dimanche 4 août 2013

L’Espagne, victime de l’horreur néolibérale


Baisse du coût du travail, amélioration du solde commercial : sur la foi de ces indicateurs, certains osent affirmer que la Grèce ou l’Espagne commencent à voir le bout du tunnel, alors même que ces deux pays seront encore en récession cette année. Une présentation des choses assez horrible.



Le vice transformé en vertu

Il y a quelque chose d’assez effrayant à lire des papiers « optimistes » au sujet de la Grèce ou de l’Espagne. En effet, dans ces deux pays, le niveau du chômage dépasse un quart de la population (et plus de la moitié des jeunes), la population baisse, le pouvoir d’achat s’est effondré, il est de plus en plus difficile de trouver un crédit et 2013 sera une nouvelle année de baisse du PIB. Madrid et Athènes sont dans la situation de l’Allemagne et des Etats-Unis du début des années 1930 et certains parviennent à déceler des motifs d’optimisme, à mille lieues de ce que vit la population.

Et il faut dire que, de manière totalement déshumanisée, on peut voir quelques points positifs : la hausse du chômage et la baisse du PIB ralentissent, les déficits publics se résorbent un peu. Mieux, les néolibéraux un peu barbares notent que le solde commercial s’améliore, au point d’approcher l’équilibre et la compétitivité globale s’améliore. Mais ces quelques points peuvent aussi être interprétés comme des conséquences de la crise :, il n’est pas difficile de comprendre que la balance commerciale s’améliore du fait de l’effondrement du marché intérieur, comme on pouvait le prévoir.

Pire, l’amélioration de la compétitivité (le moyen politiquement correct de parler de baisse de salaire) ne peut mener qu’à une baisse de la demande intérieure, ce qui augure bien mal pour la croissance des années à venir. Encore pire, le fait de chercher son salut dans l’augmentation des exportations, comme l’évoque The Economist est suicidaire : tous les pays ne peuvent pas améliorer leur solde commercial simultanément et le moyen de le faire (la baisse du coût du travail), porte en lui les germes d’une récession interminable par une désinflation compétitive généralisée en zone euro.

Pendant ce temps, l’horreur avance

Mais le pire dans cette situation, c’est que la situation se déteriore. Il y a quelque chose d’effrayant à voir la population de l’Espagne, du Portugal ou de la Grèce diminuer du fait des départs à l’étranger de personnes qui ne trouvent plus d’emploi chez eux et qui sont contraints de tout quitter pour trouver un avenir. Quelle horreur que cet exode provoqué par de mauvaises politiques ! Quelle horreur également de lire tous ces reportages qui évoquent l’envolée du nombre de suicides en Grèce ou des difficultés de la population à se soigner tout simplement, quand ce n’est pas se nourrir…

Et pendant ce temps, les charognards en profitent. Certains peuvent racheter à vil prix les actifs d’Etats exsangues faute d’avoir abandonné leur monnaie et leur contrôle de la banque centrale. Jacques Sapir a bien raison de faire le parallèle avec la Russie des années 1990 où une poignée d’oligarques ont fait des fortunes pendant que la population souffrait. En Espagne, le FMI ose réclamer une baisse des salaires pour améliorer la compétitivité : jusqu’où faudrait-il aller ?

Le contexte international pourrait, cependant, permettre aux pays du Sud de l’Europe, de retrouver une petite bouffée d’air frais. Non seulement un peu plus de temps leur est donné pour réduire leurs déficits devant les cataclysmes provoqués par l’expérience grecque, mais les révolutions arabes donnent un coup de fouet au secteur du tourisme puisque la clientèle internationale tend à déserter les pays arabes devenus trop instables pour aller profiter du soleil, de leur culture ou de leur histoire, d’autant plus que la crise a bien réduit les écarts de prix des deux côtés de la Méditerranée.

La question qui se pose, depuis trois ans, c’est combien de temps les peuples et les dirigeants de ces pays pourront supporter ces potions amères. En Argentine, cela avait tenu 4 ans. Il y a quelques semaines, la coalition au pouvoir en Grèce a perdu le soutien du DIMAR, ne conservant qu’une très faible majorité. Pour combien de temps ?

12 commentaires:

  1. Excellente synthèse !
    Une vidéo courte et pédagogique (dans le genre de celle que vous avez faite sur la sortie de l'euro) serait du meilleur effet sur le site de DLR et une arme intéressante pour les militants.
    Je trouve du reste dommage que cette dernière ne puisse se trouver en accès direct sur le site.

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  2. très bon article ... on dit tous la même chose ! reste à ce mettre d'accord pour prendre le pouvoir en France!! Marc Jutier

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  3. L'amélioration actuelle de la situation du travail en Espagne ne devrait avoir qu'un caractère temporaire malheureusement.Voir :

    http://www.bfmtv.com/economie/espagne-lamelioration-chomage-passagere-natixis-567132.html

    Il peut paraître extravagant que le FMI propose encore,à l'Espagne, comme solution à ses problèmes de réduire encore plus le coût du travail sachant que l'Espagne a déjà largement expérimenté ce remède puisque ce pays a maintenant le coût du travail le plus bas des principaux pays de la zone euro. Au premier trimestre 2013, le coût horaire du travail, dans l'industrie et les services marchands, est de 20,89 euros en Espagne contre 32,74 euros en Allemagne, 34,99 euros en France, 41,20 euros en Belgique, 28,32 euros en Italie, 31,36 euros aux Pays-Bas.

    Dans l'industrie manufacturière, le coût horaire du travail est de 22,65 euros en Espagne, contre 37,24 euros en Allemagne, 36,58 euros en France, 42,65 euros en Belgique, 27,86 euros en Italie, 32,98 euros aux Pays-Bas.

    http://www.coe-rexecode.fr/public/Indicateurs-et-Graphiques/Indicateurs-du-cout-de-l-heure-de-travail-en-Europe

    Le FMI devrait pourtant connaître connaître l'effet destructeur des dévaluations salariales dans la zone euro, mais il propose de les poursuivre et de les amplifier pour l'Espagne. On n'est vraiment pas sorti de l’auberge.

    Saul






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  4. Un collègue allemand revient de vacances en Grèce, selon lui les prix sont les mêmes qu'en Allemagne... La baisse des salaires, dévaluation interne, ne semble pas impacter le coût final des prestations.

    olaf

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  5. Même à supposer que la cure d'austérité recommandée par l'Europe permette le redressement de l'économie espagnole (quitte à sacrifier le bien-être de l'immense majorité de la population, comme rappelé par Laurent Pinsolle), la mise en œuvre en Espagne ou ailleurs des mesures du « six-pack » ne suffit pas à garantir à terme la pérennité de l'union monétaire, comme l'a rappelé tout récemment Patrick Artus dans le Flash-Économie de Natixis :

    « Les règles (budgétaires, portant sur la compétitivité, le commerce extérieur...) évitent les déséquilibres macroéconomiques. Mais elles aggravent les inégalités de revenus entre les pays d’une Union Monétaire. Ceci est absolument clair aujourd’hui dans la zone euro.
    En Espagne, en Italie, au Portugal, en Grèce, en Irlande, la réduction des déficits publics (graphique 8a plus haut), la correction de la compétitivité et des déficits extérieurs (graphiques 8 b/c plus haut) ont entraîné une considérable baisse des salaires réels (graphiques 9a) et de la demande intérieure (graphique 9b), d’où l’ouverture des inégalités de revenu entre les pays (graphique 1 plus haut).
    A la différence du fédéralisme, les règles ne peuvent pas empêcher qu’une Union Monétaire éclate en raison de l’ouverture des inégalités de niveau de vie entre les pays que les règles ne peuvent pas corriger et même aggravent. » (http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=72381).

    YPB

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    1. Patrick Artus dit « Il semble qu’aujourd’hui les opinions et les gouvernements des pays du nord de la zone euro soient redevenus très hostiles au fédéralisme. Ceci peut venir de ce que le fédéralisme implique des abandons de souveraineté et que les pays du nord de la zone euro ne pensent pas que les pays du Sud veulent accepter des abandons de souveraineté. »

      http://cib.natixis.com/flushdoc.aspx?id=72381

      Il manque la raison la plus importante expliquant que les pays du nord de la zone euro sont hostiles au fédéralisme. C'est l'importance des transferts financiers qui seraient nécessaires des pays du nord vers les pays du sud pour que l’État fédéral européen fonctionne normalement. Aujourd'hui l'Allemagne réussit à peine à stabiliser son ratio dettes publiques sur PIB, il ne faut pas lui demander de transférer 10% de son PIB au budget fédéral européen, chaque année, qui iraient financer la Grèce, l'Espagne, l'Italie, le Portugal, l'Irlande, etc.

      Saul






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    2. Le refus du fédéralisme est un point sur lequel je ne saurais critiquer les Allemands, tout au contraire. La solution est le retour à la souveraineté, ce qui ne doit pas dispenser de la mise en place de principes de régulation, en vue d'éviter une course anarchique et sans fin à la compétitivité entre les économies nationales. Voir à cet égard la conclusion d'une communication de 2011 de H. Flassbeck, publiée sur le blog de Y. Varoufakis : « German Mercantilism and the Failure of the Eurozone » (http://yanisvaroufakis.eu/2012/04/21/german-mercantilism-and-the-failure-of-the-eurozone-guest-post-by-heiner-flassbeck/).

      « The new mercantilism has been aiming at defending favorable competitive positions created by undervalued exchange rates or by very low wages in relation to productivity. However, this strategy has not been successful. In Germany it destroyed the dynamics of the domestic markets and provoked vulnerability of trading partners that will backfire on Germany. Nevertheless, there is always a risk that governments will use exchange-rate manipulation or wage compression, subsidies and lower corporate taxation to artificially improve the international competitiveness of domestic producers. This kind of “new mercantilism” has to be banned. All countries can simultaneously boost productivity, wages and trade to improve their overall economic welfare, but not all of them can simultaneously Improve their competitiveness and achieve current-account surpluses. Successive rounds of competitive devaluations or races to the bottom are counter-productive and likely to cause considerable damage. Therefore, the world economy needs a new code of conduct going far beyond the existing framework of international rules of trade policy and explicitly include national policies with huge repercussions on international markets. »

      YPB

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    3. Sauf qu'en réalité, le refus du fédéralisme par l'Allemagne ne signifie pas un retour à la souveraineté. Si c'était le cas, l'Allemagne aurait politiquement mis fin à tout ce cinéma il y a un moment (et les autorités politiques allemandes en ont eu l'occasion à plus d'une fois). Que l'Allemagne ne veule pas le fédéralisme paraît évident, mais en fait, elle veut juste le statu quo, qui l'arrange (certes à court terme, il faut être un piètre analyste pour croire que l'Allemagne s'en sortira à moyen/long terme).
      Sinon, l'effondrement de la demande intérieure dans plusieurs pays européens ne peut pas tout expliquer ; quand on entre dans le détail des balances commerciales des différents pays concernés, on se rend compte que les situations sont plus diverses que ça. Cet effondrement joue un rôle évident, mais très contrasté. Et le fait qu'un marché intérieur s'effondre ne signifie en fait pas du tout automatiquement une amélioration réelle de la balance commerciale. La France en est quand même un formidable exemple, les dernières données en la matière sont éloquentes.
      Sinon, selon les dernières statistiques, la population augmente (certes faiblement, mais ça, ça n'est pas une nouveauté due à la crise) en Espagne. Mais elle baisse en Allemagne, et pas qu'un peu.
      Bref, beaucoup d'éléments à prendre en compte afin d'avoir une vision non caricaturale et plus nuancée des situations - et cela n'empêche en rien de partager un certain nombre de solutions qui passent par un retour à la souveraineté.

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    4. Plus simplement sur l'intéret de l'Allemagne sur le fédéralisme : Pourquoi l'Allemagne accepterait des transferts pour permettre aux autres de se mettre à son niveau (acquis au prix de sacrifices sociaux importants avec les lois Hartz) et ainsi de développer la concurence ...

      Quand vous êtes leader toutes catégories alors vous ne vous faites pas harakiri pour faire plaisir aux autres ...

      JP

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  6. Nous allons vers le crime de bureau. Je ne crois pas que ses promoteurs puissent réellement agir. Ils appliqueront leur conformisme à la réalité, peut-être même oseront-ils s'opposer à des résultats électoraux mais je ne les vois pas organiser une dictature. Il suffira donc que les jeunes du bassin parisien se lancent pour nous débarrasser de ce délire devenu mortel. C'est auprès d'eux que cela se joue s'il faut aller au rapport de force.
    Jard

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  7. @ Anonyme et collectif AAA

    Merci.

    @ Saul

    Merci pour ces rappels. En creux, cela montre la menace qui pèse sur la France et la Belgique.

    Bien d’accord. L’idée fédérale est morte et pour longtemps car les pays du Nord la refuseront.

    @ Olaf

    A priori, les prix ont sensiblement baissé (cf indice Big Mac), mais cela peut dépendre des endroits (dans une zone touristique très fréquentée, on peut imaginer que les prix n’aient pas baissé).

    @ YPB

    Merci pour les liens. Bien d’accord, les pays du Nord ont bien raison de le refuser.

    Malheureusement, ce cercle vicieux était prévisible, comme je l’écrivais déjà dans mon journal étudiant… en 1996.

    @ Anonyme

    Je crois surtout que l’histoire de l’Allemagne lui interdit de mettre fin à l’expérience européenne, donc elle fait avec en défendant ses intérêts. L’évolution de la balance commerciale allemande fait qu’elle a de moins en moins besoin de l’Europe aujourd’hui.

    @ JP

    Bien d’accord

    @ Jard

    Bien d’accord.

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  8. Mardi 6 août 2013 :

    Sortir de l'euro, mais comment ?

    par Frédéric Lordon *

    http://www.pcfbassin.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=11375:sortir-de-leuro-mais-comment-&catid=36:europe&Itemid=9

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