samedi 22 mars 2014

Les états désunis, ou la mise à nu du projet européen


Le lancement de son blog, « L’arène nue », il y a trois ans environ avait rapidement connu un grand succès. Gageons que son premier livre « Europe : les états désunis », devrait rapidement connaître le même destin, en s’appuyant sur une grande qualité d’écriture, tant sur le fond que la forme.



Un livre très recommandable

Le livre de Coralie Delaume est extrêmenent recommandable, comme l’a longuement expliqué Jacques Sapir sur son blog dans une note spécifique sur le livre, pour de nombreuses raisons. D’un point de vue de la forme, on retrouve sa plume alerte, mordante, drôle et dynamique. L’autre intérêt majeur de ce livre vient de son positionnement politique original. Si on sent une personne plutôt engagée à gauche étant données ses références, Coralie Delaume n’est pas une partisane sectaire qui aurait coupé le monde en bons et méchants. Elle abreuve ses réflexions à toutes les sources, ce qui donne un aspect moins subjectif à sa réflexion. En outre, même ce livre la range parmi ceux que l’on appelle bien improprement les eurosceptiques, il est écrit d’une manière assez neutre et factuelle.

C’est le livre d’une citoyenne qui semble croire à l’idée d’une coopération entre les nations européennes, qui pourrait mener à de belles choses, mais qui constate, en prenant du recul que ce qui aurait pu être un beau projet est devenu un monstre. Ce livre est le moyen de se demander pourquoi nous en sommes arrivés là et de décrire tous les travers de cette Europe, qui a fini par désunir les Etats. Ce livre nous épargne donc les envolées lyriques déconnectées de la réalité et de moins en moins audibles des missionnaires de cette construction européenne. Mais il épargne également la critique un peu rancie, donneuse de leçon ou parfois délirantes de certains critiques du projet européen.

Il s’agit en fait d’un récit des dernières années s’appuyant sur les déclarations des uns et des autres, ainsi que sur de nombreuses études, visant à comparer concrètement les promesses de ce projet européen avec la réalité de ce qui s’est passé depuis des années. Et cette enquête se révèle, assez logiquement, impitoyable pour le projet européen, soulignant ses immenses et répétées carences démocratiques et sociales, dans un constat partagé par de nombreux analystes alternatifs. La qualité de ce livre a valu à l’auteur une invitation dans l’émission de Frédéric Taddéï hier soir.

Regarder la vérité en face

L’auteur montre que l’UE a été réalisée au forceps, avec la volonté de l’imposer aux peuples, qu’elle dépasserait, afin de faire leur bonheur malgré eux. Mais au final, on a une « construction imprégnée de juridisme (où) la multiplication des outils tient lieu de projet », où « les instruments et les procédures se superposent les uns aux autres. De plus en plus, ils s’autogénèrent et s’autojustifient. Leur existence précède le sens (…) les pays se trouvent chaque jour plus encombrés d’un corset procédural et juridique qui, après les avoir fait avancer ensemble vers un but imprécis, tend aujourd’hui à les dissocier ». Pour Pierre Manent, on a construit un kratos sans démos (un pouvoir sans peuple).

Et outre l’escamotage de la démocratie et la génération d’impuissance, l’UE, c’est aussi le chômage de masse et la précarisation des travailleurs. L’auteur dénonce un « tropisme atlantiste et néolibéral », illustré par l’accord transtlantique, que même Jean Quatremer critique. L’UE, c’est l’austérité, la tutelle des budgets, et la baisse du coût du travail comme seule politique possible. Cette Europe a aggravé la crise économique : en lieu et place de solidarités, on construit un filet aux mailles de plus en plus étroites. Depuis le début, même en remontant à l’arrêt Costa contre Enel de 1964 de la Cour de Justice, on construit « l’Europe des consommateurs et des marchands et non des citoyens ».

Ce livre court et bien argumenté est à conseiller pour ceux qui se posent des questions sur le sens de ce projet européen. Il s’agit sans doute d’un des meilleurs outils pour leur montrer qu’il n’y a rien à espérer de ce monstre… Demain, je reviendrai sur le mécanisme qui conduit l’UE à détruire l’Europe.

Source : « Europe : les états désunis », Coralie Delaume, éditions Michalon

13 commentaires:

  1. Il faudrait arrêter de se qualifier d'eurosceptique mais plutôt d'euroréaliste ce qui est un terme qui met dans un embarras nos adversaires politiques qui seront ainsi tenus de se justifier sur l'UE.Comme l'ont fait hier soir Sapir et Todd. Le premier par son livre d'analyse du Non au référendum du 29 mai 2005. "la fin de l'eurolibéralisme" en 2006.

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  2. CSOJ n'est plus visionnable sur Pluzz depuis peu en Allemagne pour des raisons de droits de diffusion.

    C'est juste invraisemblable que le service public censé promouvoir la francophonie dans le monde, empêche toute diffusion de ses émissions à l'étranger, et en plus dans l'UE.

    olaf

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    1. Situation plus grave en Allemagne qu'en France si on vous lit bien Olaf, mais dans notre pays, pour regarder une telle émission en direct (il y a des gens encore un peu comme ça), il faut avoir prévu sa dose de caféine l'après-midi.
      Interprétation complotiste : il y avait, seulement en deuxième partie de débat hier soir chez Taddéi, un J.L. Bourlanges grognon qui avait sûrement imaginé qu'il y passerait la soirée entière comme Todd et Sapir. Crime de lèse -majesté, souligné par une saillie perfide, lorsque notre pontifiant professeur à Sciences Po Paris a fait remarquer que le courant eurosceptique, qu'il croit voir à la manoeuvre de l'UE depuis le milieu des années 1990, était fort bien représenté sur le plateau (Todd, Sapir et Coralie Delaume).
      Sûrement trop à son goût. Le service public devient déraisonnable à inviter des gens si peu convenables.
      De là à envisager qu'en Allemagne on le pense peut-être un peu aussi et qu'on préfère éviter de montrer ces bêtes curieuses au bon peuple, il n'y a qu'un pas que je me risquerais bien à franchir.

      Francis Commarrieu.

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    2. Mais c'est pas l'Allemagne qui impose cela, c'est France Télévision qui a décidé de supprimer la diffusion de ses émission à l'étranger.

      http://www.assemblee-afe.fr/acces-aux-emissions-du-groupe.html

      olaf

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    3. L'émission du 21 mars avec Todd, Sapir et Coralie Delaume dont le titre est "Crimée, Ukraine, Europe, euro : les peuples sont-ils maîtres de leur destin ?" n'a pas été mise en ligne pour cause... d'élections municipales!! oO

      Donc pas visible non plus en France avant Lundi normalement. Ridicule... Le rapport entre la situation en Ukraine et les municipales...

      Mais on peut la récupérer ici : http://www.t411.me/torrents/ce-soir-ou-jamais-21-mars-2014-tvrip-vf

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  3. Et, pendant ce temps-là, les affaires du monde continuent et la violence et la sauvagerie continuent à triompher dans ses grands pays que sont l'Afghanistan et l'Irak.

    Hier, Sardar Ahmad, reporter afghan au bureau de l'AFP à Kaboul connu pour ses reportages colorés, sa passion de la poésie et son humour mordant, a été tué avec sa femme et deux de leurs enfants âgés de 6 et 3 ans par un commando taliban.

    Ce monde est vraiment pourri.

    Demos

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  4. Coralie Delaume appartient indubitablement à cette nouvelle génération d'intellectuels qui prennent position pour la démocratie en opposition aux grandes institutions post-démocratiques (OMC, FMI, Union européenne, le système bancaire international...) qui tendent à diluer celle-ci dans un système de lois et de traités qui se donnent l’apparence de la légalité tout en évacuant la question de la légitimité (de qui émane le pouvoir ?). Elle rejoint d’autres intellectuels et économistes (Magali Pernin, Laurent Pinsolle, Olivier Berruyer, et bien sûr, Jacques Sapir qui apparaît comme la figure tutélaire de ce mouvement). Parce qu’elle a beaucoup d’humour, elle apporte à ce mouvement une touche de légèreté qui est très agréable.
    Son livre se lit facilement. Ce n’est pas une analyse au sens propre, elle raconte une histoire de l’Europe, un peu sur le modèle d’un théâtre de marionnettes dans lequel les personnages entrent et sortent pour exposer leurs positions. Pour ma part, j’ai trouvé un côté très comédia del Arte dans cet ouvrage (le personnage de Mario Draghi en Mazarin est croustillant). Elle n’explique pas beaucoup, elle révèle davantage.
    La qualité première de ces auteurs est de s’interroger sur la légitimité de ces pouvoirs nouveaux (quelle est la communauté qui décide et au nom de quoi ?) et sur leurs objectifs (la fin de la solidarité comme modèle social). Leur défaut est de ne pas aller nourrir leur réflexion de ce qui a été réfléchi ailleurs, notamment par les auteurs africains qui ont eu à souffrir avant l’Europe de ce genre d’institutions. En tout cas, c’est un mouvement important qui mérite un autre nom qu’eurosceptiques qui effectivement est un peu limité.

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  5. "Eurosceptique" ? je préfère "souverainiste" qui a le mérite de nous définir en positif : par opposition à la dictature du marché et des juges, dont l'UE n'est que l'une des incarnations possibles.

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    1. Le souverainisme est une doctrine importée du Québec qui ne prend pas en France!

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  6. Amusant : Jean-Marc Vittori : « Heureusement que la France est là pour sauver l'Europe »:

    http://videos.lesechos.fr/news/graphiques-vittori/heuresement-que-la-france-est-la-pour-sauver-l-europe-les-graphiques-de-vittori-40-3362445206001.html

    Résumé : Les dévaluations internes dans la zone euro ont permis aux pays en crise de faire disparaitre le déficit de leur balance courante mais l’Allemagne et les Pays Bas ont maintenu leur excèdent courant, ce qui a accru l’excédent courant de la zone euro, ce qui pousse logiquement l’euro à la hausse. Que se passerait-il si la France faisait elle aussi, comme les pays du sud de la zone euro, un véritable choc de compétitivité : réduction massive des dépenses publiques, réduction du coût du travail, bref ce qu’on lui implore de faire. L’excédent courant de la zone euro serait encore plus important ce qui porterait l’euro au niveau suicidaire pour l’économie française de 1,50 ou 1,60 dollar.

    Donc la France en restant dans l’euro a simplement le choix des méthodes pour se suicider. Ne rien faire, faire quelque chose. De toute façon, il n’y a que le chemin du suicide.

    Saul


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    1. Eloge de la rigidité des salaires

      C'est parce que les salaires ne baissent pas autant que les prix que l'économie va mieux.

      Savez-vous pourquoi l'économie se porte un peu mieux en ce moment - le chômage se stabilise et on recrée quelques emplois - malgré l'action des dirigeants français et européens qui s'acharnent toujours à étouffer l'activité ? C'est d'abord parce que la marché du travail n'est pas flexible et que les salaires sont rigides comme on dit. L'action (stupide) des dirigeants européens conduit en effet toute la zone euro vers la déflation avec un niveau d'inflation inférieur à 1 %. Les hausse de salaires diminuent elles aussi mais moins vite cependant que les prix ne décroissent : c'est l'effet de la fameuse rigidité des salaires que déplorent constamment l'OCDE, les patrons, les gouvernements... Et pourtant c'est elle qui nous sauve la mise actuellement en redonnant un peu de pouvoir d'achat aux salariés ce qui soutient l'activité et permet de stabiliser le chômage malgré les politiques d'austérité des gouvernements... Mais évidemment si on fait sauter ce verrou en baissant les salaires ou ce qui revient au même en abaissant le coût du travail tout en diminuant les dépenses publiques en parallèle comme prévu avec le "pacte de responsabilité", on perd cet avantage et on restreint la demande intérieure ce qui fait replonger l'activité...

      https://www.facebook.com/pages/Guillaume-Duval-Alternatives-Economiques/310883216984?fref=ts

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  7. Marcel Gauchet - "Liberté et pouvoir"

    http://www.youtube.com/watch?v=UKH2aQCl03A#t=366

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  8. @ Anonyme et J Halpern

    C’est juste. Il faut parler d’eurobéat et d’euroréaliste pour gagner la bataille des mots.

    @ Olaf

    Il y aura sans doute des reprises sur Youtube

    @ Bip

    Merci. Il faut encore que je la regarde

    @ Léonard

    Bien d’accord. La force de ce livre, c’est de savoir raconter une histoire (pas au sens négatif du terme), de manière très agréable, avec un ton enjoué, de l’humour, tout en restant sur le fond du sujet. Le fond et la forme.

    @ Saul

    Analyse intéressante, véhiculée également par Olivier Passet

    @ Anonyme

    Intéressant

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