vendredi 11 septembre 2015

Sur les « fronts » de libération contre l’euro austérité (2/4) (billet invité)

Billet invité de l’œil de Brutus, suite du 1er papier

L’impasse d’une gauche radicale solitaire


C’est ainsi qu’en excluant à priori tout rassemblement sur sa droite, la gauche radicale non seulement s’interdit une véritable capacité de rassemblement du peuple autour d’objectifs communs mais en plus, elle efface le peuple dans une division de la souveraineté qui ne fait pas que l’altérer : elle la dissout tout aussi sûrement que les traités européens, imposés contre la volonté du peuple.

Dans un tel schéma et aux vues des institutions en place, il serait absolument naïf d’espérer une  victoire électorale massive de la gauche radicale qui la mette suffisamment en position de force, c’est-à-dire cumulant les pouvoirs exécutif et législatif, pour réaliser une sortie de l’euro « par la gauche » et sous ses seuls hospices. Cet espoir d’une gauche radicale seule aux rênes du pouvoir est tout aussi godiche que les promesses d’ « Europe sociale » de l’autre gauche (celle de droite) qui jure, croix de bois croix de fer, que l’on verra ce que l’on verra mais lorsque les gouvernements de gauche seront enfin majoritaire dans l’UE, celle-ci se préoccupera, enfin, des travailleurs[i]. A moins que la gauche de la gauche ne vive encore dans la lubie d’un Grand Soir menée par une poignée de révolutionnaires professionnels. Mais là encore, il est plus que probable que la résilience, tant des institutions que de l’attachement de la société française à la démocratie, la mènera à l’impasse. Ce constat vaut d’ailleurs, comme on le verra plus loin, tout autant pour l’extrême-droite.

Le Parti communiste – qui fut autrement plus puissant et cohérent que le conglomérat hétéroclite de socialistes déçus, de trotskistes et autres maoïstes plus ou moins repentis, d’écologistes en crise d’identité (etc.) qui forme le Front de gauche – ne parvint à peser véritablement, du haut de ses 30% du corps électoral[ii], dans la vie politique française qu’une seule fois : à la Libération, lorsqu’il consentit à l’alliance avec les gaullistes pour lancer la reconstruction de la France. Il contribua alors grandement au rétablissement de la liberté de la presse (notamment en interdisant la concentration de la presse dans les mains du grand Capital …), à la politique de nationalisation et à la mise en place de la sécurité sociale. Passé ce cap, le PCF devint la mouche du coche de la vie politique française. Mouche certes grosse, avec des centaines de milliers d’adhérents et des millions d’électeurs, et souvent bruyante (on pense aux inénarrables saillies de Georges Marchais), mais à l’efficacité réduite. Ce qui explique très probablement, au moins en partie, sa lente dégringolade qui, rappelons-le, n’attendit pas la chute du Mur[iii], et sa réduction à un vague appoint auxiliaire, le plus souvent local, d’autres forces de gauche (elles-même de moins en moins de gauche …).

Reste donc à la gauche de la gauche, d’une part, à se forger une position cohérente vis-à-vis de l’euro et des questions européennes (l’euro-béatitude n’y a pas encore disparu, loin de là) et surtout, d’autre part, à admettre une réalité crue : de par la composition sociale (une large majorité de classes moyennes) et démographique (une population âgée numériquement importante, électoralement plus mobilisée que les jeunes et par nature majoritairement réticente à donner son soutien à la gauche radicale) de la population française, elle n’est pas en condition de rallier sous son seul étendard une majorité de Français. Sauf à attendre que les politiques néolibérales achèvent de réduire les classes moyennes à l’état de lumpenprolétariat. Ce qui en prend franchement la tournure, mais d’ici là d’autres, à l’opposé du spectre, ne manqueront pas, eux, de rafler la mise.

C’est par conséquent un choix entre l’impuissance et le compromis (qui n’est pas la compromission). « Que m’importe, pourvu que la France soit libre, que mon nom soit flétri » tonnait Danton[iv]. Si Frédéric Lordon, Jean-Luc Mélenchon et consors veulent conserver leurs mains d’une blancheur  immaculée, ils n’auront pas de mains du tout. Si tenté qu’il y ait donc une réelle volonté de « renverser la table », l’alliance avec des souverainistes « de droite » n’est pas une possibilité, mais une nécessité. S’étant, pour quelques strapontins électoraux, amplement acoquiné depuis des décennies avec un parti dit « socialiste » qui a enfermé la France dans le carcan austéritaire[v], qui œuvre méthodiquement à déconstruire l’Etat-providence et à brader la souveraineté à des technocrates, la gauche de la gauche refuserait donc toute alliance avec des forces politiques qui partagent son rejet de l’austérité et sa volonté de rétablir les conditions d’exercice de la démocratie du simple fait que quelques-uns ont cru bon de qualifier ces forces comme étant « de droite » (qualificatif dont on se demande bien encore quelle peut être la signification réelle) ?! On nagerait là alors, justement, en plein « confusionisme », en pleine humeur factieuse, et ce, pour le plus grand bonheur de l’oligarchie européiste qui ne parvient à régner (ou plus exactement à poursuivre le vil service de ses maîtres financiers) que de par les multiples divisions de ses opposants !

Pour parvenir à ses objectifs majeures (ou du moins à ce que l’on pourrait supposer être : fin de l’austérité, préservation de l’Etat-providence et son apport pour les classes populaires et la tranche basse des classes moyennes, refondation d’une démocratie réelle), la gauche radicale ne pourra donc faire l’économie d’une alliance transpartisane, sauf à se considérer comme une perpétuelle force d’opposition. Cette perpétuelle opposition intellectuellement confortable, moralement rassurante mais totalement improductive (sauf pour conserver quelques postes d’élus …). Reste donc à estimer jusqu’à quel point de « la droite » peut être poussé le curseur. Cette estimation de la limite du curseur vaut d’ailleurs tant pour les forces de « la gauche de la gauche » que pour toute autre force résolument attachée à la république et à l’exercice démocratique de la souveraineté.



[i] Ce fut le cas de 1998 à 2002 sous l’ère du triumvirat Blair-Jospin-Schröder. On connaît le résultat …
[ii] Aux municipales de 1947 ; 28,2% des voix et 182 députés aux législatives de 1946. Le Front de Gauche aujourd’hui, combien de divisions ?
[iii] Aux élections présidentielles de 1981, Georges Marchais n’obtient que 15% des voix. Aux législatives de 1986, le PCF passe sous la barre des 10%. Aux présidentielles de 1988, André Lajoinie s’effondre à 6,8%.
[iv] Cité par Louis Barthou, Danton, Albin Michel, 1932, page 117.

3 commentaires:

  1. Second paragraphe : "sous ses seuls hospices", "auspices" eut été de bon aloi ^_^!

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  2. On dit et écrit "si tant est " et non pas si tenté....

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  3. Bravo pour cette mise au clair !
    Hâte de lire vos prochains billets !

    Olivier

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