samedi 27 janvier 2018

La mondialisation heureuse contre l’économie réelle : Partie II : Le mystère de l’inflation déguisée (1/3) (billet invité)

Billet invité de Marc Rameaux, qui a publié « Portrait de l’homme moderne »

Un curieux phénomène, très peu mis en avant dans la presse économique ou généraliste, est que coexistent depuis environ 2008 deux facteurs contradictoires : une injection massive de liquidités dans l’économie et une faible inflation, celle-ci demeurant à des niveaux peu élevés et ne connaissant pas même d’accroissement sur la période de 2008 à maintenant.

Les quelques économistes ayant abordé le sujet sont en désaccord sur les causes de ce phénomène étrange. L’interprétation qui est proposée ici éclaire d’un jour nouveau le fonctionnement de notre système économique et financier depuis la crise de 2008. Ce qui semble être une petite contradiction est le révélateur d’un mécanisme fondamental institué au rang d’organisation officielle, bien que non déclarée et peu visible.

Une création monétaire sans surchauffe

Depuis la crise de 2008, la Fed, relayée quelques années plus tard par la BCE, a fait appel au mécanisme de « Quantitative easing » (QE) pour relancer l’activité économique. Le levier classique des banques centrales était auparavant l’abaissement des taux d’intérêt directeurs, assouplissant les conditions de crédit. Ce moyen est complètement épuisé depuis quelques années, les taux d’intérêt ayant atteint le plancher du quasi zéro %, voire de taux négatifs sur certaines périodes.

Le QE est un moyen plus radical et simple d’élargir massivement la base des liquidités disponibles dans l’économie. Une banque centrale décide de créer de la monnaie, non par une émission physique de billets et pièces, mais par la création d’une simple ligne de crédit. Le monde financier est passé depuis longtemps d’une monnaie fiduciaire à une scripturale. A partir de ce crédit décidé ex nihilo par un jeu d’écriture, elle rachète un certain nombre d’actifs financiers à des banques d’affaires privées, actions, obligations ou produits dérivés. Ces achats massifs irriguent les banques privées de nouvelles liquidités fraîches, leur permettant d’octroyer davantage de crédits aux particuliers dans des conditions de faible taux. In fine, ce flux de crédits est censé relancer la consommation et souffler sur l’activité économique.

On le voit, le QE s’assimile vulgairement à « faire tourner la planche à billets », dans un mode plus électronisé et passant par l’intermédiaire de produits financiers plus sophistiqués. Le principe reste essentiellement le même.

Mécaniquement, une telle création monétaire doit générer de l’inflation. Nous le savons depuis les années 1930, la formation des prix n’est pas directement dépendante des coûts de production comme l’on a pu le penser, mais uniquement une fonction de la rareté de chaque bien et de l’intensité de sa demande sur le marché. Les coûts de production peuvent influer indirectement sur les prix puisqu’ils sont l’un des facteurs de rareté d’un bien, mais le prix n’exprime quantitativement que l’équilibre entre l’offre et la demande. La monnaie est une grandeur abstraite traduisant les termes de l’échange entre tous les biens disponibles sur le marché, comme si potentiellement l’on cherchait les grandeurs relatives de tous les trocs d’un bien contre un autre.

Chaque unité monétaire, un billet de banque par exemple, représente ainsi une fraction de la valeur totale des biens échangeables de l’économie, un coupon représentant un droit à acquérir, égal à la totalité de la valeur des biens disponibles divisée par la quantité de monnaie disponible. Si la base monétaire totale disponible dans l’économie est gonflée ex nihilo, chaque unité monétaire représente une valeur moindre, en tant que la valeur des biens est fractionnée en un plus grand nombre de coupons. Un billet de banque représentera moins de valeur, il en faudra plus pour acquérir le même bien : les prix montent.

Cet effet de la création monétaire est mécanique et obéit à une stricte loi de proportionnalité. Il montre également l’aspect néfaste et addictif de l’inflation pour un Etat : en cas d’endettement, il est tentant de « faire tourner la planche à billets » lorsque l’on dispose du droit de création monétaire, afin de combler sa dette à très court-terme. Ce palliatif se paie presque immédiatement d’une inflation galopante qui appauvrit l’ensemble de l’économie. Beaucoup de pays d’Amérique du sud dans les années 1970 voyaient ainsi leurs salariés dépenser presque toute leur paie dès qu’elle était touchée, parce que sa valeur fondait déjà de moitié le lendemain.

Cette inflation monétaire est à distinguer de la « bonne inflation », celle qui est un effet induit de l’activité économique. Une économie performante génère de l’activité et de la valeur et exerce de ce fait une tension sur les salaires et sur l’embauche. Les prix suivent avec une temps de retard l’accroissement salarial. Cette inflation-là est « saine », comme celle d’une machine qui a besoin de chauffer par dissipation thermique lorsqu’elle fonctionne à un régime supérieur.

Le QE aurait dû engendrer ces deux types d’inflation. Celle de la création monétaire, du fait de la valeur de référence représentée par la monnaie. Et celle de la reprise d’activité, si l’effet de transmission du crédit des banques centrales aux banques privées puis aux entreprises et aux particuliers était au rendez-vous. Le pari des banques centrales était au passage que la bonne inflation serait prépondérante sur la mauvaise, spéculation qui faisait peser un risque à toute la société à partir d’une décision prise en cercle totalement fermé.

Or, aucun de ces deux phénomènes n’advint, celui de la bonne inflation due à l’activité comme celui de la mauvaise du gonflement monétaire. Les indices des prix à la consommation croissent peu et ceci depuis des années :


Les chiffres de 2017 et 2018 sont prévisionnels. Source : Recherche économique / Natixis Asset Management


Quelle est la raison de ce mystère ? Deux documents vont nous aider à trouver une réponse de premier niveau, sur l’explication immédiate de ce phénomène.

(suite lundi)

7 commentaires:

  1. La faiblesse de l’inflation malgré les politiques monétaires expansionnistes a plusieurs explications :
    - la mondialisation, la concurrence, le chômage élevé et les réformes néolibérales du code du travail conduisent à une perte de négociation des salariés et à une baisse ou une stagnation des salaires ;
    - les liquidités créées par les banques centrales tombent donc dans ce que Keynes appelait « la trappe à liquidités. »
    - les pays occidentaux connaissent une faible démographie, des gains de productivité faibles et une croissance potentielle faible ;
    - de ce fait, l’inflation se concentre sur les marchés financiers et/ou immobiliers et engendre des bulles qui provoquent ensuite des crises financières.
    Il faudrait donc relancer le pouvoir d’achat et la demande mais c’est contradictoire avec un monde où la concurrence et le dumping sont devenus des armes pour gagner des parts de marché.
    C’est donc notre modèle qu’il faut revoir, mais ce n’est pas à l’ordre du jour.

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  2. La trappe à liquidités me semble la meilleure explication. On a donné beaucoup d'argent à ceux qui n'avaient pas faim.

    Au lieu de commander plus à manger, ce qui aurait relancé l'activité, les salaires et les prix, ils ont placé l'argent sur les marchés financiers internationaux, ou dans le meilleur des cas ils le laissent dormir.

    Ils n'investiront pas dans l'économie française et n'embaucheront pas non plus tant que la demande ne repartira pas. Et elle ne repartira pas tant qu'on ne donnera pas aux plus démunis ni aux classes moyennes.

    Il ne sert à rien de donner encore plus aux riches pour qu'ils investissent, car ils n'investissent que quand la demande le justifie, c'est-à-dire quand on donne aux pauvres et pas aux riches.

    Pourquoi se fatiguer à investir et embaucher quand on peut s'enrichir sans rien faire, grâce aux cadeaux du gouvernement ? L'aggravation des inégalités est incompatible avec toute politique sérieuse de relance et de lutte contre le chômage.

    Ivan

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  3. N'oublions pas que les banques centrales (FED BCE ou BoE) ont besoin de dettes d'états pour emettre de la monnaie. Le QE de la BCE s'est fait sur le rachat de dettes "souveraines" qui sont remontées des marchés "privés" vers le bilan de BCE Ensuite, les réserves fractionnaires font le reste pour créer des "bulles" qui captent l'inflation... jusqu'à la crise !

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    1. « N'oublions pas que les banques centrales (FED BCE ou BoE) ont besoin de dettes d'états pour emettre de la monnaie. » Non, pas forcément. Il peut y avoir différents types de QE, y compris l’helicopter money qui consiste à créer de l’argent pour le distribuer directement aux citoyens.

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    2. Je ne pense pas qu'une banque centrale puisse créer de la monnaie sans que cette création soit "équilibrée" par une dette. Je ne vois pas comment elle pourrait rentrer cala dans son bilan. La "monnaie hélicoptère" de Fredman supposait que le Tresor US emette des bons en contrepartie A vérifier dans le Federal Reserve Act

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    3. Le QE ne porte pas seulement sur des titres publics, il y a aussi des titres privés.

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    4. « Je ne pense pas qu'une banque centrale puisse créer de la monnaie sans que cette création soit "équilibrée" par une dette. Je ne vois pas comment elle pourrait rentrer ca dans son bilan. »

      Ce serait une perte qui viendrait soit en déduction de ses capitaux propres, soit qui pourrait s’inscrire à l’actif en charges différées avec l’idée de résorber cette perte plus tard. On peut imaginer d’autres techniques, mais c’est juste une question comptable qui peut se régler par un jeu d’écritures puisque, de toutes façons, la BCE, contrairement à une banque commerciale, ne peut faire faillite. Sa seule limite, c’est la confiance des agents économiques dans l’euro.

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