lundi 16 novembre 2015

La loi Touraine : vers une santé toujours plus privatisée, bureaucratique et chère

Les attentats de vendredi nous ont fait oublié, assez logiquement, le succès de la mobilisation des médecins contre le projet de loi Touraine. Un projet, qui, derrière une communication habile, vise à déconstruire notre système de santé, au plus grand profit des intérêts privés des mutuelles.



Quand Paris regarde vers Washington

C’est malheureusement la caractéristique fondamentale de ce projet de loi, cohérent avec ce qui se passe depuis des années, et qui ne parvient pas à émerger dans le débat public paradoxalement. En réalité, ce projet de loi a une logique, à savoir la convergence du modèle de santé Français vers le modèle de santé des Etats-Unis. En effet, nous assistons à une lente privatisation des dépenses de santé : quand, il y a 20 ans, moins de 5% des dépenses de santé étaient de type privé, aujourd’hui, nous sommes à 15% contre 54% aux Etats-Unis, les mutuelles compensant la baisse du remboursement public. Mais il est à noter que ce système n’est pas plus efficace puisque les Etats-Unis consacrent 18% du PIB pour la santé, et nous 11,6%, tout en ayant une santé bien moins bonne que la nôtre.

Mais cette privatisation au ralenti a un intérêt pour l’Etat, qui peut alors dérembourser, en sachant que les mutuelles compenseront, en relevant les cotisations, à leur profit puisque cela assure la croissance de leur chiffre d’affaire. D’ailleurs, le 1er janvier, les entreprises devront proposer une couverture santé minimale à tous les salariés, ce qui explique les campagnes publicitaires incessantes depuis la rentrée, qui viennent bien inutilement augmenter le budget santé des Français. Les mutuelles peuvent bien remercier la ministre. Et cela est d’autant plus révoltant que le Sénat a publié un rapport dénonçant les dérives des mutuelles, et notamment leurs coûts de gestion, bien plus importants que ceux de l’assurance-maladie. Enfin ceci devrait imposer plus de tâches administratives pour les médecins.

Une ministre à la communication habile

Malheureusement, le projet de loi Touraine, malgré un manque de concertation souligné par Philippe Cuq, président de l’Union des Chirurgiens de France et la mobilisation des médecins, continue à avancer. En effet, le gouvernement a eu l’habileté d’adjoindre au projet la généralisation du tiers payant, une mesure forcément populaire. Pourtant, il faut rappeler que le tiers payant existe déjà, notamment pour ceux qui en ont le plus besoin. Ensuite, il faut souligner que les systèmes où le coût est transparent pour l’utilisateur peuvent avoir tendance à être plus inflationnistes. Enfin, il est tout de même malheureux d’encombrer nos médecins de tâches administratives alors que même que nous en manquons et que nous devons même faire venir des médecins étrangers pour combler un manque !

Mais surtout, ce qu’il y a derrière ce projet de loi, c’est une victoire des mutuelles dans les rapports de force de notre système de santé. Elles se sont alliées avec la machine bureaucratique d’Etat pour poursuivre la privatisation de la santé, tout en incriminant la médecine libérale, ce qui permet de faire passer la lente mais réelle privatisation de notre système sous silence, l’Etat gagnant le moyen de baisser les remboursements de manière relativement indolore. Le système de santé Français a longtemps été vu comme le meilleur du monde, au point que le « prix Nobel d’économie » Paul Krugman le prenait en exemple. Il reposait sur un équilibre entre des institutions publiques complétées par une médecine privée dynamique. Dommage de remettre en cause un équilibre à l’efficacité démontrée.


Non seulement la généralisation du tiers payant n’est pas une bonne idée, car cela est porteur d’inflation, comme on le voit dans l’optique. Mais derrière le projet de Marisol Touraine, il y a surtout la poursuite de la lente privatisation de notre santé au profit des mutuelles.

6 commentaires:

  1. Le systeme Australien est tres bon, bien moins cher, a le tiers payant (cela depend des medecins, dans mon coin tout est tiers (bulk billing)), les medecins ont acces a toute votre information medicale/labs.

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    1. Vous avez les données à ce sujet? Ca serait intéressant d'en savoir plus et dans quelle mesure il est meilleur.

      Le problème du tiers payant en France, c'est la surcharge de travail pour le praticien, qui fera qu'il passera moins de temps à pratiquer et plus de temps dans la paperasse. Ca ne changera pas le cout de la consultation mais la disponibilité des médecins. Il y a déjà des endroits où il est difficile d'obtenir un rendez, cette réforme ne fera qu'empirer la situation.

      Et à terme, peut être même décourager les généralistes de s'installer?

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    2. Sur le tiers-payant je hasarderais une hypothèse, sans certitude.

      Les pharmaciens ne s'en plaignent pas, je suppose donc que leur système de tiers-payant est pratique, facile et rapide. Pourquoi ne pas tout simplement copier ce qui marche bien ? On n'est pas à l'école, il n'y a aucune honte à copier sur son voisin.

      Cela me fait penser au problème de la chasse et de la pêche. Les fédérations de chasseurs sont toujours en guerre contre les écologistes, alors que les fédérations de pêcheurs se félicitent chaudement de leur collaboration fructueuse avec ces derniers.

      Ce que les citadins ignorent c'est que le chasseur et le pêcheur sont souvent un seul et même homme avec deux cartes, une canne à pêche et un fusil. Pourquoi ne pas organiser la chasse sur le modèle de la pêche ?

      Ivan

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  2. Les frais de gestion des mutuelles sont très supérieurs, oui mais pourquoi ?

    Parce que comme elles sont en concurrence les unes contre les autres et contre les assurances privées elles ne peuvent en aucun cas se permettre de traiter les usagers avec le même mépris ouvertement affiché que la CPAM ou la CAF, par exemple.

    Si on vous annonce que vous allez devoir faire la queue pendant la moitié de la journée, ou que le service est fermé au public tous les matins parce que les employés en sous-effectif massif et chronique se consacrent exclusivement aux vieux dossiers en souffrance, eh bien vous allez voir ailleurs.

    Voilà même à mon avis l'un des rares bons côtés de la privatisation, sinon le seul. Aucune entreprise privée ne peut se permettre de pressurer son personnel jusqu'au point ou la qualité du service rendu au public devient un véritable scandale, comme l'Etat.

    C'est aussi la raison pour laquelle les universités privées US emploient proportionnellement beaucoup plus de personnels de gestion que leurs homologues publiques françaises.

    Cela n'empêche pas nos politiciens, gauche et droite confondu, de continuer à réduire sans cesse les moyens des administrations sous prétexte qu'elles n'ont qu’à faire des économies de gestion en s'inspirant du privé, car ceux qui nous gouvernent sont de parfaites ordures.

    Ivan

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  3. @ Leloup

    Merci pour ces précisions

    @ Ivan

    Parce qu’il n’y a pas les économies d’échelle d’un service public unique, parce qu’il y a des dépenses de communication beaucoup plus importantes. Et la privatisation a fait exploser les dépenses aux USA, pour la santé comme pour les universités. Et dans le dernier cas, cela conduit à une forme de ségrégation par l’argent.

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    1. Bien d'accord avec tous les facteurs que vous citez, sauf pour les économies d'échelle.

      Dans les services administratifs je n'y crois pas. Une pile de dossiers est une pile de dossiers, on ne la fait pas rétrécir en redessinant l'organigramme au-dessus de la tête du gestionnaire, même le privé sait cela. Et s'il faut accueillir du public on rend carrément un bien meilleur service avec une multitudes de petits sites dispersés qu'avec quelques gros sites concentrés dans les métropoles.

      L'argument des économies d'échelle est aussi utilisé pour imposer les regroupements de communes, de régions, voire la suppression des départements.

      Ivan

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