samedi 16 novembre 2019

Sapir définit les fondements de la souveraineté (3/3) : la laïcité nous chérirons


« Souveraineté, démocratie, laïcité » est très ambitieux. Outre l’approfondissement de son analyse de la remise en cause de la démocratie par la négation de la souveraineté des nations, son propos, conçu peu après les attentats, est plus global. Comme Généreux dans « La dissociété », il fait le lien entre toutes les dimensions, politiques, économiques et sociétales, en montrant que les attaques contre la laïcité en France participe aussi à la remise en cause de notre souveraineté.




La laïcité comme fondement de notre société



Sapir pointe une conséquence pas toujours vue de la remise en cause de la souveraineté nationale : « il ne faut pas s’étonner de la dissolution des sociétés dans ce cadre, car ce qui fait société est en réalité nié (…) Une communauté qui ne pourrait prendre, du fait de traités, que des décisions sans importance sur la vie de ses membres ne serait pas moins asservie que celle se trouvant effectivement sous la botte d’une puissance étrangère ». Pour lui, « lorsque l’on porte atteinte à la souveraineté du peuple et que l’on met à bas ce que des siècles ont construit, on ne peut guère s’étonner de replonger dans un passé des plus obscurs, celui du fanatisme religieux comme celui de l’ethnie et de la tribu (…) la mise en cause, sournoise ou directe, de la souveraineté du peuple ouvre ainsi toute grande la porte à sa dissolution et à sa reconstitution sous la forme de communautés, qu’elles soient religieuse ou ethniques ».


Nous rentrons alors dans un cercle vicieux puisque « nous obliger à nous définir selon des croyances religieuses ou des signes d’appartenance aboutit à briser le peuple (…) Les jeunes issus de l’immigration ne peuvent pas s’intégrer car ils ne savent pas à quoi s’intégrer ». Pour lui, c’est donc la globalisation qui « produit, de manière naturelle et permanente, la montée des fondamentalismes religieux ». Il cite Laurent Bouvet pour qui « l’insécurité culturelle, combinée à l’insécurité sociale, produit le ‘malaise identitaire’ ». Prenant un recul révélateur, il dénonce le danger religieux car « le conflit inter-religieux met en jeu des fins qui dépassent l’echelle humaine (…) Une finalité extrême peut engendrer une barbarie extrême (…) Les croyances religieuses doivent être bannies de la sphère publique et renvoyées à celle du privé. Ceci implique une séparation des espaces publics et privés ».



Citant « La dissociété » de Généreux,  il souligne que l’ultralibéralisme individualiste ronge le lien social : « le lien social peut opprimer tout autant que libérer. Il est seulement possible d’affirmer que l’on ne saurait vivre sans lien social (…) Les crispations autour des tabous alimentaires et vestimentaires, sur les signes extérieurs, comme la question du voile chez les musulmans, ont avant tout pour but d’identifier brutalement une communauté, de la séparer du reste de la population et de l’enfermer dans le cadre de références mythifiées pour le grand profit de quelques-uns (…) L’intégration est un processus d’assimilation des règles et coutumes, qui est en partie conscient – on fait l’effort d’apprendre la langue et l’histoire de la société dans laquelle on veut s’intégrer - mais qui est également inconscient. Pour que ce mécanisme inconscient puisse se mettre en branle encore faut-il qu’il y ait un référent. La disparition ou l’effacement de ce dernier au nom du multiculturalisme qui ne désigne en fait que la tolérance à des pratiques très différentes est un obstacle rédhibitoire à l’intégration », réflexion que ne renierait pas Malika Sorel.



Pour Sapir, la laïcité est « la reconnaissance de la distinction nécessaire entre sphère publique et sphère privée, et reconnaissance de l’obligation de chacun à considérer que la religion fait uniquement partie de la sphère privée. Cette double distinction est impérative si l’on veut que puisse se constituer un bien commun qui soit la propriété de tous et donc de chacun (…) (La laïcité est) une forme d’organisation où la conviction personnelle se plie à l’existence de la Res Publica, de choses communes qui nécessitent et impliquent un travail en commun (…) la reconnaissance qu’il existe des principes et des causes qui dépassent les individus et les choix individuels ». Ainsi, « en retranchant de l’espace public les questions de foi, on permet au contraire au débat de se constituer et de s’approfondir sur d’autres sujets ».



Pour Sapir « l’hétérogénéité sociale ex-ante fixe donc comme objectif à l’ordre démocratique la construction d’une homogénéité politique ex-post, et ce dans des sociétés d’intérêts contraires. C’est pour cela que l’ordre démocratique est contradictoire au multiculturalisme, en ceci que ce dernier institue et reproduit des communautés séparées à l’intérieur de la communauté politique de référence ». Mais parce qu’un ordre démocratique fonctionnel permet au peuple d’agir à sa guise, « en réalité, l’ordre démocratique dérange toujours les possédants et les dominants par la radicalité de ses implications ». Ceux-ci préfèrent la seule logique du marché, qui repose sur « le contrat (qui) ne fait pas société ». Cela produit une « dépolitisation totale ». Il dénonce « la fétichisation de l’état de droit » et « le légalisme comme un système total, imperméable à toute contestation ». Dérive révélatrice, il rappelle que l’Etat est aujourd’hui contesté par les grandes entreprises, avec les mécanismes juridiques des traités commerciaux.



De manière classique, Sapir voit une alliance idéologique anti-étatiste de fait entre la droite ultralibérale et la « gauche » dite libertaire, les deux se réfugiant dans des pseudo lois de la nature économique, une construction religieuse habillée des vêtements d’une pseudo-Raison, parfaitement incarnée par Emmanuel Macron, non évoqué dans ce livre publié début 2016. Il dénonce des « constructions métaphysiques » et rappelle que TINA « porte en lui la négation de la démocratie ». Il fait une citation lumineuse de Perry Anderson : « une mise à distance de toute forme de contrôle démocratique et de responsabilité devant les peuples est un principe constitutif du réseau complexe d’agences technocratiques et autres collèges d’experts qui forme la colonne vertébrale des institutions de l’UE. Ce qu’on a appelé par euphémisme le ‘déficit démocratique’ est en fait un déni de démocratie ».



Merci Jacques Sapir pour ce remarquable ouvrage, pilier de la pensée souverainiste, qui a l’immense mérite de montrer tous les liens qui existent entre les différents aspects de l’évolution politique, économique et sociétale de nos sociétés. C’est un vrai classique, dont les analyses sont confirmées par tout ce qui s’est passé depuis, rendant sa lecture pas moins actuelle qu’à sa sortie.



Source : « Souveraineté, démocratie, laïcité », Jacques Sapir, Michalon

1 commentaire:

  1. Très bonne recension de ce livre de Sapir que j'ai lu dès sa sortie il y a trois ans, dont l'intérêt va rester longtemps actuel. A recommander à tous ceux qui suivent ce blog.

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