samedi 23 avril 2016

PIB en parité de pouvoir d’achat : quand l’instrument de mesure trahit les rêves secrets du FMI 1/2 (billet invité)




Le FMI a publié récemment son classement comparatif des puissances mondiales, selon un nouveau mode de calcul : le PIB en parité de pouvoir d’achat.

La nouvelle a soulevé quelques débats, notamment parce que selon ce nouveau moyen de mesure la France doit être considérée comme la 9ème puissance économique mondiale, au lieu du 6ème rang que lui confère l’ancien calcul en PIB brut.

La discussion est vite retombée, et semble avoir été bien plus provoquée par le résultat final et le soufflet adressé à la France, que par l’analyse économique de fond.

La superficialité médiatique est une fois de plus regrettable, car la publication de ce résultat par le FMI est porteuse d’informations très importantes.

Ce qui n’a pas été observé est que l’adoption du nouveau moyen de mesure par le FMI trahit un point au moins aussi critique que le résultat de la mesure elle-même. Lorsqu’un organisme économique change de méthode statistique, cela signifie qu’il a décidé de chausser de nouvelles lunettes pour appréhender la réalité. Et le changement de point de vue trahit aussi l’évolution d’une mentalité interne.

Une mesure du PIB plus proche des gens, vraiment ?

En première approche, le calcul du PIB en PPA (parité de pouvoir d’achat) apparaît comme une bonne idée. La valeur ajoutée brute produite par un pays ne traduit pas une richesse concrète de sa population si celle-ci doit faire face à un coût de la vie très élevé.

Le calcul selon la PPA corrigeant cet effet, il traduit la paupérisation des classes moyennes dans nos pays industrialisés et montre que la qualité de la vie d’un pays doit tenir compte de l’accès au pouvoir économique par le plus grand nombre, non de sa seule richesse brute. En cela, la PPA semble plus proche des préoccupations concrètes des gens, et de leurs difficultés à constituer le panier mensuel de la ménagère dans la cotation de la richesse d’un pays.

L’élément ironique de ces nouvelles lunettes chaussées par le FMI est que le très mondialiste organisme revient à la considération d’un marché national et de préoccupations économiques propres à la population de chaque pays. La PPA retourne aux conditions nationales concrètes de chacun, non à la considération de grandes zones économiques uniformes et ouvertes au marché, appréhendant les populations comme autant de masses indistinctes.

Double ironie, ce sont des arguments propres à la mondialisation – ceux que le FMI emploie habituellement – qui montrent les limites d’un tel indicateur.

Le judo des rapports de parité entre pays

Une objection à la PPA est que si le coût de la vie est plus élevé dans un pays que dans un autre, les habitants du premier seront dotés de fait d’un pouvoir d’achat bien plus important dans le second pays que dans leur pays d’origine. Cela ne concerne pas seulement le plaisir de pouvoir se payer de nombreux produits pendant un voyage touristique, mais plus sérieusement d’avoir des capacités d’investissement supérieures dans le second pays.

Le différentiel de pouvoir d’achat est ce qui permet des investissements externes, ou encore la pratique de l’offshoring, très néo-libérale s’il en est. La puissance de niveau de vie d’une population est donc plus complexe que son pouvoir d’achat national. Le coût de la vie élevé est une faiblesse qui devient une force du fait des échanges trans-nationaux et se traduit en une force de frappe financière et une capacité d’achat supérieure dans des pays classés comme « plus compétitifs ».

Cette relativité des rapports de force et faiblesse dans les échanges mondialisés est généralement très mal appréhendée par les néo-libéraux, capables uniquement de raisonnements simplistes. Il en est de même des avantages comparatifs de Ricardo : si les néo-libéraux n’en retiennent que l’ouverture des frontières à tout crin, ils ne remarquent pas que leur pendant inévitable est le maintien de compétences différenciées dans chaque pays pour que les mécanismes ricardiens fonctionnent, c’est-à-dire de nécessaires politiques interventionnistes permettant de conserver jalousement un cœur de compétences propres à chaque pays.

Dès lors que l’on fonctionne en économie ouverte, un véritable tao des échanges économiques est nécessaire à la compréhension des situations, où chaque faiblesse est une force potentielle et où chaque force peut devenir un point faible, non par les raisonnements simplistes et univoques des néo-libéraux, ne sachant que prôner toujours plus de dérégulation et toujours plus d’ouverture. La véritable économie ressemble aux sciences du vivant, au maintien d’équilibres fragiles et contradictoires, tandis que les recettes néo-libérales ne savent mettre en œuvre qu’une radicalité court-termiste.

Une préoccupation pour les gens ou un idéal famélique ?

En examinant par ailleurs ce à quoi le FMI exhorte, le sens à donner à ce changement d’indicateur nous apparaît plus clairement. Les bons élèves ont changé : le modèle économique est maintenant celui des BRICS : Inde, Brésil, Chine, … c’est-à-dire de pays dont le faible coût de la vie repose sur une précarité et une légèreté de l’aide sociale.

Le raisonnement du FMI est celui des sports mécaniques : pour faire une moto performante, il faut concilier une grande puissance du moteur avec une légèreté de l’ensemble de l’engin. L’on préfère ainsi aux grosses et lourdes cylindrées des moteurs légèrement moins puissants mais des châssis ultra-légers, le rapport poids / puissance étant la clé de la performance.

Si le raisonnement est incontestable dans les sports mécaniques, il est simpliste en économie. Avant de montrer pourquoi, il faut comprendre ce que donne la transposition à l’économie. L’optique du FMI sous-tend toute la mode du « lean management », l’économie de moyens à tout prix, l’allègement de toute structure support à commencer par celle de l’état.

Dans les modèles connus de l’économie industrielle, le « lean and hungry dog » a remplacé le « top dog » : la puissance de l’animal en forme est remplacée par la rage de survie de l’animal famélique, agressif parce qu’il est maigre.

L’on retrouve cet état d’esprit dans les départements achats de beaucoup de groupes industriels : un bon fournisseur est un fournisseur qui a faim, ce qui le force à aller au-delà de ses limites par survie. Les départements achats les plus cyniques considèrent même qu’un bon contrat avec un fournisseur est celui qui l’étrangle juste assez pour qu’il survive pendant la durée du projet, puis soit tué faute de ressources à la fin de celui-ci. Cette « méthode » est d’ailleurs recommandée de façon explicite dans certains cursus de « management ».

Les nouvelles lunettes du FMI n’ont donc rien à voir avec un raisonnement sur le pouvoir d’achat des personnes. Elles ne sont que le prolongement de la thèse néo-libérale du toujours moins d’état, jusqu’à idéalement faire disparaître celui-ci, et un faible coût de la vie obtenu au prix d’un désengagement de toute structure sociale : le FMI passe sous silence que bon nombre de pays obtiennent un coût de la vie limité en contrepartie d’une forte précarité de leur population.

Le FMI a ainsi remplacé son classique idéal de puissance économique par un « idéal famélique », un modèle consistant à placer sciemment le plus grand nombre de personnes en conditions de précarité et de survie pour en tirer le maximum. Le nouveau modèle économique est celui de populations toujours plus exsangues (sauf pour une petite minorité de privilégiés), dont on extorque l’énergie de la survie.

Nous pouvons être rassurés : si nous avions cru l’espace d’un instant que le FMI avait une quelconque préoccupation pour la vie quotidienne des personnes, nous voyons que comme à l’habitude il n’en est rien. L’on se souvient du fameux slogan de Lénine « le communisme c’est les soviets plus l’électricité ». Sa paraphrase libérale pourrait-être : « le néo-libéralisme c’est la production maximale par la rage du désespoir plus les favelas ». 

La vision du futur selon le Fonds est de généraliser à toute la planète le modèle mexicain ou brésilien : une majorité de crève-la-faim constituant le plus gros de la population, et une petite minorité de privilégiés obligés de vivre barricadés.

Les chiffres globaux montreront quant à eux que nous avons un excellent ratio de PIB en PPA, que ce mode de vie rend tout le monde heureux et a accru la richesse globale de la planète, argument classique - et faux - des néo-libéraux.


Suite demain

4 commentaires:

  1. Vous caricaturez un peu beaucoup l'avis du FMI qui dit ceci aussi :

    http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/06/15/les-inegalites-de-revenus-nuisent-a-la-croissance_4654546_3234.html

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    1. Le FMI blâme les conséquence des causes qu'il chérie...

      Et si le FMi dénonce les inégalités, c'est au mieux pour ne rien faire. Au mieux.

      Mais c'est plutôt le pire qui s'applique : dénoncer les inégalités est pour les libéraux (dont le FMI) un moyen de nous presser de choisir des "solutions" libérales !

      C'est une tactique habituelle désormais... les libéraux clament : voyez tel problème ! il nous faut toujours plus de libéralisme pour y remédier.

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  2. "un moyen de nous presser de choisir des "solutions" libérales"

    Pas du tout, le FMI a même revu le coef multiplicateur budgétaire. Il révise ses conceptions, pas comme vous qui déblatérez de sujets dont vous ne comprenez rien.

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    1. Dommage que le FMI ne change pas de doctrine au sujet de la Grèce...

      Les actes démontrent que le FMI chérie les causes dont il blâme les effets.

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