jeudi 21 juin 2012

L’euro est responsable de la crise de la zone euro


C’est un des combats sémantiques des deux dernières années. Les néolibéraux européistes avaient réussi brièvement à faire parler d’une crise des dettes souveraines avant que la réalité ne finisse à nouveau par s’imposer à tous : il s’agit d’une crise de la zone euro et donc de l’euro.

Une mystification qui tombe

En 2010, quand les premières crises ont commencé, on parlait bien d’une crise de la zone euro puisque seuls les pays de l’Union Economique et Monétaire étaient concernés. Les énormes déséquilibres (déficits commerciaux du fait de la divergence des coûts de production) accumulés depuis des années et camouflés par des taux d’intérêt similaires avaient fini par apparaître avec la grande crise financière déclenchée en 2008, qui a provoqué la divergence des taux d’intérêt.

Le fait que la crise débute en Grèce a donné quelques arguments aux néolibéraux qui voulaient profiter de la crise pour avancer leur agenda en parlant de « crise des dettes souveraines » au lieu de crise de la zone euro. Mais rapidement, la situation est devenue plus complexe car l’Espagne et l’Irlande étaient les pays les moins endettés de la zone euro en 2007, avec seulement 40% du PIB de dette. Du coup, il devenait impropre de parler de crise des dettes souveraines.

Mais cela n’a pas empêché certains commentateurs de mélanger les excès du secteur immobilier (privé) avec certains excès de dépenses publiques bien que cela n’ait rien eu à voir. Pire, au contraire, la crise qui touche l’Espagne démontre justement toutes les carences de la monnaie unique car on peut très largement attribuer la bulle immobilière ibérique au passage à l’euro, qui a imposé un argent trop bon marché, sans possibilité pour le gouvernement de faire grand chose.

Comment l’euro provoque la crise


Par-delà le rôle de la monnaie unique dans les bulles immobilières irlandaise et espagnole (en ne permettant pas à ses pays d’ajuster leurs taux d’intérêt au gonflement de la bulle), l’euro a plusieurs effets qui amplifient la crise. Tout d’abord, l’euro est trop cher, pénalisant les exportateurs et poussant aux délocalisations, sauf en Allemagne. Le creusement des déficits commerciaux explique une bonne partie de l’atonie économique du continent européen depuis 2002.

Ensuite, l’euro pousse à une course mortifère aux salaires les plus faibles puisqu’il n’y a pas possibilité d’ajuster une hausse plus rapide des coûts salariaux par des dévaluations. Résultat, une immense pression à la baisse des salaires se fait jour, ce qui pèse sur la croissance, qui repose aussi sur la croissance du pouvoir d’achat. Plus globalement, les politiques d’austérité (et le refus de la monétisation) accentuent la crise, comme le soulignent de nombreux économistes.

Le dernier point est encore plus structurel, à savoir que l’euro apparaît comme une construction fragile, pouvant être déconstruite. Du coup, les marchés demandent une prime de risque pour le cas où l’euro serait démonté. Et c’est normal car il suffit d’un vote pour remettre en cause la participation d’un pays à l’euro. Cette incertitude condamne l’euro à l’avance car elle ne pourra jamais être levée après cette crise, chose qui n’existerait pas à l’échelle des Etats-Unis ou d’un pays.

Bref, non seulement l’euro ne nous protège pas mais il est bien responsable en bonne partie de la crise que nous traversons aujourd’hui. Et par sa construction même, il restera toujours friable dans les démocraties dans lequelles nous vivons, ce qui condamne cette expérience, à plus ou moins brève échéance.

14 commentaires:

  1. Bonjour,

    J'invite Laurent Pinsolle, et André-Jacques Holbecq à venir critiquer ces 4 documents, et en particulier les 3 et 4. Oui, critiquer pour les améliorer encore.

    http://www.citoyen-lambda.fr/monnaie-mdcf.html

    Amicalement,

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    1. Bonjour

      Vous savez depuis longtemps que nous sommes quasi d'accord (sauf sur un petit point concernant la rémunération de l'épargne), mais je vais relire avec plaisir.
      Je pense que nous pouvons dire que nous sommes d'accord sur le fait que c'est bien la Banque Centrale qui doit émettre la monnaie et qu''il est illégitime que les banques commerciales aient ce droit en demandant des intérêts pour ce faire (et encore plus lorsqu'il s'agit de prêter à l'Etat qui devrait pouvoir émettre la monnaie dont il a besoin dans des limites que l'on peut chiffrer à 4 ou 5% du PIB par an)

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    2. je précise tout de suite, je ne suis pas économiste, très loin s'en faut. par contre certaines choses m'interpellent autant d'un point de vue moral que logique...

      "J'aimerais que tous les lecteurs comprennent que les banques créent de la monnaie lorsqu'elles accordent des prêts (mais qu'elles détruisent lorsque ces prêts sont remboursés)"

      Sur le principe d'anticiper la création de valeur par une ligne comptable, ok, pourquoi pas.

      mais alors (si j'ai bien compris ce point) s'il s'agit quasiment d'une "prévision de création de valeur" et non un prêt d'argent épargné, dont la valeur est réelle, déjà créee par un travail... alors je ne vois pas en quoi des "intérêts" seraient légitimes ?
      Pour moi ils le seraient dans le cas d'un prêt "réel", mais pas dans le cas d'un prêt "virtuel".

      Demander des intérêts sur le prêt d'un truc qu'on a pas, ça parait quand même particulièrement gonflé ...

      De plus, si les intérêts correspondent a un coût de fonctionnement bancaire, alors je ne vois pas pour quelle raison ces coûts, et donc les intérêts, ne seraient pas fixes ?

      Quand je vois les news sur les emprunts d'état, il me parait a première vue ridicule d'augmenter ces intérêts au fur et a mesure que l'emprunteur a de moins en moins les moyens de rembourser ... ainsi en focalisant son raisonnement sur le risque, le prêteur agit comme un automobiliste qui se focalise tellement sur un obstacle qu'il fonce dessus ...

      Si le but de la manoeuvre est d'accélérer le remboursement, alors la dette devrait être considérée comme remboursée bien avant le remboursement intégral de la dette+intérêt ... sauf que rien ne distingue, a priori, dans l'intitulé des "intérêts" le facteur "accélération du remboursement" du facteur "remboursement+intérêt légitime"...

      Ainsi, je pense qu'en niant le fait qu'un intérêt soit légitimable "moralement", il y a quelque chose qui coince fondamentalement dans la structure du crédit, non ?

      oui, je sais, je mèle morale et économie, mais parce que je pense que les deux sont liés et indissociables, et que prétendre le contraire peut poser de gros problèmes de société ... (l'économie autonome j'y crois pas trop...)

      Age

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    3. En fait Arthur Messier considère qu'il est légitime (ce qui n'a rien à voir avec "légal") que les structures privées créent la monnaie dont le peuple a besoin pour ses échanges économiques, création pour laquelle elles demandent des intérêts que je juge également illégitimes.

      Mais encore on pourrait comprendre que les banques (privées commerciales) créent cette monnaie pour l'utilisation du privé (entreprises et ménages), mais il me semble difficile de justifier la légitimité de cette création privée et payante pour une utilisation collective, considérant que le souverain est le Peuple.

      En conséquence les besoins collectifs DOIVENT être financés par création monétaire collective (Banque de France) et non par création monétaire privée!

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  2. "Euro-austérité", bien sûr. Il faudrait aussi peut-être parler d' "euro-régression" à défaut d' "euro-récession" pas encore tout à fait généralisée.

    Emmanuel B.

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    1. et pour que cela passe nous pouvons dire eurosterité euregression et eurecession

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  3. Il n'y a pas que la Grèce qui peut couler l'euro! Ce sera une conjonction de pays gravement mis en difficulté par l'euro et plus certainement la prochaine banqueroute espagnole.

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  4. Vos analyses, Laurent, mettent bien en évidence la dimension strictement économique du problème. Mais le souci obsessionnel de sauver l’euro à tout prix nous pousse aussi vers ce qu’on pourrait appeler un « fédéralisme de catastrophe » : construire une Europe fédérale, non en fonction des avantages politiques et économiques que les Européens pourraient en retirer (plus de prospérité, de justice sociale, de sécurité, de démocratie…), mais dans le but unique, érigé en « ultima ratio » de la politique européenne, de garder la monnaie unique. Ce souci est devenu un but en soi, détaché de toute réflexion rationnelle sur les intérêts concrets des peuples, comme si les européistes avaient pris conscience que toute la légitimité et la crédibilité de l’entreprise européenne depuis Maastricht seraient susceptible d’être remises en cause dans l’hypothèse d’un éclatement de l’eurozone.

    L’euro est devenu le symbole et l’instrument de l’Europe en marche vers quelque chose que Vladimir Boukovsky n’avait peut-être pas entièrement tort de comparer à l’Union soviétique, sous la direction de quelques comités d’experts, semblables à ceux que la Troïka a dépêchés pour administrer la Grèce mise sous tutelle. Il est l’incarnation du dépassement fantasmatique de l’État-nation dans le cadre d’une forme moderne, technocratique, du despotisme éclairé (lequel, comme on le sait, est si souvent aveugle…).

    Nous sommes ici renvoyés inévitablement aux analyses de Pierre Manent sur le lien entre utopie européiste, crise de la souveraineté, crise de la démocratie. Ou, de manière plus abrupte, à la réalité crue constatée par Panagiotis Grigoriou sur la ligne de front qu’est devenue sa patrie, la Grèce : « Le monde n’est que rapport de force, c’est ainsi qu’il fonctionne. Il faut juste savoir que nous, Grecs, vivons dans un pays occupé. Et non je ne suis pas gauchiste mais métagauche. La gauche, la droite, ce n’est pas le problème. La seule chose qui compte c’est de retrouver la souveraineté des nations. Le reste n’est que du vent. » (http://www.okeanews.fr/un-pays-bizarroide-qui-devient-totalitaire-ce-nest-pas-tenable-panagiotis-grigoriou-et-rret-sur-images/).

    Je trouve cette formule spontanée d’un Grec extraordinairement gaulliste. Le lendemain des législatives grecques du 17 juin, c’était un 18 juin… Quelle symbole ! Et pourtant quelle tristesse !

    YPB

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    1. Très juste la notion de "fédéralisme de catastrophe".

      Nous sommes à un moment où l'histoire hésite. Beaucoup de gens me semblaient évoquer le fédéralisme sans trop y croire, de manière parfaitement incantatoire, mais l'effet de masse commence à devenir effrayant.

      Emmanuel B.

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  5. Jacques Sapir publie aujourd'hui un article important
    "Voici le texte définitif de ma note sur la situation de l'Euro, devenue depuis un document de travail officiel de la FMSH.

    Il peut être par ailleurs téléchargé à l'adresse:
    http://halshs.archives-ouvertes.fr/FMSH-WP/halshs-00710375"

    On y lit quelques lignes qui m'ont fait froid dans le dos et confirment ce que nous disons depuis plusieurs années:

    " Leçon 14 : Si l’on veut faire appliquer dans toute leur rigueur et dans toutes leurs conséquences les politiques censées « sauver l’Euro », alors il faudra, de gré ou de force, retirer le pouvoir et la souveraineté des mains du peuple. Il faudra mettre en place une dictature technocratique dans ces pays et, cette logique est inévitable, cette dictature étant sourde aux intérêts différents et divergents qui naturellement existent, il faudra immanquablement que cette dictature se transforme en Tyrannie.
    La logique du « saut fédéral », au-delà de toutes ses ambiguïtés et ses contradictions porte en elle « telle la nuée l’orage » ce danger immense."

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  6. @ Tous,

    J'ai supprimé tous les commentaires de Tythan, dont certains étaient totalement déplacés. Et comme je l'avais déjà averti qu'il dépassait les bornes, je lui ai signifié qu'il était désormais interdit de commentaires sur le blog en réaction aux propos d'André-Jacques qui a trop longtemps subi des commentaires bien trop agressifs par rapport au ton que je souhaite avoir sur ce forum.

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  7. @Laurent Pinsolle
    [HS]Une fois n'est pas coutume, je poste ici un commentaire hors sujet, ne sachant pas où poster. D'après l'excellent blog de Laurent de Boissieu http://www.ipolitique.fr/ - voir son article du 20/06/2012 :
    Roger Karoutchi a annoncé en mai dernier la création d'un "courant gaulliste social" au sein de l'UMP, qui a pris le 18 juin dernier - les gaullistes ont le sens du symbole - le titre de Rassemblement Gaulliste.

    Cette initiative ne mérite t-elle pas une réaction de la part de DLR ? Si les fondateurs du Rassemblement Gaulliste sont sincères, pourquoi ne pas avoir démissionné de l'UMP pour rejoindre DLR ? [fin-HS]

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  8. @ Santufayan

    Difficile de réagir. Si on critique, cela est mesquin. Si on soutient, c'est naïf étant données les politiques que M Karoutchi a soutenues. Attendons de voir. Je ne suis pas sûr que ce rassemblement ait une grande ampleur.

    Il y a aussi le précédent du Chêne qui a soutenu le retour de la France dans le commandement militaire de l'OTAN pour un plat de lentilles.

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  9. Un article intéressant de l’économiste britannique Simon Wren-Lewis, professeur à Oxford, insiste sur la responsabilité première des pays du coeur de la zone euro (Allemagne, France) dans les difficultés que l’analyse néolibérale attribue au laxisme fiscal des pays de la périphérie (Irlande, Grèce, Espagne, Portugal). Il explique notamment l’erreur fondamentale qui a conduit à se focaliser sur la question de la réduction des déficits publics plutôt que sur la question de la capacité à répondre à des chocs asymétriques (notamment par des politiques fiscales contracycliques) par un refus d’ordre idéologique de penser les réalités macroéconomiques en termes keynesiens.
    « […] I suspect countercyclical fiscal policy was also ignored because many in the Core just did not believe in the kind of Keynesian world in which the policy worked. In that sense, we were seeing the forerunner to a belief in expansionary austerity. To put this in simple terms, the view was that any demand and competitiveness imbalances would be quickly self-correcting, as uncompetitive countries would lose exports, output would fall and inflation would decline. The Keynesian view that this self-correction might be slow, costly and painful, and that fiscal policy could reduce those costs and pain, was discounted. »
    Simon Wren-Lewis, « The Euro: an alternative moral tale », 1er juin 2012
    [http://mainlymacro.blogspot.co.uk/2012/06/euro-alternative-moral-tale.html]

    Pour une analyse plus générale des biais idéologiques de la réflexion économique néolibérale, sans lesquels on ne peut entièrement comprendre les problèmes actuels de la zone euro, voir du même auteur, « Mistakes and Ideology in Macroeconomics », 9 janvier 2012 [http://mainlymacro.blogspot.fr/2012/01/mistakes-and-ideology-in-macroeconomics.html]

    YPB

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