonter systématiquement).

    Talisker.

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    1. il n'existe pas de "théorie du genre".


      En passant, l'expression qui suscite bien des angoisses chez certains est "gender studies", en français : étude des genres.
      Ce n'est donc pas une théorie, mais des observations de faits sociaux : les femmes ont le cheveux longs -c'est traditionnellement censé les définir-, pas les hommes.

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    2. Sur l'adoption par les couples homosexuels, voir page 93.

      Attention, Dufour ne fait pas de lien entre théorie des genres et homosexualité, mais entre théorie des genres et adoption par les couples homosexuels. Ce qui n'est pas du tout la même chose.
      De plus, c'est la théorie du genre qui prétend définir l'homosexualité par un genre différent du sexe, ce ne sont, comme vous le remarquez très bien, pas du tout les homosexuels eux-mêmes (qui, pour ceux que je connais, ne se reconnaissent effectivement nullement dans la théorie des genres). Enfin, factuellement, comme le note DDR, un trans-sexuel ne change pas de sexe : ces chromosomes (XX ou XY) demeurent les mêmes.

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    3. Merci pour ces précisions intéressantes, que je ne lis qu'apres avoir écrit mon deuxieme commentaire plus bas. Je partage les mises en garde de Dufour sur l'adoption, mais je reste quand meme favorable à l'ouverture de ce droit à tous les couples, en me mettant du coté de l'enfant, dont on ne peut que se rejouir du passage d'un orphelinat à un foyer aimant. La situation est selon moi differente pour la GPA / PMA puisque l'enfant en question n'existe pas encore.

      En tout cas, j'admire votre courage de commencer votre contribution sur ce blog par un sujet aussi delicat, et je vous remercie encore de faire connaitre cet auteur qui le mérite vraiment, meme si c'est avec une certaine maladresse.

      Talisker.

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  4. @LP,

    La Cité perverse du même auteur est également un excellent ouvrage :

    http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Folio/Folio-essais/La-Cite-perverse

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  5. il est particulièrement minable et détestable surtout de la part d'un soi-disant grand philosophe de parler sur un sujet dont il ignore tout : ce monsieur pourrait au moins lire ce que les féministes écrivent au lieu de remplacer les propos et les actes des féministes par sa propre imagination.

    Ce monsieur parle en plus d'une théorie qui n'existe que dans les angoisses des milieux catho... la "théorie du genre" n'existe pas.

    Merci de m'apprendre que ce Monsieur Dufour est un ignorant crasse, comme ça je ne perdrais pas mon temps à lire ses bêtises.

    Monsieur Pinsolle, je suis assez déçu de voir à qui et surtout à quoi vous donnez la parole. Vous semblez pas très informé sur les questions féministes et la propagande fumeuse sur la "théorie du genre" des homophobes et anti-féministes.

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    1. DDR ne remet nullement en cause les mouvements féministes : il dit simplement que c'est la théorie du genre, dans son acception idéologique, qui peut mettre à mal les mouvements féministes.

      La théorie du genre n'est pas une légende urbaine fantasmée par quelques extrémistes. Elle est notamment très présente dans les arcanes de l'Union européenne :
      - http://eige.europa.eu/sites/default/files/EIGE-study-on-collected-narratives-on-gender-perceptions-MH3112337ENC.pdf.
      - http://ec.europa.eu/agriculture/rur/leaderplus/pdf/flashnews/41_fr.pdf (la théorie du genre en ... milieu rural !).
      - et pour les anglophones, voir le résultat de la recherche "gender theory" sur le site de l'UE : http://europa.eu/geninfo/query/index.do?queryText=%22gender+theory%22&x=0&y=0&swlang=en

      Je reconnais que le format d'un court billet n'est pas forcément à même de retranscrire parfaitement la pensée de l'auteur. Avant de vous donner une idée arrêtée sur l'auteur, je vous invite à lire l'ouvrage !

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  6. @ Anonyme

    J’ai vu. En effet, cet amendement est assez ubuesque.

    @ Sébastien

    Je vais demander à l’auteur

    @ Talisker

    Merci pour toutes ces précisions. Je suis sur la même ligne que vous concernant l’adoption. J’avais fait un papier sur le sujet il y a quelques temps :
    http://www.gaullistelibre.com/2012/08/oui-la-legalisation-de-lhomoparentalite.html
    D’accord sur le lien théorie du genre / homosexualité, qui n’est pas très heureux.

    @ Abd Salam

    J’assume complètement la publication du papier. C’est un sujet que j’ai envie de creuser, mais je n’ai pas encore eu le temps de le faire et ce papier me nourrit, même si je ne suis pas d’accord avec tout ce qui est écrit (mais c’est le principe d’ouvrir son blog, cela ne peut pas se faire uniquement avec des personnes d’accord à 100% avec vous). Notez que deux commentateurs parlent élogieusement de ce philosophe, qui a également été interviewée par une amie, journaliste, clairement à gauche, qui n’interviewe en général que les personnes qu’elle apprécie.

    Je ne comprends pas bien votre point sur étude des genres / théorie du genre. Certes, cela part sans doute d’études mais il me semble que cela a aboutit, pour certaines personnes, à un agenda idéologique qui est repris et poussé.

    Après, c’est un sujet que je commence tout juste à étudier. Je ferai sans doute un papier dans les prochaines semaines et je serais heureux que vous m’indiquiez des sources me permettant de me faire un point de vue.

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  7. @ Abd Salam :

    Je comprends votre malaise, et j'avoue que j'en ai moi aussi ressenti un en decouvrant ce billet. Neanmoins, et comme je le signale dans mon commentaire precedent, ceci ne rend pas du tout justice au travail de Dany-Robert Dufour et il serait vraiment dommage de passer à coté d'un des meilleurs critiques philosophiques du libéralisme à cause de cela.

    J'ai le livre sous les yeux au moment où j'ecris ces lignes, et je confirme que sa position est plus nuancée que ce dont il est rendu compte ici (concision oblige, j'imagine). S'il est effectivement critique au sujet de la PMA / GPA, démonte le principe d'un "droit à l'enfant" et met en garde contre le développement d'un "marché d'enfants pauvres" lié à l'adoption, il précise bien au sujet des couples homosexuels :

    "[Le probleme ne se pose] pas là où les bonnes ames s'inquietent : seront-ils de bons parents ? Qu'ils se rassurent : probablement, oui, dans la mesure où ils sont capables de former un couple. Ni mieux ni moins bien, d'ailleurs, que les hétérosexuels. Avec les memes folies et les memes passages à l'acte, avec la meme grandeur ou les memes petitesses devant la vie amoureuse."

    Et quelques paragraphes plus loin :

    "Il faut repondre ici avec discernement : concedons sans barguigner que les homos sont tout aussi incapables que les heteros de faire face à ce que Freud appelait "une tache impossible" lorsqu'il parlait de l'education des enfants. Bref, il n'y a aucune raison de croire qu'ils feraient moins bien - ou mieux - en ce domaine que de nombreux couples heterosexuels qui passent leur vie à regler leurs problemes sur le dos de leurs enfants"

    (Chapitre II, "Le Rapport à l'autre", section "Changer de genre et changer de sexe")

    Les écrits de Dany-Robert Dufour, tout comme ceux de Jean-Claude Michéa dont la pensée est proche, sont facilement sources de malentendus, voire de récupérations ultra-droitieres (je ne dis pas du tout que c'est le cas ici, mais c'est un fait regulier), qui ont tendance à ne retenir que leurs aspects conservateurs sur certains sujets de société, qui-plus-est en les simplifiant excessivement, tout en passant sous silence la force de leur critique anti-capitaliste, qui constitue pourtant le corps de leurs travaux.

    Pour moi ces auteurs, sous le patronage de Georges Orwell et Marcel Mauss, sont beaucoup plus proches de penseurs comme Alain Caillé ou Dominique Méda, que de la nébuleuse réactionnaire à laquelle vous faites allusion, ou ne serait-ce meme que d'un Eric Zemmour.

    A lire sans crainte et sans moderation ! :)

    Talisker.

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  8. @ Tous

    Exceptionnellement, suite une incompréhension sur la quatrième note, nous l'avons reformulée pour, nous l'espérons, éviter tout malentendu. Il n'y a naturellement aucun jugement de valeur. Il s'agit juste de montrer jusqu'à quel point l'application de ces idées pourrait nous amener.

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    1. Bien vu Laurent. Il y avait effectivement sujet à interprétation en tant que jugement de valeur, ce qui n'est pas du tout le cas.

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  9. @Talisker,

    Caillé, donc Mauss, que voilà d'excellentes références !

    Le mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales, s'inscrivant dans la lignée de ce livre fondateur qu'est "l'Essai sur le don" (le donc comme cycle), est un des rares courant sérieux développant une véritable critique argumentée et fondamentale de l'esprit du capitalisme.

    L'Homo œconomicus est l'Homme réduit au singe, calculant l'utilité entre un régime de bananes et un kilo de pommes. L'homme du don est l'Homme véritable. C'est par là que la "gauche" se trouve, dans ce discours d'affranchissement qui a toujours été le sien, et qui n'est pas sans liens au christianisme social (Lamenais, Pecqueur, Flora Tristan...), donc au christianisme.

    La "gauche" ne naît pas d'elle-même. La "gauche" et le socialisme - fut-il utopique - devront bien un jour reconnaître la dette morale immense qui est leur envers les Evangiles.

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    1. Tout à fait Anaximandre, je suis moi-meme un mecene du M.A.U.S.S.

      C'est pour cela que, si je partage une bonne partie du diagnostique de DLR sur l'économie et les institutions européennes, je me sens plus proche en terme de projet de société d'un parti comme Nouvelle Donne (parmi les fondateurs duquel on retrouve plusieurs philosophes Maussiens) et ceux qu'on appelle "les convivialistes" (http://lesconvivialistes.fr/).

      A mes yeux, c'est vraiment ce qui manque à DLR pour passer un pallier : comprendre que le libéralisme n'est que la forme actuelle du capitalisme, dont le moteur est la croissance économique. Tant qu'on voudra s'opposer au liberaux, sans remettre en cause plus profondément le capitalisme et donc la croissance économique, on en restera au ras des paquerettes idéologiques, sans autre choix pour exister que de ressasser à l'exces de vieilles antiennes issues de la 3me république (jacobinisme, assimilationnisme, autoritarisme à l'ecole, etc)

      Certains à Gauche font la meme analyse mais ce qu'ils proposent pour remplacer le capitalisme, ce n'est qu'une forme édulcorée et verdie du communisme, idéologie encore plus néfaste que le capitalisme (Michéa n'appelle-t-il pas ce dernier "l'empire du moindre mal" pour appuyer sur le fait qu'il s'est aussi développé en miroir de l'echec terrible des idéologies concurrentes ?).

      Il faut donc inventer autre chose. Alain Caillé et 63 autres philosophes proposent alors le concept de "convivialisme", nouvelle doctrine, résolument moderne, pour un nouveau modele de société, compatible avec une croissance nulle. Je ne sais si le mot est heureux, mais le projet me plait.

      J'adhere sans réserves à votre vision du role du spirituel et de l'immatériel dans cette transformation politique. Hervé Kempf parle pour sa part de l'impérieuse nécessité de "ré-enchanter le Monde". La philosophe politique Chantal Delsol avait signé dans un papier intéressant lors du débat sur le mariage pour tous au sujet de ce qu'elle appelle "les orwelliens": http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/05/23/les-orwelliens-ou-la-naissance-d-une-gauche-conservatrice_3416546_3232.html

      Vous y reconnaissez-vous ?

      Talisker.

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    2. @Talisker,

      Je vous remercie de ces références, vous indiquant que je ne connaissais pas le "convivialisme", et m'en vais de ce pas vers cet univers philosophique prometteur.

      Je suis également avec intérêt les écrits de Chantal Delsol.

      Par ailleurs, auriez-vous un avis sur le "Champion" de Michéa, j'entends Victor Considérant, héritier de Fourrier les vues "baroques" en moins, et dont les ouvrages sont assez difficiles à trouver.

      Très Cordialement.

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    3. Non, helas, je ne connais pas assez Considérant pour en dire plus que ce que vous avez surement deja du lire.

      Mais je vais desormais essayer d'en apprendre plus sous vos conseils.

      Talisker.

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    4. @Talisker,

      Je n'ai, à l'évidence, aucun conseil à vous donner. Je viens au surplus d'en prendre - le convivialisme - et avec grand plaisir.

      Cordialement.

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  10. Merci Laurent,

    Je suis un lecteur assidu de votre blog et ce papier d'invité au sujet d'un auteur philosophe que je ne connaissais pas m'a rendu curieux d'en apprendre plus. J'ai donc été consulter la fiche de l'auteur sur Wikipedia dans laquelle j'ai été surpris de découvrir cette similitude étrange.

    Je lirai certainement l'ouvrage de D-R Dufour. Merci de me l'avoir fait connaître.

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  11. @ Talisker et Anaximandre

    Débat très intéressant, une bonne nourriture intellectuelle.

    @ Sébastien Louchart

    C'est tout l'intérêt d'accueillir de nouvelles personnes sur le blog

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