mardi 4 février 2014

Vers la fin du travail ?

Billet invité de Thomas Schott


S’interroger sur le travail, c’est mettre en lumière l’état et le devenir de nos sociétés modernes. Alors que l’emploi est l’alpha et l’oméga d’une condition sociale décente, celui-ci disparaît peu à peu sous le poids des mutations technologiques et de fait, c’est toute la structure de la société et des rapports entre individus qui est remise en cause.



Y aurait-il un “aveuglement médiatique“ ? Alors que dirigeants politiques, intellectuels en vue et experts en tous genres peuplent les médias pour donner leurs solutions face au chômage, aucun écho n’est fait à la disparition du travail.

Éloge du rétroviseur


Au vue de la doxa libérale (et socialiste), la croissance ferait l’emploi. Cette relation doit pourtant être analysée car les faits sont plus abstraits. Il est, en effet, possible de montrer que la croissance ne crée pas d’emplois, voire en détruit. Cette position – hétérodoxe – résulte du lien étroit entre croissance et productivité horaire (les gains de productivité dynamise la croissance et celle-ci est favorable à ces gains car elle accélère l’introduction de nouvelles méthodes de production et permet le renouvellement des équipements obsolètes). De fait, l’augmentation de la productivité horaire suit une courbe très proche de celle de la croissance. Or, l’emploi dépend de ces deux grandeurs. Ainsi, pour discerner le volume d’emplois que crée l’augmentation du PIB, il faut retrancher l’accroissement de la productivité horaire. Si la croissance et la productivité progressent au même rythme, le volume de travail ne croit pas.

Or, au regard de la période allant du début des 30 glorieuses à la fin du 20ème siècle, le parallélisme entre croissance et productivité horaire tend à l’avantage de ce dernier : celui-ci a augmenté en moyenne de 3,6% alors que le PIB a lui crue, en moyenne, de 3,2%. A durée de travail égale, le chômage aurait augmenté, et en réalité c’est la baisse du temps de travail qui a permis la création d’emplois.


À l’aube d’un monde sans travailleurs

Sans surprise, cette disparition du travail atteint aujourd’hui son paroxysme. Au tournant du 21ème siècle, s’est opéré un renversement où les machines ont été capables de travailler plus efficacement que les hommes et in fine de les remplacer. Ainsi, il n’est pas étonnant de voir fleurir ce type d’invention ou d’initiatives : robots trader aux Etats-Unis, banques 100% en ligne en France, commercial sous forme d’humanoïde au Japon, etc. en ligne.

Ce passage à un nouvel âge, que Jeremy Rifkin nomme “le 3ème âge“ n’est pas sans conséquence pour le salariat. Une étude publiée par Carl Benedickt Frey et Michael A. Osborne – chercheurs à l’université d’Oxford – met en exergue que 47% des emplois pourraient être supprimés du fait de l’informatisation de la production. En effet, avec cette révolution technologique, des catégories entières d’emplois vont disparaître. Il sera donc impossible d’absorber les millions de travailleurs venant de l’agriculture, de l’industrie et des services et le résultat de ce bouleversement se caractérisera par l’apparition de risques rendant le rapport au travail aléatoire : risque de chômage de longue durée d’une part mais aussi risques provenant de la prolifération des contrats de travail atypiques – CDD, temps partiel, intérim, etc.

La guerre de tous contre tous

Avec ce bouleversement, comme l’explique Jeremy Rifkin dans “La fin du travail“, le travail ne va pas disparaître mais, au contraire, se concentrer dans un secteur - le secteur de la connaissance – où seul aura accès un groupe restreint de personnes, une petite élite de chefs d’entreprises, de scientifiques, de professeurs et de journalistes. C’est donc l’ordre social qui fondait le travail qui est remis en cause et si rien n’est fait pour l’enrayer, le fossé se creusera entre cette élite concentrant entre ses mains le travail, les revenus et le pouvoir et la masse croissante des travailleurs pauvres et des chômeurs, exclu de tout, qui tentera de s’emparer - par le force - de ce que le système ne lui donnera plus.

Dès lors, pour éviter que la disparition du travail n’ouvre une ère de violence, deux mesures sont envisageable : partager le travail et mettre en place un revenu universel pour couvrir les risques sociaux que l’emploi, lui, ne protège plus.

Thomas Schott

15 commentaires:

  1. Des universitaires allemands affirmaient il y a 30 ans qu'on pouvait produire la même quantité de bien dans une semaine de 20 heures.Avec 25 millions de chômeurs , ce n'est pas avec les lois HARS qu'on prend la bonne direction!

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  2. Et oui.
    On est de plus en plus nombreux a vivre de plus en plus longtemps, le travail est de plus en plus mécanisé / automatisé /optimisé et la croissance infinie n'existant pas (ressources, monde fini, etc), le constat est facile a faire : il ne peut y avoir de travail pour tout le monde.
    Alors déjà on pourrait commencer par le partager... voir Larrouturou, toussa...
    Mais avec la "mondialisation" et le dumping qui va avec, les accumulations des gros qui en veulent toujours plus, le dogme de la croissance, etc etc c'est mal barré.
    On a pas retenu les leçons de la révolution industrielle.

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  3. Ça fait quelques décennies que quelques uns ont réfléchi à la question. Il ne s'agit pas de la fin du travail, car il y a toutes sortes d'activité nécessaires à l'entretien de la société, mais de la chute du salariat et du lien de subordination hiérarchique au profit de l'autonomie. C'est bien pour ça que la focalisation obsessionnelle sur l'industrie pour conserver des salariés a de moins en moins de sens, puisque l'automatisation détruit les emplois de production de biens :

    http://jeanzin.fr/ecorevo/politic/fintrava.htm


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    1. "au profit de l'autonomie"

      Rigolo, va. Allez expliquer aux licenciés bretons de l'agroalimentaire, par exemple, qu'ils ont gagné en autonomie, et on en reparle.

      "la focalisation obsessionnelle sur l'industrie pour conserver des salariés a de moins en moins de sens"

      Le déficit commercial, lui, a de plus en plus de sens : vers le bas, à toute vapeur.

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    2. Charlot, réfléchi et tu comprendras que ton salariat va se casser la figure en accéléré, ça a déjà commencé si tu t'en es pas encore aperçu, faut se réveiller...et tes bretons aussi, après avoir pourri leurs campagnes et la bouffe de leurs saloperies.

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  4. Je ne pense pas qu'il faille "partager" le travail (@Alain 34) car les compétences ne sont pas interchangeables ou facilement acquises. Il me semblerait plus logique de laisser à chacun le choix de son temps de travail lié (ce qui n'empêche pas, par exemple, les autres activités, telles les activités associatives). Exit donc par exemple la durée légale du travail ou le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.

    Par contre, comme l'avait proposé Dominique de Villepin, il faut assurer à chaque adulte un "Revenu Minimum de Dignité" ...(qui n'est pas un Revenu de base ou un revenu inconditionnel)

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    1. Oui, enfin, il y a différentes façons de partager le travail. Et seulement certaines compétences ne sont pas vraiment interchangeables.
      Il y a aussi des metiers-passions, des métiers qu'il serait mieux de réserver aux jeunes car passé un certain age c'est à la limite de l'inhumain, des métiers voués a disparaitre, d'autres qui vont certainement apparaitre, etc.

      Mais il faut voir aussi ce qui est faisable/acceptable a court terme et vers quoi il faut aller a plus long terme...

      Le commerce en ligne va prendre de plus en plus de part de marchés, avec toute sa logistique automatisée, le transport va s'automatiser aussi (la voiture autonome sans conducteur est un gag, mais les camions ?)
      Les robots (présentés aujourd'hui comme imprimantes 3D...) vont se généraliser, et remplacer l'homme dans plus en plus de secteurs.
      Le BigData va permettre de prévoir de plus en plus de choses de manière automatique...
      Bref, l'Homme est en train de devenir obsolète, du moins son travail. Alors oui, il en faudra toujours un peu, mais ca représentera pas grand chose par rapport à la population..
      Ouai, je suis super optimiste.. et il faut pas croire que tout cela est pour dans un siècle, regardez en 10 ans l'évolution qu'il y a eu.

      L'autre jour je suis allé dans une 'boulangerie', je tend mon billet de 5€ à la vendeuse, elle me dit "non, mettez le dans la machine qui vous rendra la monnaie" Non mais allo quoi !

      Bientôt il ne restera plus que des jobs super pointus ou tres peu valorisés aujourd'hui comme le service a la personne agé par exemple, ou l'élevage... encore que, pour se dernier, ils veulent nous supprimer la viande... et c'est pas les éleveurs qui bossent comme des chiens 365j/365 pour un salaire de misère qui vont se battre pour ce job..
      Etc etc...

      Et oui, dans une société dite civilisé, évolué et soit disant solidaire,, la moindre des choses devrait étre que tout le monde puisse vivre dignement.

      Vendredi dernier chez Taddei (encore visible en replay) il y avait (entre autre) un historien très intéressant...

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  5. Merci Thomas pour ce billet sur un sujet passionnant, et selon moi tellement plus important que les polémiques sociétales montées en épingle récemment sur ce blog (théorie du genre, langues régionales, rapports sur l'intégration...)

    Les travaux de Pierre Larrouturou (avec un point de vue économique) et de Dominique Méda (avec un point de vue plus sociologique et philosophique) sur ce theme sont notamment tres intéressants.

    Pour information, ces deux personnes ont récemment fondé le parti politique "Nouvelle Donne".

    Talisker.

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  6. "A durée de travail égale, le chômage aurait augmenté, et en réalité c’est la baisse du temps de travail qui a permis la création d’emplois." Nos "élites" ne peuvent comprendre cela parce que leurs activités professionnels n'ont pas bénéficier de cette augmentation de rendement, du moins pas de façon visible: un expert comptable n'a plus une escouade de cols blancs et de secrétaires qui assurent ce que fait maintenant l'outil information, mais lui fait globalement le même travail qu'il y a un siècle. Certes il a accès à des outils modernes, mais c'est très différent du travail productif: un ouvrier d'une usine de 1950 qui fabriqué des pièces à la fraiseuse est maintenant remplacé par un technicien contrôlant et pilotant plusieurs fraiseuses numériques qui font chacune le travail de dizaines d'ouvriers.

    Il y a un gap entre les gains de productivité matériel (mais pas financier puisque les emplois de gestion/management ne dépendent pas du chiffre d'affaire, mais plutôt du nombre d'employés ou de produits différents) du travail de production et les gains de productivités du management et de la gestion. C'est sans doute ce décalage qui rend si difficile la prise de conscience de la nécessité de revoir le partage de la valeur ajouté et à plus long terme de la valeur travail. L'irruption de robots remplaçant le prolétariat nous mettra dans quelques décennies face à un choix historique: accepter une société post capitaliste (sans enrichissement possible par le travail la légitimité de la propriété privée de bien de production sera fortement réduite) ou s'enfoncer dans une société ultra inégalitaire.

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  7. bonjour
    Et revoilà le revenu minimum
    c'est curieux comme vous dénigrez les "neolibéraux" , mais quand l'un d'eux vous sort un papier vous laissant croire qu'on peut vivre sans travailler , vous retombez dans le piège
    (veuillez renommer ce blog : besancenotlibre.com !)
    Le premier constat est faux en ce sens qu'il part d'un oubli énorme
    Il oublie totalement que le consommateur ne choisit pas seulement sur le rapport qualité/prix mais aussi en fonction de ses codes culturels.
    En fait, la "qualité" est presque intégralement fonction de ces codes, puisque les produits sont soit standardisés soit trop techniques
    vous nous citez même quelques poncifs dignes de M Aubry :
    "c’est la baisse du temps de travail qui a permis la création d’emplois"
    La France est le seul pays d'europe à avoir un RSA (env 500e/mois)
    c'est le pays qui chute le plus vite parmi ses proches voisins.
    Quand vous mettez votre main au feu, si vous ressentez une intense douleur,
    pour vous la conclusion logique est d'y mettre le bras !!!
    Une fois de plus :
    QUI paiera cette masse de gens sans travail ?
    QUI va décider :
    -celui qui fera parti de la race des travailleurs (qui doit travailler pour 2 ?)
    et
    -celui qui fera parti de la race oisive ?

    cordialement

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    1. Vous n'avez pas remarqué qu'on peut vivre sans travailler, et que c'est forcément le cas des plus riches pour la bonne et simple raison que même avec les super-pouvoirs des héros de bande dessinées américains ils ne parviendraient toujours pas à créer par leur travail une quantité de richesses suffisante pour justifier leurs revenus, vraiment ?

      Vous conviendrez que si Mme Bettancourt avait cru qu'on ne peut pas vivre sans travailler elle ne serait jamais devenue la femme la plus riche de France.

      Quant au RSA...Les minima sociaux de nos voisins portent d'autres acronymes, mais l'essentiel n'est pas là. Les 18-25 ans n'ont pas droit au RSA, et c'est cela qui est quasi unique en Europe.

      http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/vrais-chiffres-chomage-decembre-147056

      Ivan

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    2. Tiens mon gars jmespe, comment faire une maison sans maçon. Et maintenant les maçons quoi qu'y vont faire ?

      http://innovation.uk.msn.com/design/the-3d-printer-that-can-build-a-house-in-24-hours

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  8. !!!!!
    merci à vous 2 de répondre , mais justement, vous ne répondez pas à mes 2 "QUI ?"
    vous en profitez pour rêver mieux qu'un communiste le ferait !
    (normal me direz vous, pour des lecteurs de ce blog :besancenotlibre.com).
    à Ivan:
    "remarqué qu'on peut vivre sans travailler"
    oui j'ai remarqué , j'ai aussi remarqué que l'on est parfois malade en hivers,
    de là à dire que la grippe doit être l'état "normal" il y a un sacré pas, non ?
    Vous nous parlez aussi des 1% d'hyper-riche.(Bettancourt)
    Soyons précis: mon propos n'est pas de trouver cela bien ou "moral"
    mais cela relève de la folie communiste de croire que en taxant les riches cela va mieux aller.
    à "anonyme"
    ha le progrès technologique ! une imprimante 3d en béton pour la maison !
    certes, mais qui va la payer ? et qui va payer le béton ?
    Entre les années 90 à 2000 , le progrès a remplacé des grosses télés par des écrans plats. Résultat : Thomson en france et philips en europe ont été éradiqués. Avez vous l'impression que ces emplois perdus ont été "compensés"
    cordialement

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  9. @ Tous

    Je pense que c’est une question qu’il faut se poser. En effet, la mécanisation pourrait raréfier la quantité de travail et il faut anticiper les conséquences pour nos sociétés. C’est d’ailleurs un point important d’Olivier Berruyer dans son dernier livre :

    http://www.gaullistelibre.com/2013/05/la-bible-economique-dolivier-berruyer.html

    Après, il faut néanmoins observer que les vagues de mécanisation précédentes n’ont pas fait disparaître le travail aux Etats-Unis (malgré un fort déficit commercial qui plus est), certes au prix d’une stagnation des revenus de 90% de la population depuis 40 ans (et une dégradation pour les bas revenus). On peut donc malgré tout se demander si cela ne sera pas la même chose cette fois-ci…

    @ Exvil

    Oui, mais les biens ne sont pas la seule source de travail (même si c’est une source qu’il ne faut pas négliger).

    @ Alain34

    Je ne suis pas 100% persuadé malgré tout (cf précédentes vagues d’automatisation). Certes, il y a beaucoup de vecteurs de diminution du travail, mais n’était-ce pas le cas dans le passé ? Et le chômage actuel ne serait-il pas plutôt la conséquence de mauvaises politiques économiques (monnaie chère et extérieure, anarchie commerciale et financement de la protection sociale) ? Mais c’est une question sur laquelle il faut réfléchir.

    @ Jeanzin

    Pas sûr sur la fin du salariat. On peut le retrouver également dans les nouvelles activités, comme les services à la personne. Et sur l’industrie, c’est plutôt son abandon qui aboutit à du chômage.

    @ A-J H

    C’est une question sur laquelle il faut travailler, mais pour l’instant, je n’y suis pas favorable pour les raisons évoquées dans ce billet :

    http://www.gaullistelibre.com/2014/01/faut-il-mettre-en-place-un-revenu-de.html

    @ Talisker

    Les deux sont importants. Et il ne me semble pas que les thèmes sociétaux étaient traités façon polémiques, mais avec des réflexions de fond.

    @ Karg se

    C’est un scénario.

    @ jmespe

    Besancenotlibre, rien que cela ? Je vous signale que le revenu de base est aussi une idée promue par des néolibéraux, et que les versions plus limitées, si elles se substituaient essentiellement aux aides et allocations actuelles auraient sans doute un surcoût limité et permettrait de largement simplifier notre système d’aides, ce qu’un libéral pourrait apprécié, sans forcément pousser à l’oisiveté (à 400 euros / mois, l’intérêt de travailler resterait important, tout de même…)

    D’accord avec vos objections mais justement, cette question de la fin possible du travail (même si je ne la partage pas, il y a peut-être un risque, qu’il faut donc anticiper), amène à se poser des questions sur le mode de fonctionnement de nos sociétés et je trouverait dommage de ne pas le faire. C’est le rôle d’un politique que de réfléchir à ces questions de très long terme, sans avoir d’œillères, même si son sentiment personnel va dans une autre direction.

    Dans un scénario de revenu de base minimal (autour de 400 euros / mois), je pense que tout le monde continuera à vouloir travailler car le surplus de revenus du travail sera tel qu’il y aura une forte incitation à travailler.

    Dans un scénario de revenu de base plus important, j’imagine qu’il s’agit de laisser jouer le marché, chaque personne décidant de travailler ou non (puisqu’il pourrait y avoir le choix). Mais, encore une fois, il faudrait faire la démonstration chiffrée que cela serait possible (et j’en doute fort aujourd’hui, même si je ne suis pas fermé à l’étude de cette question) et avant même de le faire, il faudrait expérimenter.

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  10. Le salariat véritable c'est le CDI, une sécurité temporelle en échange de la subordination au patron.

    Désormais c'est le CDD qui s'accroit qui n'est un salariat que dans la forme, mais plus proche du free lance sur le fond. Une des formes de non-salariat qui se développe est l'activité via les sociétés de portage.

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