samedi 9 mai 2020

Qui doit payer la fermeture des commerces ?

Autant est régulièrement évoquée la situation difficile des commerçants contraints de fermer du fait de l’épidémie, et notamment les restaurateurs, autant la question de la juste répartition du coût de cette fermeture se fait beaucoup plus discrète. Pourtant, les implications économiques sont beaucoup trop importantes pour la laisser au libre-arbitre des différents acteurs.




L’État, le commerçant, le bailleur, les banques et les assurances



La question est sensible mais elle mérite d’être posée tant la situation que nous vivons depuis la mi-mars a fait entrer notre économie dans un territoire inconnu. Imposer la fermeture du jour au lendemain à la majeure partie des commerces pour une longue durée revient à déclencher une bombe à retardement pour les commerçants. Bien sûr, la décision avait probablement du sens du point de vue de la santé publique, en l’absence de tests ou de moyens de protection, tant nous aurions pris le risque d’une accélération de la propagation de l’épidémie. Malgré tout, on pourra toujours se demander si l’ouverture de certaines grandes surfaces avait du sens du fait des flux qu’elles génèrent, par rapport à des petits commerces générant des flux de clients limités. Gageons qu’une étude le montrera.


Abstraction faite du niveau de dangerosité réelle des différents types de commerce, se pose la question fondamentale de la répartition du coût de leur fermeture. Tout faire porter par le commerçant est évidement hors de question. Ce serait aussi injuste que dangereux tant cela en plongerait dans la faillite, provoquant une destruction massive d’emplois digne de la Grande Dépression. Cela est particulièrement vrai pour les commerces qui ne pourront pas rouvrir le 11 mai. Et plus généralement, il faudrait sans doute prendre en considération les conséquences directes (le chiffre d’affaires perdu) et indirectes (renforcement de la concurrence digitale, stock perdu, temps pour relancer).



De façon légitime puisqu’il a décidé la fermeture, l’État apporte déjà sa contribution de plusieurs manières. D’abord, par le dispositif de chômage partiel, qui permet de ne pas avoir à se séparer de ses salariés, même si c’est à l’entreprise de faire l’avance de trésorerie avant de se faire rembourser. Diverses mesures de report ou exonération de cotisations sociales ou des prêts pour renforcer la trésorerie des entreprises complètent, sans doute imparfaitement, la panoplie. Mais se pose également la question des autres parties-prenantes clés des commerçants : les bailleurs, les banques et les assureurs notamment. En effet, si l’Etat doit jouer un rôle majeur, il ne doit pas être le seul.



Les bailleurs doivent logiquement être mis à contribution car il ne serait pas juste qu’ils touchent leur loyer comme si de rien n’était, comme Dominique Seux, des Echos, l’indiquait mi-avril, même si je ne suis pas très souvent d’accord avec lui. De même pour les banquiers. Cela est d’autant plus vrai que les conséquences d’une telle mise à contribution, seront probablement moins lourdes que pour les commerçants obligés de totalement fermer boutique. Et ils auraient sans doute bien plus à perdre en cas de faillite des commerçants. Enfin, il paraît légitime que les assurances soient également mises à contribution : on ne peut pas toucher des primes d’assurance et échapper aux différents risques.



Dès la fermeture mi-mars, les commerçants ont exprimé leur détresse. Mi-avril, le ministre de l’économie s’est contenté d’un appel aux bailleurs pour que les TPE ne paient pas trois mois de loyer, se contentant de préconiser des négociations de gré à gré pour les autres. Mais de gré à gré, ce sont les seuls rapports de force qui joueront, ce qui favorisera la loi du plus fort. Au final, le risque est que ce soit les grandes chaines qui parviennent, par leur position de force, à obtenir le plus des bailleurs, quand les commerçants indépendants auraient des conditions bien moins favorables. Natacha Polony avait bien raison de dire que « ce sont toujours les petits qu’on laisse mourir »…



Ici encore, l’Etat a failli. Fermer les commerces imposait de définir rapidement un cadre solide pour définir le partage du coût de la fermeture, différencié  par type de commerce et partie-prenante, un cadre unique conduisant sans doute à des injustices. Cela aurait du être fait fin mars au plus tard. Mais encore une fois, l’exécutif s’en remet à la loi de la jungle plutôt que de définir un véritable intérêt général.

9 commentaires:

  1. "Malgré tout, on pourra toujours se demander si l’ouverture de certaines grandes surfaces avait du sens du fait des flux qu’elles génèrent, par rapport à des petits commerces générant des flux de clients limités. Gageons qu’une étude le montrera."

    Je vois mal comment prendre un repas dans restaurant avec un masque sur nez et la bouche pendant 30 à 60 minutes. En grande surface, il possible de porter un masque et on y reste pas 1 heure, de même chez le traiteur et l'épicier à côté de chez moi qui n'ont pas fermé et où je fais mes courses, ils portent un masque et ont un écran transparent.

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    1. Il aurait été possible plus tôt d'autoriser et d'aider la vente à emporter comme si sont finalement mis certains restaurants italiens par exemple.

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    2. Où avez vous vu que la vente à emporter était interdite ?

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  2. Personnellement, je ne critique aucune des mesures de confinement.
    Trop facile, de critiquer a posteriori une situation inédite.
    Le gouvernement (quel qu’il soit) s'appuie sur les administrations existantes qui sont "au front" et c'est finalement elles qui téléguide le gouvernement sur les 3/4 des décisions. Un autre gouvernement ferait la même chose.

    Par contre, qui va payer la facture ?, c'est une autre histoire.

    Le premier mouvement du gouvernement a été de passer une loi en express pour supprimer les congés payés ! limité a 6 jours par le sénat à la dernière seconde.
    Face à la bronca, notre super ministre des finances a "demandé" (supplié ?) aux grands groupes de limiter leurs dividendes...ce qu'ils ne feront pas...

    Cette crise ne va rien changer.
    Les perdants vont perdre encore plus.
    Les gagnant vont continuer à gagner en enfonçant toujours plus leur "concitoyens" (décidément ce terme se vide de son sens...).

    Brefs, tous les ingrédients d'une méga crise dans les années qui viennent...ou pas.
    Les Français (ou ce qu'il en reste) démontrent jours après jours qu'ils sont incapable de former une alternative politique au néolibéralisme, et acceptent l'effondrement de leur niveau de vie sens rien faire...

    Ils pourraient se réveiller, mais pour l'instant on dirait qu'ils n'ont pas assez souffert.

    Et surtout il n'y a aucun leader de cette résignation/colère à l'horizon, pour porter un mouvement capable de faire 51% des voix a un second tour.

    Ça va pas être drôle dans les prochain mois.
    On est parti pour subir le sort des Grecs en 2011.

    Laurent MICHEL

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    1. Laurent MICHEL, je ne suis pas d'accord avec le début de votre propos. En gros, le caractère inédit de la situation rendrait toute critique hors de propos. C'est vite oublier que d'autres gouvernements, dans d'autres pays, ont fait bien mieux, alors que la situation était aussi inédite pour eux. La communication calamiteuse, sinon criminelle du gouvernement (sur les masques, par exemple) ne peut pas davantage être excusée par le caractère inédit de la situation. Là aussi, on dispose d'éléments de comparaisons internationaux. Si Bolsonaro et Trump n'ont pas mieux fait que Macron, je ne dirais pas la même chose de Merkel, par exemple.

      L'idée que le gouvernement s'appuie sur des administrations qui, en définitive, "téléguident" son action, me semble encore plus contestable. Le 12 au matin, le ministre de l'Education nationale proclame devant des journalistes qu'il n'a jamais été envisagé de fermer les établissement scolaires, sauf cas particuliers, car ce serait "contre-productif". Le soir même, il est contredit de manière cinglante par le président de la République, ce qui atteste d'une totale absence de coordination au sommet de l'État, mais certainement pas d'un téléguidage des décisions gouvernementales par l'administration de l'Éducation nationale. Pour en rester sur cet exemple, par la suite, cette administration a été constamment à la remorque des initiatives présidentielles, au point que de hauts responsables du ministère ont fini par avouer aux syndicalistes qu'ils recevaient que les annonces présidentielles (la réouverture à partir du 11 mai) leur coupaient l'herbe sous le pied et ne correspondaient en rien à leurs hypothèses de travail. On est bien là dans un rapport de stricte subordination où des administrations aux ordres tentent tant bien que mal de mettre en œuvre sur le terrain des injonctions politiques régulièrement réajustées. Les syndicats enseignants ont fait savoir leur hostilité à la réouverture des établissements scolaires le 11. Les chefs d'établissement ont exprimé leur scepticisme. Les autorités sanitaires ont communiqué leurs craintes. Rien n'y a fait. L'ordre vient de l'Élysée, sur demande du patronat, et l'administration de l'Éducation nationale va devoir s'y plier comme elle peut. On est très loin d'un téléguidage par ceux qui sont au front, pour reprendre votre image. C'est exactement le contraire : les administrations subissent et tentent de s'adapter comme elle peuvent à des ordres qui prennent rarement en compte les réalités du terrain, le zèle imbécile de quelques hiérarques zélés désireux d'être bien vus n'arrangeant rien.

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  3. @ Anonyme

    En effet, dans un bar ou un restaurant, le port du masque n’est pas permanent. Mais, à une place fixe, avec les bonnes distances, les bons gestes de part et d’autres, le risque est-il si grand ? De même, quel est le véritable risque des très grandes surfaces où des milliers de personnes passent par jour, même avec les bons gestes, si seulement 1% des personnes ne les font pas ?

    @ Laurent Michel

    Je n’arrive pas à avoir une opinion complètement tranchée sur le confinement. Mais notre forte mortalité tout en ayant un confinement long et dur me semblent démontrer un vrai dysfonctionnement. Le confinement a sans doute été le moyen de rattraper les autres erreurs.

    Bien d’accord sur le reste. Ceux qui le paieront seront les petits. Ce ne seront sans doute pas les grandes chaines commerciales qui feront faillite, mais bien plus les petits commerçants…

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  4. "Mais, à une place fixe, avec les bonnes distances"

    Quel est la bonne distance si quelqu'un éternue sans masque, les aérosols iront se répartir bien plus que 2 mètres.

    " risque des très grandes surfaces où des milliers de personnes passent par jour, même avec les bons gestes, si seulement 1% des personnes ne les font pas"

    Avec un masque, plus les bons gestes en faisant rapidement ses courses, en payant à une caisse automatique avec CB sans contact, ça limite sérieusement les risques. Le Casino où je vais, il n'y a plus de caissières, ils ont installé des caisses automatiques toutes neuves. Les 1 % sans masques s'entre contamineront contrairement aux autres.

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  5. Bon billet sur un vrai sujet qui n'est abordé par personne d'autre à ma connaissance. L'injustice, pour rester poli, envers les petits commerces, ceux des marchés en plein air par exemple, est totale.
    La nécessité et l'intérêt sanitaire du confinement sont une autre question.

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  6. Excellent article !
    Il faudrait songer à l'exemple du Danemark, qui exclut des aides les sociétés multinatioales qui ont leur siège hors Danemark. Et pourquoi aussi ne pas faire payer ceux qui se sont gavés pedant le cofinement, les grandes surfaces ?
    Les mesures leur ont été tellement favorables qu'on a le droit de se poser la question de la corruption et du favoritisme. Il faudra, un jour, juger les acteurs de la macronie. Ils se sont votés une amnistie ? Faisons un tribunal populaire !

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