dimanche 7 décembre 2014

BCE, banques, finance : stress-test du foutage de gueule (billet invité)


Billet invité de l’œil de Brutus 



Il y a quelques semaines la BCE s’enorgueillait d’avoir effectué un vaste stress-test des banques « systémiques » européennes et d’en avoir obtenu d’excellents résultats. Et – cocorico ! – toutes les banques françaises s’en sortaient haut la main, ceci étant abondamment relayé par les grands médias français, ces machines acritiques à penser unique. Sauf que ceci est, au mieux, une vaste blague, au pire – et plus vraisemblablement – un énorme majeur érigé au faciès des peuples.

Qu’est-ce qu’un stress-test ? Tout simplement une simulation pendant laquelle on évalue la résistance financière des banques en situation de crise économique aigue et brutale. Cette simulation s’appuie donc sur des hypothèses (d’inflation, de chômage, de faillites en cascades, etc.) qui doivent correspondre, si possible, au pire de ce que pourraient connaître les banques.  Ce type de tests est très courant dans l’industrie : en simplifiant, si on veut construire un avion qui devra voler à 1000 km/h, on teste son prototype dans toutes les configurations possibles à 1500 km/h. S’il réussit ces tests, on pourra se dire que tout cela devrait bien se passer en vitesse de croisière de 1000 km/h. Ou, pour reprendre une analogie effectuée par Olivier Berruyer sur son blog, quand on vous vend une pompe pour un bassin extérieur garantie jusqu’à -10°C cela veut dire qu’elle a été testée à -20°C, voire encore plus bas. Le but est bien de tester le matériel dans les conditions les plus extrêmes  auxquelles il devrait être soumis, et même un cran au-delà. Il en serait de même pour les banques : l’idée du stress-test devrait bien être de mettre hypothétiquement les banques européennes dans la configuration de la crise la plus profonde qu’elles seraient censées rencontrer.

Sauf qu’en l’occurrence, avec ses stress-tests, la BCE nous vend un avion censé voler à 1000km/h mais testé seulement à 500km/h, ou une pompe garantie -10°C testée sous une belle douceur printanière sur la Côte d’Azur. Car  les hypothèses de départ retenues par la BCE sont complètement loufoques, sinon pitoyablement risibles. Olivier Berruyer en fait une analyse approfondie (ici). Pour les plus pressés, je reprends ci-après les hypothèses les plus ubuesques.

On notera tout d’abord que la BCE n’en est pas à sa première imposture : elle avait, en 2009, déjà testé et certifié les banques irlandaises juste avant qu’elles ne fassent faillite et sa nouvelle série de tests en 2011 avait été suivi de … nouvelles faillites.

Listons donc les principales aberrations des hypothèses retenues par la BCE (pour la France) :
-        Un chômage à  12,2%. Hou là là ! Attention, avec un tel taux nous serions bien au fin fond d’une crise apocalyptique ! En fait, nous en sommes déjà 10,2% et ce seulement pour les chômeurs de catégorie A (et toutes catégories confondues, nous en sommes à près de 20% ![i]). Ces dernières années, l’Italie, l’Espagne ou encore la Grèce ont démontré que les taux de chômage pouvaient allègrement atteindre les 25%. Retenir un taux de 12,2% comme seuil de « stress-test », ça n’est donc vraiment pas très sérieux !

-        Pour ce qui est de l’inflation, le « choc titanesque » retenu par la BCE pour tester les banques est un taux – accrochez-vous bien ! – de -0,3% ! Soit à peine un point de moins que ce que nous connaissons actuellement (0,7%). On a connu des périodes de déflation bien plus sévères[ii]. A l’opposé, la BCE ne réalise aucun test en cas d’emballement de l’inflation à +4 ou +5%.

-        Le scénario noir pour les cours boursiers est encore plus risible. La BCE table sur un krach de -20% en un an (pour la France, et -18% pour la zone euro), soit moins que  les -22% de 2001, les -34% de 2002 (et donc -49% sur les deux années 2001-2002) et surtout les -43% de 2008 ! Des chiffres qui se passent de commentaires.

-        Les hypothèses retenues pour la croissance vont au-delà de la plaisanterie : le stress-test de la BCE envisage une récession de 0,4% la première année, 1,1% la suivante (pour la France). Une vaste fumisterie lorsque l’on se remémore qu’elle fut 2,5% en 2009 (toujours en France). Pour le reste de la zone euro, les hypothèses sont encore plus loin de la réalité des crises les récentes que nous avons connues : 2,1% de récession pour la zone euro (alors qu’elle fut de 4,4% en 2009) et 2,6% pour l’Allemagne (dont le PIB s’effondra de 5,1% en 2009) !

-        Quant au taux d’intérêts sur la dette publique (emprunts d’Etat à 10 ans), on va au-delà du ridicule : dans son scénario noir, la BCE envisage que la France devra emprunter à … 3,8% (contre environ 2% actuellement). Ce serait vite oublier que nous empruntions déjà à ce taux en 2009, à 4,8% en 2008 et même à 5,8% en 2000 ! Les hypothèses du reste de la zone sont encore plus affligeantes de ridicule :
o   L’Italie est testée à 5,8% alors qu’elle était à 7,4% il y a à peine 2 ans ;
o   L’Espagne testée à 5,6% contre 7,6% il y a 2 ans ;
o   Chypre testée à 10% contre 16% il y a 2 ans ;
o   L’Irlande à 5% contre 15% il y a 4 ans ;
o   La Grèce à 11% alors que ses taux s’étaient envolé à 42% !

Ces stress-tests sont donc non seulement une vaste plaisanterie mais aussi, et surtout, une caution de jemenfoutisme donnée par la BCE à ses amis financiers. Par là même, elle justifie et cautionne l’existence de ces banques systémiques (celles dont une faillite entrainerait un effondrement généralisé de tout le système financier) et élude donc ce qui pourtant devrait être fait pour empêcher l’arrivée de ce risque systémique : mettre fin à l’existence même de ces banques en séparant clairement les activités de dépôts des activités spéculatives.

Avec de tels tests, la BCE continue à nous vendre son « système ». Pourtant, celui-ci ne tient plus la route (s’il l’a jamais tenue …). Un simple exemple (provenant lui aussi du blog d’Olivier Berruyer) suffit à l’illustrer. Le bilan de BNP-Paribas se chiffre à 1800 milliards d’euros (soit quasiment le PIB de la France …). Avec les exigences bidons de Bâle III, son ratio minimum de fonds propres se monte à 72 Mds€, soit 1/25 de son bilan … Il suffirait donc que BNP perde 4% de ses actifs pour être en faillite (et en pratique elle le serait bien avant). Je ne sais pas vous, mais pour ma part, si j’avais mon épargne à la BNP, je commencerais à me poser quelques questions …

Un dernier point : pour nous rassurer l’Union européenne a imposé aux banques (hou là là, ça a dû leur faire mal !) de mettre en place un dispositif de compensation (à partir de 2016 …) permettant d’amortir  leurs éventuelles faillites[iii]. Celui-ci sera abondé progressivement pour atteindre (en 2026 !) l’Himalaya de 55 Mds€. L’ensemble des bilans bancaires de la zone euro est de l’ordre de 20 000Mds€. Un fonds de garantie à hauteur de 0,275% du bilan.
On est sauvé …



[i] Cf.  Président à mi-chemin, Jacques Sapir, Russeurope, 05-nov-14.
[ii] Pendant la Grande Dépression aux Etats-Unis, entre décembre 1929 et mars 1933, les prix ont baissé de 27 % et l'ensemble des salaires versés a subi un recul de plus de 40 %. Pendant la crise japonaise des années 1990 (issue d’un krach immobilier), le prix des terrains a connu une baisse de 80%. Toujours au Japon, le taux d’inflation a failli tomber sous les -2% en janvier 2002 et a même dépassé ce seuil en 2009. Cf. http://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/cercle-90382-japon-lhistoire-dune-deflation-1002450.php

1 commentaire:


  1. Mardi 9 décembre 2014 :

    ALERTE – Grèce : la bourse d'Athènes perd plus de 10% après l'annonce de la présidentielle anticipée.

    http://www.romandie.com/news/ALERTE--Grece-la-bourse-dAthenes-perd-plus-de-10-apres/544434.rom

    A 13 heures 20, la Bourse d'Athènes était en chute libre de 11,02 %.

    Je dis bien :

    La Bourse d'Athènes baisse de 11,02 %.

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