vendredi 14 août 2015

La société myope

C’est une des caractéristiques de notre époque, qui vaut aussi bien pour nos dirigeants politiques que pour les dirigeants de nombreuses entreprises. Secoués comme des pruniers par une actualité dont ils n’arrivent plus à s’extraire pour réfléchir et prendre de la distance, l’immédiateté tue réflexion et action.



Réagir plutôt qu’agir

Nicolas Sarkozy représente sans doute un des prototypes de ces dirigeants qui ne réfléchissent plus, mais se contentent de réagir promptement, mais superficiellement, à toute actualité. C’est ainsi que pendant les années qu’il a passées comme ministre de l’Intérieur, il a multiplié les déclarations viriles et les projets de loi plus ou moins sécuritaires. Ce faisant, il a donné l’impression d’être un ministre efficace, sur tous les fronts. Pourtant, pour qui examine d’un peu plus près son bilan, il est extrêmement mauvais. En effet, le nombre de coups et blessures a augmenté de plus de 60%, une dégradation bien plus importante que sous Jospin… Il est, paradoxalement, celui qui a mis fin à la double peine.

Ce monde de la réaction est profondément dysfonctionnel. D’abord, parce qu’il est incapable de voir plus loin que le bout de son nez, les problèmes se sont jamais véritablement traités. Ces dirigeants à courte vue ne font que concevoir des rustines, qui génèrent souvent d’autres problèmes, amenant d’autres rustines… etc. Un député a imaginé un projet consistant à donner une ristourne pour les personnes qui font du covoiturage sur l’autoroute. Théoriquement, ce n’est pas inintéressant, pour qui n’est pas rebuté par la complexité de la mesure. Mais en fait, cette mesure risque surtout d’être un formidable effet d’aubaine pour certains, sans véritablement changer les comportements.

Une société complexe et injuste

Mais il y a un second problème avec cette société de la réaction, outre le fait de ne pas véritablement régler les problèmes. A force d’empiler les réactions législatives et fiscales superficielles, notre société devient extraordinairement complexe, créant un maquis obscur qui ne protège plus réellement ceux qui auraient un véritable intérêt à être protégés mais finit par ne faire que servir ceux qui en profitent pour défendre leurs intérêts personnels. C’est ce qui permet aux multinationales du CAC40 de ne payer que 8% d’impôts sur les sociétés contre 22% pour les PME… En outre, cela permet à certaines multinationales de pratiquer à grande échelle la désertion fiscale, comme l’avait révélé Marianne.

On en arrive aux aberrations de la société moderne où, pour « protéger » les citoyens consommateurs, on multiplie les procédures ou les textes légaux, qu’il convient d’accepter comme si on les avait véritablement étudiés, mais que personne ne maîtrise tout à fait, certains n’étant que des agitations légales sans impact, d’autres étant en revanche des opportunités d’arnaques légales à la faveur d’entreprises habiles légalement. Car si les règles peuvent protéger ceux qui en ont besoin, l’excès de règles extrêmement complexes ne finit que par favoriser les plus forts, qui, seuls, ont les moyens de défricher ce maquis pour en exploiter toutes les opportunités, alors que le péquin lambda ne peut que s’y perdre.

Il faut bien reconnaître que les évolutions technologiques, (qui font que j’écris) aggravent sans doute cette tendance à la myopie de nos sociétés, où les réactions superficielles priment sur l’action de fond. Un jour, tôt ou tard, nous parviendrons enfin à reprendre plus de recul sur le cours de nos vies. 

10 commentaires:

  1. Voici, déjà ici, un effort de réflexion salutaire, dont je vous remercie.

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  2. Je crois qu'il faut inverser l'analyse. C'est parce que nous ne parvenons pas à regarder les problèmes en face, dont celui, légèrement préoccupant, de notre vieillissement et de notre mort, que nous nous perdons dans une gesticulation absurde.
    jard

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  3. Je pense qu'il ne faut pas confondre le recul que l'on peut avoir sur sa vie sa mort ou sa petite personne et celle que nous faisons en tant que société. Les athéniens refusèrent d’idolâtré le geste de Socrate car cela fut un geste humble et héroïque d'une personne, une société ne pouvait se permettre l'émergence d'une telle pensée.
    Les choix des individus sont différents des choix de la société dont il font partie. Non-seulement à cause de l'hétérogénéité des personnes mais également à cause de la proéminence de l'ensemble du groupe sur l'individu.
    Aujourd'hui, nous somme dans le même cas. Certaines personnes au pouvoir ne parviennent pas à faire les choix sociétaux nécessaires car elles sont focalisés sur des intérêts particuliers (ou à courte échéance politique). Il faut réaffirmer l'importance du temps long sur l'instant. Tendre vers un futur, un projet ou une vision afin de s'améliorer.
    Il ne faut pas confondre le ciel étoilé et son reflet dans la mare.

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    1. Votre commentaire est plein de bon sens : peut-il inspirer Herblay auteur de ce billet –la société myope- où il dénonce des comportements chez les autres qui, à bien des égards, sont copie conforme des siens et que ses propositions révèlent.

      Unci TOÏ-YEN

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  4. « l’immédiateté tue réflexion et action ». L'analyse est fondée, mais il faut peut-être aller un peu plus loin pour comprendre pourquoi. On pourrait objecter en effet qu'il est nécessaire de pouvoir réagir très vite dans certaines circonstances, parce qu'il y a urgence. Trop de réflexion dans ces circonstances risquerait d'inhiber l'action. Mais la question est savoir ce qui permettra ou pas de dégager une réponse qui soit tout à la fois rapide et pertinente. L'examen de cas de figure historiques (guerre, krach boursier, crise bancaire…) révèle bien sûr l'importance du caractère, de la capacité des responsables à trancher entre plusieurs options, mais aussi qu'il n'y a pas de capacité d'improvisation apparente qui ne fonde son efficacité sur un arrière-plan suffisamment riche de préparation intellectuelle, de réflexion de fond préalable. Et de culture aussi.

    « Vitesse, vitesse, activité », aurait dit Napoléon pour résumer sa manière de faire la guerre. Mais on lui prête aussi ce mot à Rœderer : « Moi, je travaille toujours ; je médite beaucoup. Si je parais toujours prêt à répondre à tout, à faire face à tout, c’est qu’avant de rien entreprendre, j’ai longtemps médité, j’ai prévu tout ce qui devait arriver. Ce n’est pas un génie qui me révèle, tout à coup, en secret, ce que j’ai à dire ou à faire, dans une circonstance inattendue pour les autres. C’est la méditation… »)…

    YPB

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  5. "L’immédiateté tue réflexion et action. La question est : est-il possible de faire autrement ? Oui, à condition d'accepter de rester silencieux. Cela implique, pour ne pas être assimilé à de l'indifférence ou de l'incompétence, que le pouvoir fasse vivre la démocratie au quotidien à travers des débats, des échanges. Nous sommes tellement loin de ce schéma que les gouvernants font des communiqués sur tout et n'importe quoi pour saluer, critiquer, dénoncer, encourager. L'important est de se positionner et de faire parler de soi.

    DemOs









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  6. « Silence bien gardé vaut mieux que parole mal lâchée. » (citation espagnole)

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  7. C'est un peu comme le gars Lolo, qui se retrouve avec 5 millions de musulmans dont une partie le hait comme concitoyens, mais qui pense toujours que le pb c'est le FN.

    Le gars Lolo manque un peu de recul...la réalité risque de lui faire drôlement mal quand il va se la prendre pleine face.

    Si le gars Lolo était moins myope et moins imbus de lui-même (et du gros Seguin), la droite aurait mené une politique de droite, il n'y aurait pas de FN, et on n'aurait pas à gérer les emmerdeurs susmentionnés.

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  8. @ Dissimilaire

    Merci

    @ Jard

    Le retour du débat sur l’œuf et la poule ?

    @ Samson R

    Pas uniquement, je pense qu’outre la question du collectif par rapport à l’individuel, toute la société devient trop courtermiste, les entreprises, comme les politiques.

    @ YPB

    Très juste. Parfois il faut savoir réagir vite mais le problème est que nos dirigeants se polluent à réagir vite à des choses dont ils ne devraient pas s’occuper

    @ Démos

    Très juste. D’où mon choix, parfois, de ne pas parler de certains sujets, même si je peux céder parfois au traitement de l’actualité.

    @ Anonyme

    Je crois que vous sur-estimez un peu mon influence sur la droite… Encore un triste exemple de généralisation xénophobe.

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  9. @LH,

    https://fr.wikipedia.org/wiki/La_France_contre_les_robots

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