lundi 19 mai 2014

Leur chômage, nos solutions (billet invité)


Billet invité de Thomas Schott

Depuis le tournant libéral du début des années 1980, nos dirigeants, de gauche à droite, mandat après mandat, échouent à résorber le chômage. Mais ont-ils vraiment tout essayé ?

Aux “salauds“ de chômeurs, l’hebdomadaire britannique “The Economist“ offrait en 2010 une solution : « Il y a deux manières de favoriser le retour au travail des chômeurs. L’une est de rendre inconfortable ou précaire la vie de ceux qui reçoivent une allocation chômage. L’autre consiste à faire que la perspective d’un emploi devienne viable et attirante pour les entreprises – comprenez ici une baisse des charges. » Et voilà énoncé la logique des actes.

Il faut sérieusement avoir forcé sur l’idéologie libérale pour soutenir un tel argument car, cette position constitue une transposition purement théorique déterminée par hypothèse : les riches seraient plus entreprenants s’ils payaient moins d’impôts et les pauvres seraient plus travailleurs s’ils recevaient moins de subsides. Or, il est clair que cette façon hyperbolique de formuler les éléments du problème ne contient pas en elle-même le principe de la solution.

Telle est en définitive l’énigme des libéraux : leurs solutions doivent toujours être déduites à partir de situations fictives – l’état de nature chez Hobbes, la fable du troc originel chez les économistes et l’hypothèse de l’efficience des marchés chez les apôtres de l’Ecole de Chicago.

Vers la disparition du travail


Une étude sérieuse des causes du chômage doit prendre toute la mesure de la révolution qui s’est produite. Depuis les années 1970, notre productivité a été multipliée par cinq alors qu’il avait fallu quasiment deux siècle pour la doubler.

Ainsi, comme l’explique Jeremy Rifkin dans “La fin du travail“, ce bouleversement a d’indigestes répercussions en terme d’emploi : « La vieille logique qui consiste à dire que les avancées technologiques et les gains de productivité détruisent d’anciens emplois mais créent autant de nouveaux n’est plus vraie aujourd’hui. »

Dans ce séisme technologique, le cas du secteur industriel est particulièrement probant. Patrick Artus a, en 2011, étudié (*1) l’évolution de la production industrielle en Europe. Résultat : il n’observe pas de déclin profond de la production industrielle mais, en revanche, constate une réelle diminution de l’emploi industriel. Le phénomène est le même aux Etats-Unis. On pense que le pays ne produit plus rien, or, selon une étude de Hal Sirkin du “Boston Consulting Group“, la production industrielle a été multipliée par 2,5 en quarante ans alors que la force de travail diminuait de 23%.

Une étude de Carl Benedict Frey et Michael Osborne de l’université d’Oxford pousse même le constat aux antipodes. Selon eux, à terme, 47% des emplois pourraient être supprimés du fait de l’informatisation de la production.

C’est du jamais vu. Les conséquences en terme de destruction d’emploi sont considérables. Pour l’économiste Daniel Cohen, alors que seules 15% des destructions sont liées au commerce international, 85% sont dues aux gains de productivité (*2). Et le futur n’est pas plus réjouissant car les économies développées n’arrivent plus à absorber les nouveaux entrants sur le marché du travail. En effet, pour cent personnes arrivant sur le marché du travail, ces économies offrent en moyenne 84 emplois à temps plein. Par ailleurs, miser sur le retour de la croissance pour lutter contre le chômage paraît chimérique – voir indécent à la vue du péril écologique qui guette. En effet, il n’est pas dit que cette hypothétique croissance fasse l’emploi. Si les gains de productivité progressent au même rythme ou plus vite qu’elle – ce qui est plus que probable – le volume de travail ne croîtra pas.



Halte au partage sauvage

D’une façon ou d’une autre, un partage arbitraire du travail s’est mis en place.

Par exemple, aux Etats-Unis la durée moyenne de travail est tombée à 34,5 heures en février 2013. Et cette durée a toujours été inférieure à 35 heures depuis 2006. De même en Allemagne – pays pourtant présenté comme un modèle de plein emploi – 25,9% de la population est à temps partiel et, du coup, la durée moyenne de travail est tombée, en 2010, à 30,05 heures par semaine.

30,5 heures de durée moyenne en Allemagne, 34,5 heures aux Etats-Unis ou encore 31,7 heures aux Pays-Bas … il faut en finir avec cet aveuglement. Ce modèle de partage entre “75% temps plein et 25% temps partiel“ est un non-sens car, même s’il favorise un taux d’emploi fort, cela se traduit par un taux d’occupation de la population active plus faible avec comme inconvénient, 25% des revenus sont forcément eux-aussi “partiels“.

En s’inspirant du seule et unique l’éclair de génie d’Alain Juppé lors du Sommet du travail et de l’emploi le 21 décembre 1995, il faut « diminuer et mieux organiser le temps de travail » pour que le débat ne tourne plus autour du “travailler plus“ mais plutôt sur “travailler tous“ afin d’organiser collectivement le travail.


Du pessimisme libéral à la totémisation du travail

L’obstination à occulter ce sujet s’expliquerait-elle par des certitudes dogmatiques plus puissantes que l’évidence qui s’impose à tous ?

Dans la combinaison des causes contingentes, une place essentielle doit être réservée aux racines de l’idéologie libérale. La dynamique de la modernisation s’est enclenchée à partir du traumatisme engendré par l’ampleur des guerres de religion. De fait, il faut admettre que ces guerres idéologiques se singularisent des conflits précédents. D’une part, l’apparition de nouvelles armes lors des combats a rendu les affrontements plus sanglants et, d’autre part, cette forme de guerre nouvelle tend à insuffler des divisions plus désocialisantes qui soient en dressant, les uns contres les autres, parents, amis et voisins.

La hantise de la guerre civile semble donc être l’horizon récriminé par les libéraux. L’idée pour sortir l’homme de son état de nature est, donc de le mettre au travail car, pour Auguste Comte (*3) il n’y a que deux activités possibles pour l’être humain : l’action violente ou la conquête sur la nature.

Dans une société qui « adore la sécurité comme la divinité suprême », il n’est donc pas étonnant que « le travail soit institué comme la meilleure des polices » (*4).
Thomas Schott

*1 : se rapporter à l’étude de Patrick Artus pour la “Direction de la recherche CDC Ixis“ en février 2011
*2 : se rapporter au numéro 303 d’“Alternatives économiques“ de juin 2011
*3 : « Plan des travaux scientifiques pour réorganiser la société », 1822
*4 : « Aurore », Friedrich Nietzsche, 1880


12 commentaires:

  1. J'approuve totalement cette idée que globalement il faut travailler moins pour donner un peu de travail à tous, compte tenu des contraintes écologiques qui devraient limiter notre besoin de "toujours plus". Attention néanmoins avec les moyennes qui ne sont pas représentatives des tensions (de main d'oeuvre disponible) dans de nombreuses spécialités.

    Il faudrait aussi simultanément punir juridiquement l'obsolescence programmée ou pour le moins obliger à l'affichage de résultats de test de fiabilité.
    Je propose d'essayer de laisser à chacun le choix du temps de travail qu'il souhaite réaliser sur de longues périodes (cinq ans par exemple) et sur lequel il s'engage. Certains veulent travailler plus à certaines périodes de leur vie et moins à d'autres.

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  2. Houlà ! Vous allez sur ce blog vous faire traiter d'hyper néolibéraliste, parce que le mantra ici c'est que c'est la délocalisation qui cause le chômage dans l'industrie.

    On peut amener toutes les études, rien y fait c'est la faute aux chinois, aux indiens... Que les emplois dans l'industrie et les tâches de routine soient remplacés par des machines, ça leur passe au dessus de la tête car ça ne peut être que la faute aux chinois.

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    1. Comme dans l'industrie textile par exemple.

      C'est l'invention des robots "Made in" avec leurs spécifications "RPC", "Bengladesh", "Pakistan", ... qui ont détruit les emplois.

      Comme si la délocalisation d'une usine avait un jour pu détruire un seul emploi. Absurde....

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  3. « Il y a deux manières de favoriser le retour au travail des chômeurs. L’une est de rendre inconfortable ou précaire la vie de ceux qui reçoivent une allocation chômage »

    Rendre inconfortable ou précaire la vie des victimes du chômage c’est ce que la France a toujours fait depuis 40 ans et cela n’a jamais marché.

    -Les moins de 25 ans n’ont droit à rien, même pas au RSA, et c’est la tranche d’âge de loin la plus touchée par le chômage. Comment leurs vies pourraient-elles être encore plus inconfortables ou précaires ?

    Si on suit le raisonnement de « The Economist » ils ne devraient pas être plus touchés par le chômage que les autre mais au contraire moins !

    -C’est d’ailleurs facile à comprendre que moins un chômeur est indemnisé plus il a de mal à conserver figure humaine, à se nourrir, s’habiller, se soigner, se loger, et donc à trouver un emploi.
    Comme souvent l’observation ne fait que confirmer ce que suggère la simple logique.

    Et je ne parle pas même pas de l’effet aggravant des politiques dites d’activation des dépenses passives d’indemnisation du chômage qui consistent à subventionner l’embauche des chômeurs indemnisés pour les aider à doubler les autres encore plus vite dans la file d’attente.

    Au demeurant les gouvernements français des années 1970 et 1980 ont commandé plusieurs rapports successifs sur la relation entre chômage et indemnisation du chômage avant de renoncer parce qu’ils n’obtenaient jamais la réponse qu’ils auraient aimé lire.

    (ils ont d’ailleurs fait la même chose pour la question de la dépénalisation du cannabis : on enterre le débat en commandant un rapport, puis comme le rapport ne dit ce qu’on voulait qu’il dise on l’enterre à son tour en en commandant un autre, et ainsi de suite jusqu’à finir par renoncer)

    -Comment « The Economist » peut-il ignorer tout cela ?

    "L’autre consiste à faire que la perspective d’un emploi devienne viable et attirante pour les entreprises – comprenez ici une baisse des charges. »

    En gros : le patron embauchera les chômeurs dont il n’a pas besoin quand cela ne lui coûtera rien. Ils ne produiront toujours aucune richesse mais cela n’est pas grave puisqu’ils n’auront toujours rien pour vivre.

    L’essentiel est que par la magie d’un simple jeu d’écriture ils cessent de figurer dans les statistiques du chômage –pour ceux qui y figuraient.

    Ce deuxième argument est tout aussi répugnant que le premier.

    L’idéologie néo-libérale est une idéologie fasciste.

    Ivan

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  4. Vous avez raison d'évoquer la piste de la réduction du temps de travail ; la France a abandonné cette politique après 2002 et pourtant les autres pays développés continuent dans cette direction. Et je partage l'idée qu'un allongement du temps de loisirs permettrait des gains incomparables en bien-être et en sociabilité.

    Pour autant ce n'est pas une solution suffisante, ne serait-ce que parce que le besoin d'amélioration des conditions matérielles n'est pas éteint : Logement, santé, sécurité, recherche... et aussi tous ces besoins "futiles" que nous pouvons regretter mais dont nous ne pouvons empêcher personne de rechercher la satisfaction. Une des causes de l'échec relatif de la Loi Aubry, c'est que les salariés n'ont pas accepté la stagnation du pouvoir d'achat à laquelle elle a contribué, et les entreprises à ma connaissance trouvent toujours preneurs pour leurs heures sup.

    Par aiulleurs vous enterrez trop vite la croissance : "Si les gains de productivité progressent au même rythme ou plus vite qu’elle – ce qui est plus que probable – le volume de travail ne croîtra pas." Le principe d'une bonne politique économique est justement de permettre à la croissance de rejoindre les gains de productivité, et ainsi préserver l'emploi.
    Nul contrainte matérielle n'empêche aujourd'hui la croissance. Je veux bien imaginer que cela puisse se produire un jour, mais ce n'est pas là dessus que nous butons aujourd'hui - si c'était le cas, les gains de productivité auxquels vous accordez tant d'importance seraient aujourd'hui arrêtés. C'est bel et bien la politique néolibérale qui ralentit la croissance, et cette insuffisance de croissance produit immanquablement le chômage, aux variations du temps de travail près.

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  5. ce n'est pas la faute des gouvernants, selon vous Monsieur HALPERN, c'est bien sur la faute des entreprises dites vous !!!
    De tels raisonnements sont insensés et contre productifs ...
    A force de charger les entreprises intérieures et faire baisser les pouvoirs d'achat des plus faibles. Vous avez participé à la situation actuelle de ce pays.TOUJOURS plus pour la FONCTION PUBLIQUE sur le dos de la production ???? vous proposez exactement l'inverse de ce qu'il faut faire ?

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    1. @ Gilco
      Quel rapport avec mon post ??? Soit vous n'avez pas lu, soit rien compris.

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  6. bip19 mai 2014 21:54

    Oui absurde, ca représente quelle part de l'emploi les "RPC", "Bengladesh", "Pakistan" ? Si faits en France et donc bien plus chers, combien d'emplois français perdus dans d'autres domaines en France du fait d'une perte de pouvoir d'achat lié à du textile made in France.

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    1. Ceci est un argument différent de "Que les emplois dans l'industrie et les tâches de routine soient remplacés par des machines, ça leur passe au dessus de la tête".

      Ce à quoi je répondais.

      Et en effet cet argument a du sens. Mais moins que dans une situation de plein emploi. Parce qu'avec un taux de chômage élevé, le gain de pouvoir d'achat fait sur le prix de la main d’œuvre se perd pour financer les aides et le manque à gagner dû au plus faible nombre de travailleurs.

      Malheureusement c'est très compliqué d'avoir une mesure fiable de ces phénomènes.

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    2. La France a beaucoup moins robotisé que l'Allemagne, ça a pas vraiment baissé le chômage. Allez convaincre un français de payer plus cher un produit français qu'un produit allemand ou japonais moins cher dont la fabrication est plus automatisée.

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  7. L'idée de partager le temps de travail est une solution très limité pour résoudre le problème du chômage. L'échec des politiques keynésiennes puis libérales s'explique par l'apparition du chômage d'incompétence. Les pays à très faible taux d'échec scolaire ont des taux de chômage structurellement plus faible. Nous avons perdus la course entre l'éducation et la technologie.

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  8. Oui, la réduction du temps de travail est une mesure malthusienne, applicable qu'à une partie de la population et avec des résultats minimes.

    C'est en contradiction d'ailleurs avec l'augmentation de l'âge de la retraite, et dans le contexte actuel ça ne peut être appliqué qu'avec une réduction proportionnelle du revenu. Par ailleurs, dans nombre de métiers, la durée du temps de travail n'est pas le critère principal, mais bien plus le sont la motivation, les conditions de travail, le niveau de formation continue qui d'ailleurs est une belle gabegie en France, où des tonnes de formations bidons sont financées.

    La réduction du temps de travail correspond à l'obsession du modèle industriel, modèle sensé devoir tout régenter alors que l'industrie crée de moins en moins d'emploi, comme ça a été le cas avec l'agriculture.

    Là encore, comme avec le protectionnisme, des solutions simplistes.

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