mercredi 2 juillet 2014

Le procès de Viviane Amsalem : un divorce juif et kafkaïen sur grand écran (billet invité)


Billet invité de Dylan Slama 

Le guet est le document rendant le divorce juif officiel d’un point de vue religieux. Ainsi, une femme divorcée a besoin de son guet si elle souhaite se marier à nouveau. Mais selon la Loi Juive, seul l'époux peut décider de le remettre (ou non) à sa femme. C’est pourquoi les tribunaux rabbiniques rechignent à forcer l'homme à donner le guet. La procédure de divorce peut donc s'éterniser selon le bon vouloir du mari.



C'est exactement ce qui se passe dans Le procès de Viviane Amsalem, sorti le mercredi 25 juin dernier. Ce film retrace avec talent le calvaire d'une épouse israélienne qui tente d'obtenir son guet, dans le cadre d’une justice faite par les hommes et pour les hommes.

La colère ne peut que submerger le spectateur qui assiste à un procès kafkaïen au cours duquel il semble être question de tout, sauf du guet. Coincé dans son siège, on aimerait pouvoir se lever et intervenir pour pouvoir apporter un peu de bon sens et d'humanité dans l'absurdité folle de ce procès que l’on croirait d’une autre époque.

Pourtant, malgré les nombreux excès de la situation, le film reste réaliste. Nul besoin pour les deux réalisateurs de dramatiser la situation à l'aide d’une musique oppressante ou de gros plans angoissants. C'est donc avec un humour grinçant et une grande sobriété dans la mise en scène que Le procès de Viviane Amsalem parvient à dénoncer un système profondément injuste. Un système faisant de la femme la de propriété de son mari, comme les esclaves étaient jadis la propriété de leurs maîtres. 

On aimerait pouvoir se dire en sortant de la salle que de tels drames ne seraient pas possibles en France. Malheureusement, des scandales récents montrent qu'au sein des tribunaux rabbiniques de France, de nombreuses juives françaises éprouvent les mêmes difficultés à obtenir le guet. Parfois même, la remise du guet devient l'objet de tractations marchandes, devenant alors une sorte de dot inversée.

L'élection du 22 juin dernier a fait de Haïm Korsia le nouveau Grand Rabbin de France. Cette élection fait suite à la démission du Grand Rabbin Gilles Bernheim après un scandale lié à une fausse agrégation et à plusieurs plagiats. Haïm Korsia, connu pour son ouverture, a promis de mettre en place un dispositif facilitant l'accès au guet pour les divorcées. Mais quel est le véritable pouvoir du Grand Rabbin de France ? Quel est son poids face aux nombreux conservatismes présent au sein du judaïsme français ? La suppression de la remise du guet par le mari semble d’ailleurs inenvisageable puisqu'elle est prévue par la Loi Juive. La marge de manœuvre du Grand Rabbin semble donc, in fine, extrêmement réduite.

On ne peut cependant que souhaiter au nouveau Grand Rabbin de France, à l'aube de son septennat, de parvenir à faire bouger les lignes sur ce sujet si important pour l'image du judaïsme français, pour la liberté des juives françaises et pour l'ensemble de la République. 

5 commentaires:

  1. Mais le Code civil n'est-il pas censé avoir la primauté sur la coutume, et être ainsi le recours normal pour ces femmes ?


    Olivier

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    1. Cher Olivier,

      Vous avez tout à fait raison. De plus en plus, la jurisprudence permet à ces femmes de faire valoir leurs droits, au nom de code civil. Toutefois, il y a plusieurs nuances à apporter à ce constat.

      1. Il ne s'agit que d'une jurisprudence. Par conséquent, la portée de cette règle juridique est faible. D'ailleurs, ce n'est que depuis peu que le juge accepte de s'immiscer dans le divorce religieux. Auparavant, il s'y refusait au nom de la laïcité.

      2. Par ailleurs, il faut bien noter que les juridictions civiles et religieuses sont sans lien. Ainsi, beaucoup de femmes juives estiment que la juridiction religieuse, même si elle lui est défavorable, a plus de légitimité à traiter son cas de divorce religieux que la juridiction civile. Les pressions familiales, sociales et religieuses vont d'ailleurs dans ce sens. Enfin, la Loi Juive précise que l'on ne peut contraindre l'ex-époux à donner le guet. Si ce dernier le rend alors qu'il y est contraint (par une juridiction civile), alors, selon la loi juive, c'est comme s'il ne l'avait pas donné.

      On voit donc que, malgré le Code Civil, le principal frein à l'émancipation conjugale des femmes juives est d'abord lié à la pratique du judaïsme en France. C'est elle qui doit évoluer.

      Voici un article qui montre que, malheureusement, le cas de Viviane Amsalem est répandu en France.

      http://www.europe1.fr/Societe/Divorce-ces-femmes-juives-enchainees-2137749/#

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    2. Cher Dylan,

      Merci pour vos précisions.
      J'ai un autre question : si toutefois les époux (ou l'un d'eux) sont athées ou non pratiquants, le guett a-t-il toujours force ?

      (je m'excuse si mes questions vous paraissent déroutantes, mais je suis un ignorant total des coutumes juives !)


      Olivier

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    3. Si les époux ne se sont pas mariés religieusement, alors le mari n'a pas de guet à donner à sa femme. Celui ne vaut que s'il y a eu mariage devant une autorité rabbinique.

      S'il y a eu mariage religieux mais que l'épouse est athée, disons que le guet n'a que la valeur qu'on lui accorde. Si elle n'accorde aucune importance à la religion, elle se fichera peut-être de ne pas récupérer son guet. Ce n'est que religieusement qu'elle ne pourra pas se remarier. Elle pourra heureusement se remarier à la mairie devant le maire.

      Mais symboliquement, le refus pour un mari d'accorder le guet à son épouse est tout aussi révoltant que l'on soit croyant ou non.

      J'espère avoir répondu à votre question.

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  2. Bonjour,

    J'aimerai preciser quant à cette procedure de guet, que le probleme principal vient en effet du fait que c'est une decision unilatérale du mari, et que c'est ce qui lui donne une force asymmmétrique dans ce procès.
    Cependant, selon la stricte loi juive, si un mari refuse de donner le guet à sa femme, il doit être battu jusqu’à ce qu"il accepte de lui donner. Donc contrairement à ce que disait Dylan, même si il y forcé, le don du guet est valable. Bien évidemment, cette habitude violente n'existe plus à notre époque, à part dans quelques communautés orthodoxes isolées.
    Cependant, si les instances religieuses ont su mettre de coté cette coutume violente d'un autre temps à notre époque, ils rechignent à regler clairement ce problème de guet qui nous semble aussi assez archaïque.
    A noter qu'en Israel et aux Etats Unis, les instances religieuses ont mis en place des contrats prénuptiaux, valables dans les tribunaux rabbiniques bien entendu, qui ont pour but d'eviter l'enlisement dans des procès de divorce ans fin. Bientot en France?

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