jeudi 2 mai 2013

Cette révoltante augmentation des inégalités qui continue


La croissance des inégalités est une caractéristique du second âge de l’anarchie néolibérale. Mais à la différence de ce qui s’était passé après la crise de 1929, qui avait vu le reflux des inégalités, les inégalités poursuivent leur course folle, tant aux Etats-Unis qu’en France.

Toujours plus d’inégalités

C’est un très bon papier du Figaro qui synthétise deux études. La première, du cabinet Pew Research, rapporte l’évolution des patrimoines outre-Atlantique. Le résultat est assez stupéfiant : « entre 2009 et 2011, le patrimoine moyen des 7% les plus riches a progressé de 28% là où il a duminué de près de 4% pour le reste de la population (…) Les 8 millions de ménages les plus aisés possédaient en moyenne 3,2 millions de dollars en 2011, contre 2,5 millions en 2009. A l’inverse, (…) les 111 millions de familles ont vu leur patrimoine passer de 140 à 134 mille dollars ».



Ces évolutions représentent un gain total de 5 600 milliards de dollars pour les plus riches et une perte de 600 milliards de dollars pour le reste de la population. Ces chiffres sont révoltants à plus d’un titre. Tout d’abord, il est profondément injuste qu’une petite minorité s’enrichisse à ce point quand l’immense majorité s’appauvrit. Ensuite, il est difficile de ne pas imaginer ce qui aurait pu être fait avec une partie des 5 600 milliards de dollars, sans compter les profits démesurés des entreprises…

En France, c’est l’INSEE qui a fait une étude sur l’évolution des revenus de la population en 2010 : les revenus des 5% plus riches ont progressé de 1,3% quand ceux des 30% les plus pauvres ont baissé de 1,3 à 1,6%. Le niveau des inégalités est moins important qu’outre-Atlantique : 7% de la population détient 63% du patrimoine aux Etats-Unis en 2011 (contre 56% en 2009), en France, 10% en détient 48%. Ce panorama peut être complété par le très bon livre de Thomas Piketty et Camille Landais, « La Révolution fiscale » ou le dernier livre de Joseph Stiglitz, « Le prix des inégalités ».

Un système d’ors et déjà condamné

André-Jacques Holbecq avait déniché cette belle citation de Tocqueville qui explique pourquoi les inégalités doivent être mesurées : « préoccupés du seul soin de faire fortune, les hommes n’aperçoivent plus le lien étroit qui unit la fortune particulière de chacun d’eux à la prospérité de tous ». Tous ceux qui sont riches ne le sont que parce qu’ils font partie d’une communauté au sein de laquelle ils sont riches. Sans les autres, ils ne pourraient pas être riches. C’est bien pour cette raison que le sort des uns et des autres ne doit pas être trop différent, que ce soit en niveau ou en évolution.

La société produite par le néolibéralisme est doublement indécente. Non seulement les différences de revenus et de patrimoine ont explosé jusqu’à des niveaux absurdes mais en plus l’enrichissement d’une petite minorité (incluant également les multinationales) se fait au détriment de l’immense majorité. Ce faisant, le système est totalement pourri et court forcément à sa perte, que ce soit par les violentes crises que provoquent l’envolée du niveau des inégalités ou par un renversement politique, le peuple finissant par se révolter politiquement contre l’oligarchie, comme au Vénézuela.

L’évolution de la bourse n’en est que plus choquante, même si elle peut se comprendre, comme l’a bien expliqué Philippe Murer dans Marianne. Malgré le faible niveau de la croissance, les multinationales parviennent à extraire toujours plus de profits de l’économie, comme même The Economist s’en était inquiété, du fait d’un rapport de force toujours plus en leur faveur. La mondialisation est une bénédiction pour elles car elle leur permet d’aller toujours chercher le moins disant salarial, social, environnemental et fiscal et se jouer des Etats qui ont abandonné leurs frontières.

Le comble de l’indécence est bien entendu atteint par cette sphère financière, aussi immorale qu’arrogante, qui exige tout et son contraire des Etats : des aides massives pour les sauver et l’austérité pour les peuples. Mais les traders de BNP Paribas ne connaissent pas la crise : leur bonus a progressé de 14% !

12 commentaires:

  1. C'est une tendance générale :

    Mais le plus important est que la crise à bien suspendu un processus à terme négatif pour l’économie allemande dont les élites économique sont en train de casser le modèle par esprit d’accumulation et de cupidité. C’est un trait assez répandu dans la zone Nord-Atlantique : l’accélération des transferts de revenu et l’accumulation des patrimoines vers le haut de la pyramide sociale y est l’expression d’un sauve-qui-peut des élites organisant à leur avantage le naufrage programmé des économies nationales qui les supportent.

    http://criseusa.blog.lemonde.fr/2013/04/29/leconomie-allemande-une-croissance-a-lamericaine-customisee/

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    1. Sur l'accumulation dans un monde aux ressources limitées et au-delà sur le système lui-même, voici un extrait de "Peut-on s'émanciper du fétichisme ?" d'Anselm Jappe.

      "Le « capitalisme », ce n’est pas seulement les « capitalistes », les banquiers et les riches, tandis que « nous », le peuple, serions « bons ».
      Le capitalisme est un système qui nous inclut tous, personne ne peut prétendre être dehors. Le slogan «nous
      sommes les 99% » est assurément le plus démagogique et le plus bête qu’on ait entendu depuis longtemps, et il est potentiellement très dangereux. Mais c’est aussi un système qui travaille à son propre effondrement, qui ne peut pas satisfaire les besoins humains, qui nous prépare des catastrophes toujours plus graves et des conditions de vie insupportables. Il condamne l’humanité à renoncer à faire un usage raisonnable de ses ressources et à les gaspiller pour sauvegarder la valorisation de la valeur. Ce qui le condamne n’est pas le simple fait d’être mauvais parce que les sociétés précédentes l’étaient également ; c’est sa dynamique propre qui l’a poussé dans le mur".

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    2. Article du Monde sur l'économie allemande clair et démonstratif qui pose bien la question de l'enjeu et du sens de la politique européenne conduite par Merkel.

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  2. Mais nous ne sommes pas dans une après crise ce sont plutôt les prémisses d'une crise a venir qui génère ces inégalités il faut arrêter de rêver a des reformes , il va bien sur falloir faire table rase et ce sera douloureux n'en doutons pas pour s'en sortir la France doit se doter d'un pouvoir fort Jacobin et arrêter les gnangnanteries .reste a savoir si NDA prendra la tête de ce mouvement?

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  3. L’évolution des inégalités et de la pauvreté est un des motifs fondamentaux de remettre en question la vision mythifiée que nombre de responsables politiques, de journalistes et d’acteurs de l’économie se font du « modèle » allemand. Selon un rapport de l’OCDE de 2008, l’Allemagne avait connu depuis 2000 la plus forte croissance des inégalités de revenus et de la pauvreté de tous les pays de l’OCDE (http://www.oecd.org/els/soc/41525346.pdf). D’autres études révèlent que la proportion de la population allemande vivant sous le seuil de pauvreté est devenue plus forte en Allemagne qu’en France (16% en Allemagne contre 14% en France début 2013), du fait d’une augmentation 4 fois plus rapide depuis 2006, et a même explosé parmi les chômeurs : 68% des chômeurs allemands étaient sous le seuil de pauvreté en 2010 contre 41% 6 ans plus tôt (http://www.insee.fr/fr/indicateurs/analys_conj/archives/mars2013_d1pdf.pdf). Ce constat n’est évidemment pas une invitation à ignorer ce qui marche mieux outre-Rhin que chez nous.

    Je recommande par ailleurs ceux qui ont un peu de temps et une bonne maîtrise de l’anglais à lire deux communications récentes de Sarah Raskin, membre du conseil d’administration de la Federal Reserve : elle y établit avec une grande clarté le lien entre la montée des inégalités socioéconomiques dans la société américaine et les crises récentes, et n’hésite pas à appeler à une remise en cause des modèles dominants d’analyse macroéconomique qui tendent à minorer, sinon à ignorer totalement cette approche (http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/raskin20130322a.pdf et http://www.federalreserve.gov/newsevents/speech/raskin20130418a.pdf). À juste titre, David Ruccio y voit, dans un post du Real-World Economics Review Blog, une marque significative des progrès d’une analyse alternative des origines de la crise actuelle (http://rwer.wordpress.com/?p=12603).

    YPB

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    1. Désolé pour la construction maladroite de la première phrase de mon second paragraphe ; j'aurais dû écrire : « Je recommande par ailleurs à ceux… de lire… » (j'ai remplacé le verbe inviter par le verbe recommander, sans modifier le reste comme il aurait fallu).

      YPB

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  4. @ Laurent Pinsolle
    J'aimerai connaitre votre avis sur l'affaire dailymotion.

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  5. Si l'on se fie aux indicateurs habituels (rapport interdéciles et coefficient de Gini, les inégalités n'ont presque pas augmenté en France et sont parmi les plus faibles des pays développés. Reste à savoir pourquoi cet écart entre les données statistiques et le ressenti.

    Piketty pointe, à juste titre, l'enrichissement non pas "des riches" en général, mais des 1% les plus riches. En fait les politiques suivies ont réduit la grande pauvreté et stimulé la grande richesse par des transferts au détriment des classes moyennes (au sens large).
    Ensuite, la pauvreté n'est que partiellement monétaire : la vraie plaie de notre société et le chômage et, plus largement, le sous-emploi. Les chômeurs et travailleurs précaires sont exclus d'une socialisation et d'un mode de vie normaux, leur estime de soi est atteinte, l'image des parents en est dégradée dans la famille et se développe une sous-culture de "débrouille", travail clandestin, petites arnaques et chasse aux allocs, qui corrompt en profondeur une partie des classes populaires.
    Enfin, l'image de la grande pauvreté est considérablement renforcé par la prolifération de la mendicité et des SDF - produit des "trous" du système de protection, de la crise du logement et surtout de l'immigration irresponsable des Roms.

    Comment alors lutter contre ces inégalités ? Avant tout, l'emploi, qui ne doit plus être considéré comme la variable d'ajustement mais comme la priorité absolue des politiques macroéconomiques. Mitterrand-Delors ont abandonné cette politique en 1983, sacrifiant sciemment l'emploi à l’Europe, et compensant la misère qu'ils créaient par la prolifération assistancielle. C'est ce choix mortifère qu'il faut maintenant inverser. Élargissement radical de l'assiette des cotisations sociales vers la valeur ajoutée (avec exonération complète des plus bas salaires) , politique continue de croissance, taux de change compétitif pour les industries de main d'oeuvre...
    Ensuite, on peut déplacer le poids de l'impôt vers les 1% les plus riches. C'est le plus facile à énoncer, mais c'est aussi agir sur l'effet et non sur la cause. C'est au niveau des mécanismes de formation de la valeur ajoutée des entreprises qu'il faut d'abord agir, en renforçant le contrôle sur les très hautes rémunérations et surtout en détachant les grandes entreprises de la finance - qui exige des rendements excessifs du capital et tire à la hausse les salaires des cadres les plus compétents.

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  6. En complément : "lutter contre les inégalités", en langage de pensée unique, c'est réduire les discriminations - ce qui revient à reporter sur d'autres une partie des inégalités, mais pas à les réduire. Pour les libéraux compassionnels, c'est aussi accroître les prélèvements sur les travailleurs en emploi, directement ou indirectement, pour entretenir un "lumpen-proletariat" dans des conditions pas trop indécentes.
    Il faut évidemment raisonner à l'inverse : subventionner l'emploi plutôt que le chômage.

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  7. Le coefficient de Gini ne tient compte que des revenus, lorsque le prix de l’immobilier explose, les loyers aussi augmentent. Sachant que de surcroit la taxe sur les revenus fonciers ne s'applique qu'aux locations, cette taxe est in fine répercutée sur les locataires qui sont les plus précaires. Tandis que les propriétaires peu ou plus endettés par crédit immobilier, sont souvent les moins précaires, les plus nantis, les moins mobiles professionnellement et géographiquement, mais ne payent pas d'impôt sur le loyer implicite de leur logement.

    Résultat ce sont les premiers déciles, les locataires, qui supportent la charge de l'impôt sur les revenus fonciers. Assiette fiscale trop étroite à l'avantage des plus favorisés.

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    1. D'accord sur ce point, le coefficient de Gini cache beaucoup de choses. Il serait également souhaitable d'étendre la taxe d'habitation aux logement inoccupés, et d'instaurer un système de garantie publique des loyers pour éviter l'éviction des plus précaires. Et surtout d'engager une politique de construction et d'extension du réseau de transports en commun pour faire baisser le prix de l'immobilier.

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  8. @ Olaf

    Merci pour ce lien. Le problème du coefficient de Gini, c’est également qu’il découpe en très grosses tranches la population (par décile ou quintile il me semble, ce qui lui fait minorer l’explosion des revenus des 0,1 à 1%).

    @ Anonyme

    Pas d’accord sur les 99%. Je pense que c’est une réalité démontrée par de nombreuses études. En revanche, d’accord pour le reste.

    @ Patrice

    Bien d’accord. J’avais pronostiqué en janvier 2009 une rechute encore plus sévère fin 2016 / début 2017.

    @ YPB

    Merci pour tous ces liens, matière à un bon papier.

    @ Fiorino

    J’étais en vacances. Il faut que je regarde de plus près.

    @ J Halpern

    Totalement d’accord. Le niveau de chômage est un facteur crucial et le plein emploi doit revenir l’objectif N°1. D’accord sur les impôts. Ce n’est pas suffisant.

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