samedi 4 mai 2013

Jean-Luc Gréau décrypte la crise de la zone euro


Outre son analyse de la crise globale, Jean-Luc Gréau accorde logiquement une part importante de son analyse aux spécificités de la crise de la zone euro et apporte son eau au moulin des analystes alternatifs comme Jacques Sapir, malgré des idées globalement plus libérales.



Pas une crise des dettes souveraines

Pour lui c’est la crise financière, qui, en provoquant une grave récession, couplée aux plans de sauvetage du système financier, a provoqué la crise des dettes publiques. Il souligne le rôle majeur joué par les déséquilibres dans les échanges entre les pays de la zone euro. Pour lui, notre dette est la conséquence de la réunification allemande (et de la politique de franc cher) et le krach du marché hypothécaire étasunien, deux épisodes qui ont provoqué une hausse de notre endettement de plus de 20% du PIB chacun ! Il souligne que « la dérive (actuelle) trouve son explication principale dans l’impact destructeur de la crise sur nos recettes fiscales et sociales ». Il rappelle aussi à ceux qui vantent le modèle allemand que tous les pays européens ne peuvent pas simultanément être en excédent commercial et qu’il est source d’une pression déflationniste qui explique en partie la crise actuelle.

Il souligne avec ironie que nous sommes passés d’un discours officiel où l’euro nous aurait sauvé à un « il faut sauver l’euro », en rappelant que l’embellie du tournant du siècle était le produit de 3 facteurs extérieurs à l’unification monétaire européenne : la forte demande étasunienne, la montée du dollar (et donc l’euro bon marché) et enfin la baisse des taux, constatée dans le monde entier. En outre, il note que la concurrence de la Chine était encore extrêmement limitée. Malheureusement, l’euro cher et le libre-échange anarchique ont pesé sur la croissance après le krach de la bulle Internet.

Il rappelle le rôle de la divergence des pays de la zone euro en matière d’évolution des salaires ou de croissance du crédit, avec la bulle espagnole (croissance de plus de 20% par an). Il souligne que la situation des PIIGS est totalement disparate : l’Italie, où les ménages sont très peu endettés, la Grèce, que les eurocrates ont laissé dans l’euro en fermant les yeux sur ses comptes, l’Espagne, qui souffre de l’éclatement de sa bulle immobilière, le Portugal, qui n’a plus de croissance depuis plus de 10 ans et l’Irlande, dont la croissance vient de son dumping fiscal, qui attire les multinationales.

L’impossible issue de la crise

Il cite William Hague, secrétaire au Foreign Office : « j’ai décrit l’euro comme un édifice en feu sans issue de secours ». Il rappelle qu’il est délicat de racheter les dettes souveraines dans la zone euro car tous les Trésors devraient en bénéficier et souligne que cela serait aussi « une amnistie financière des Etats les plus irresponsables et les plus malhonnêtes, difficile à accepter par certains Etats ». Il souligne que la position de l’Allemagne est compréhensible et logique et qu’elle ne veut pas « voir son propre crédit fragilisé une fois qu’ils auraient donné leur garantie aux emprunts des pays en détresse ». L’Allemagne s’est adaptée en comprimant ses salaires et en délocalisant massivement en Europe de l’Est. Pour lui, lors du démontage de l’euro, « la conversion forcée serait de règle ».

Néanmoins, il dénonce aussi l’absence de restructuration des dettes des pays « aidés » et constate que les choix faits tendent à « sanctuariser les grands acteurs financiers menacés de faillite par celle de leurs débiteurs ». Il dénonçait dès 2011 la non-viabilité de ces plans, démontrée par les deux restructurations de la dette grecque en 2012 (une 3ème est en discussion) et celle de l’Irlande. Pour lui, la question qui se pose est nous est la suivante : « comment les économies occidentales s’y prendront-elles pour maintenir ou retrouver la croissance tandis qu’elles ploient sous le poids de leurs dettes publiques et privées et sous la pression concurrentielle des pays émergents » ? Il dénonce « la déflation salariale qui se développe au sein de la zone. Faute d’un ajustement des monnaies, les employeurs privés grecs et portugais ont d’ores et déjà fortement réduit la rémunération du travail, à hauteur de 15% environ ».

Dans ce livre, Jean-Luc Gréau propose une analyse robuste de la crise de la zone euro en démontrant que le système est totalement inréformable. Je reviendrai demain sur ses propositions pour en sortir.

Source : Jean-Luc Gréau, « La Grande Récession (depuis 2005) », Folio actuel (poche)

8 commentaires:

  1. Le cœur est l’analyse et la mesure des excès « de la norme de rendement financier imposée aux entreprises, laquelle réduit de manière directe les opportunités d’investissement ». Car des projets rentables, mais moins rentables que la norme, ne sont pas mis en œuvre. À ce niveau de rémunération, la propriété joue contre l’entreprise, contre l’emploi.

    http://alternatives-economiques.fr/blogs/gadrey/2013/05/01/pour-en-finir-avec-l%E2%80%99austerite-et-engager-la-transition-eliminer-le-surcout-rentier-du-capital-et-les-paradis-fiscaux/

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    1. Ca me fait penser au MEDEF qui prétends représenter les entreprises alors qu'il faudrait refuser cette revendication car l'entreprise comprends aussi les salariés donc le MEDEF ne représentent que les actionnaires majoritaires et autres propriétaires. L'ancien nom du MEDEF était plus honnête.

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  2. N’est-il pas navrant
    de constater que les grands patrons (principalement
    anglo-saxons, il est vrai) sont nettement
    plus préoccupés d’ingénierie, de montages financiers
    et du cours de Bourse des titres de leurs
    entreprises que de la modernisation de l’appareil
    de production et de la diminution du chômage ?
    Et pour cause : cette financiarisation poussée à
    ses extrêmes actuels a opéré un transfert des
    richesses quasi absolu depuis le monde du travail
    vers le fameux 1 % des privilégiés – qui y trouvent
    naturellement leur compte.
    Voilà pourquoi les revenus du citoyen moyen
    n’ont pas progressé autant que la productivité du
    travail. Voilà pourquoi il nous est constamment
    demandé d’améliorer la productivité de nos entreprises.

    http://www.editions-harmattan.fr/_uploads/complements/Tribune.pdf

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  3. Vidéo : Jean-Luc Gréau De la récession à la dépression :

    http://www.youtube.com/watch?v=QUSIwerJYy4

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  4. Vendredi 3 mai 2013 :

    En septembre dernier, Mario Draghi avait annoncé son plan OMT (Outright Monetary Transactions) : il prenait la suite du plan SMP consistant à acheter de la dette souveraine de pays en difficulté, de façon à limiter la hausse des taux et à leur permettre de se refinancer. Comme cela ne plait pas du tout aux Allemands (et ils ont bien raison, c’est de la planche à billets), le dispositif OMT est assorti de conditions drastiques puisque le pays qui souhaite en bénéficier doit auparavant demander l’aide de l’Europe et accepter un sévère plan d’assainissement des comptes public imposé par la désormais célèbre "Troïka" (La Tribune).

    Résultat : personne ne l’a encore demandé. Pourtant la détente sur les taux des pays européens en difficulté s’est prolongée. En apparence les choses s’améliorent. La simple annonce du plan OMT aurait suffi à rassurer les marchés, "bravo Mario !" commentent les médias.

    La réalité est plus subtile, et perverse : la BCE prête sans limite aux banques du pays pour qu’elles rachètent la dette de leur Etat, ce qui au fond revient au même !

    Mario Draghi l’a confirmé hier lors de sa conférence de presse, les banques pourront obtenir les liquidités qu'elles souhaitent au taux directeur, qui a été abaissé de 0,75% à 0,50% (La Tribune).

    Et la BCE prête de l’argent y compris aux banques au bord de la faillite comme les banques slovènes, qui peuvent ensuite acheter la dette émise par Ljubljana. "Les analystes d'Aurel ETC Pollak rappellent ainsi que ce sont les banques slovènes elles-mêmes qui, le 17 avril, ont racheté le 1,1 milliard d'euros de dette émise ce jour-là, grâce au financement de la BCE." (La Tribune).

    Et le tour est joué. Il en va de même en Espagne, Italie, etc.

    C’est de la cavalerie, de la planche à billets, mais formellement la BCE n’achète pas d’obligations d’Etat.

    Ce faisant, la BCE acquiert un volume croissant de créances sur des banques en difficulté, ce qui n’est pas rassurant !

    Posons aussi une question : les banques slovènes avaient-elles le choix ? En fait non, tant les intérêts des grandes banques et des Etats sont intimement liés, et c’est le cas dans tous les pays européens. A partir de là, financer les Etats ou les banques revient au même pour la BCE. Le reste est juste un problème de communication.

    Philippe Herlin, chercheur en finance, chargé de cours au CNAM.

    http://philippeherlin.blogspot.fr/2013/05/la-politique-subtile-et-dangereuse-de.html

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  5. Merci pour cette synthèse précise de la « Grande récession », que j’avais lue il y a deux mois. La question que je m’étais posée en refermant ce livre, c’était comment des gens se réclamant d’une dissidence de pensée quelconque, pouvaient continuer à croire que les allemands trouveraient un intérêt quelconque à monétiser LA dette (les dettes en fait, dont la leur) et à s’y résigner. Dans ce livre, Gréau donne clairement toutes les raisons du monde pour lesquelles ils ne le feront jamais. Soit ils joueront la montre à nos dépens comme ils l’ont fait jusqu’à présent, soit ils jetteront l’éponge et sortiront du ring, le nôtre.

    Je me permets de vous conter une anecdote étrange (et incroyable autant qu’hilarante si mes soupçons sont fondés) à propos de ce livre.

    L’exemplaire que j’ai fini cette nuit était le deuxième du même ouvrage acheté par moi depuis le début de l’année. Le premier m’avait été volé ( !?) dans le TGV Grenoble Paris (départ 7h30 arrivée 9h40) le lundi 4 février 2013.
    J’avais laissé ma valise –un Delsey noire- sur les travées communes à l’entrée du compartiment, à côté d’une autre valise noire de même type, mais un peu plus volumineuse. L’étiquette portant mon nom était bien en évidence, fixée sur la fermeture du bagage.
    Le livre de Gréau était dans la sacoche externe de la valise, en compagnie d’un autre livre sur « les 600 milliards que manquent à la France d’Antoine Peillon », et rien d’autre.
    A la gare de Lyon, j’ai laissé les autres voyageurs descendre avant moi, car je transportais aussi un instrument de musique. J’ai juste remarqué que l’autre valise n’avait pas été prise et je me suis dit que son propriétaire devait être sur le quai, puisque j’étais le dernier à descendre.
    En me dirigeant vers le métro, dans les sous sol de la gare, je me suis arrêté pour prendre un café à un « point bar ». C’est là que je me suis rendu compte que la sacoche de la valise avait été ouverte et que le bouquin de Gréau avait disparu ( !?).
    Je me suis d’abord amusé de la chose en sirotant mon café, me disant que même si les pickpockets dans les trains s’intéressaient aux ressorts économiques de la grande crise, cela voulait dire que nous étions bien mal partis !
    Et puis, je me suis souvenu d’un regard. Celui d’un bonhomme qui m’observait depuis l’entrée du compartiment, à côté des valises précisément, alors que je me levais pour reprendre ma Télécaster (guitare électrique) dans le filet au-dessus de mon siège.
    Un homme chenu, à la barbe et aux cheveux blancs, en costard cravate bleu marine-chemise blanche (bordeaux la cravate). Il était monté à Lyon-Saint-Exupéry et n’avait pas arrêté de déambuler dans les travées pendant tout le voyage. Généralement, les gens qui se livrent à ce manège soit souffrent d’artérite, ou cherchent à se donner de l’importance plus ou moins consciemment.
    A chacune de ses allées et venues, j’avais remarqué que le personnage ressemblait à un blogueur médiatiquement très connu maintenant, que je n’avais jamais vu, mais avec lequel j’avais correspondu un peu sous mon vrai nom il y a déjà des lustres. Je m’étais ensuite brouillé complètement avec lui, une fois revenu des certitudes poétiques qu’il professait (il est d’ailleurs docteur).
    Songeur, j’ai pris le métro pour la gare de l’est, où je devais reprendre ma correspondance. Une fois sur place, j’ai regardé à tout hasard dans l’un des kiosques du hall si le livre de Gréau ne s’y trouvait pas. Miracle ! Il y était. Je l’ai donc racheté, et lu.
    En tout, j’ai donc fait tourner quatorze euros d’argent dans le circuit économique pour ce livre de poche, apportant ainsi ma contribution à la vitesse de la monnaie. Si cela a pu aider d’aucun à réaliser ses objectifs, et surtout à revoir pas mal de ses options théoriques, le bon dieu m’en saura gré…

    (PS : suivant le principe du « pas vu pas pris », libre à tout le monde de penser bien sûr que j’ai un sérieux problème d’opium)

    La Gaule, en footing.

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  6. @ Olaf

    Bien d’accord.

    C’est ce qui nous a amené le scandale de la viande de cheval : Findus a été acheté par un fond d’investissement, qui, pour se payer sur la bête, a revendu les usines, imposant à la marque de faire produire ailleurs, et de perdre la maîtrise de sa production.

    @ TeoNeo

    Pas faux.

    @ BA

    Merci pour le lien

    @ La Gaule

    Histoire intéressante. Je crois que j’ai deviné de quel blogueur il s’agit…

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  7. La Gaule

    Ca serait y pas PJ les initiales ? Je doute quand même qu'il en soit à chiper dans les valises.

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