mercredi 31 janvier 2018

La mondialisation heureuse contre l’économie réelle : Partie II : Le mystère de l’inflation déguisée (3/3) (billet invité)

Billet invité de Marc Rameaux, qui a publié « Portrait de l’homme moderne », suite des papiers de samedi et lundi

Un tour de passe - passe monétaire

Une analyse plus profonde et plus critique sur la mesure de l’inflation nous fait cependant reconsidérer ce point de vue. Il est curieux qu’un gonflement monétaire ne se traduise par l’augmentation d’aucun prix, dans aucun secteur de l’économie. Loin de stagner, l’inflation est en fait réapparue sous une autre forme, qu’aucun indice des prix classique ne peut mesurer. Cette inflation « déguisée » ou plus exactement déplacée a été identifiée dans cet article des Echos :


Il n’y a pas de miracle : la création monétaire engendre un accroissement de certains prix, encore faut-il savoir lesquels. Comme le note l’article des Echos la première inflation facilement observable est celle des actifs financiers. Par construction, le QE consiste en des programmes massifs de rachats de titres. Les marchés financiers ont connu et connaissent encore une hause considérable, sans rapport direct avec les résultats des entreprises concernées.

Par ricochet, cette montée des actifs financiers enflamme également les prix de l’immobilier à l’achat. La barrière à l’entrée de l’accès à la propriété étant importante, ce sont généralement ceux qui ont les moyens d’entretenir un portefeuille d’actifs importants qui l’utilisent pour l’investissement immobilier. Le QE n’a donc « ruisselé » que sur une petite partie privilégiée de la population, celle des plus aisés. Déjà fortement discriminante d’avec le reste de la population, la classe la plus aisée a encore creusé l’écart en ayant accès à une manne de crédit supplémentaire pour des biens qu’elle seule pouvait déjà se payer.

L’article des « Echos » mentionne cette répercussion inégalitaire. On ne peut soupçonner pourtant son auteur d’un biais anticapitaliste : l’auteur est responsable de la stratégie de marché chez Neuflize OBC, autrement dit un acteur reconnu des institutions financières, fréquemment interviewé sur les dernières tendances boursières.

L’inflation est donc très loin d’avoir disparu. Elle ne se reflète plus dans le classique indice des prix à la consommation. Mais le fait de l’avoir fait disparaître des dépenses courantes revient à casser le thermomètre pour ne pas voir une surchauffe artificielle et malsaine, entretenue par l’intervention directe des banques centrales.


La pompe à spoliation

Le maintien de l’inflation courante à des niveaux bas et l’usage de la création monétaire ne semblent pas redoutables individuellement. C’est la combinaison des deux qui instaure un mécanisme très malsain. Il revient à mettre en place un circuit de ponction permanente de l’économie productive pour alimenter une bulle financière, devenant une véritable rente pour une petite minorité qui ne se distingue pas par sa capacité à entreprendre mais par la seule possibilité de toucher cette manne. Cette façon d’entretenir de riches oisifs est l’exacte négation de l’esprit d’entreprise.

L’on objectera que tout un chacun peut se placer sur les marchés financiers pour bénéficier de ce treuil monétaire : il suffit de disposer d’un compte titres. C’est une grande naïveté de penser que tous les acteurs sont équivalents à ce jeu, au regard des risques pris. Les acteurs capables d’entretenir un important portefeuille d’actifs ont un accès privilégié aux informations de retournement de marché : des actions de resserrement des taux seront connues plusieurs jours à l’avance par les grands investisseurs, au dernier moment par les petits porteurs. Les quelques bénéficiaires de la pompe monétaire sauront donc également à quel moment se retirer du jeu. Ils bénéficieront ainsi d’une double ponction : celle opérée sur l’économie productive pendant les phases de gonflement monétaire, celle leur permettant de siphonner les comptes de petits porteurs sur les marchés financiers au moment du retournement. Le pillage de l’économie productive par quelques rentiers financiers n’est pas le seul mécanisme élevé au rang d’institution, le délit d’initiés l’est également.

Enfin, inutile de préciser que le QE fausse l’efficience des marchés : une bonne nouvelle de conjoncture fait monter les cours, une mauvaise les fait monter également, les acteurs anticipant que cela incitera les banques centrales à perpétuer la création monétaire et la pression à la baisse sur les taux. Le rôle de financement rapide des entreprises que remplissait autrefois la bourse n’a plus aucune existence véritable : les cours deviennent totalement décorrélés des résultats effectifs des entreprises, les seuls paramètres influents devenant totalement endogènes au monde financier, dans une sorte de relation incestueuse demeurant dans son cercle : rythme de la création monétaire, réserves des banques centrales et des banques d’affaires, état de la dette des différents pays, enfin amplification par les algorithmes de trading.


Il est souvent de bon ton de dire que nous vivons dans un monde complexe pour justifier de regrettables errements économiques. Lorsque nous ramenons notre monde à ses buts, non à ses moyens, il devient pourtant d’une grande simplicité. La combinaison d’un indice des prix à la consommation maintenu bas et de la création monétaire par les banques centrales constitue la plus formidable machine à spoliation de l’économie productive au bénéfice de quelques acteurs financiers.



Nous ne vivons pas dans la société ouverte et avancée qui nous est souvent décrite, mais dans une économie de rente la plus archaïque qui soit, comme même la bourgeoisie la plus réactionnaire du XIXème siècle, si bien croquée par Balzac, ne l’aurait jamais rêvée. Les véritables entrepreneurs ne gagnent que très peu à ce jeu. Aussi le discours marxisant leur imputant la responsabilité de ces maux se trompe sur toute la ligne. C’est précisément lorsque nous revaloriserons l’économie d’entreprise sur l’économie de rente que nous pourrons sortir de cette situation. Encore faut-il cesser de noyer sous de mauvaises raisons ce qui n’est qu’un objectif parfaitement simple et clair : l’enrichissement sans limite et sans effort de quelques-uns, au détriment du véritable entreprenariat.

5 commentaires:

  1. "Les acteurs capables d’entretenir un important portefeuille d’actifs ont un accès privilégié aux informations de retournement de marché"

    Très discutable assertion.

    "En 2007 et 2008, le pari de Buffet était bien mal parti. Il faut dire qu'on trouvait difficilement pire année pour la bourse, avec la crise des subprimes qui a fait s'effondrer la bourse, tandis que quelques hedge funds tiraient leur épingle du jeu. Puis, la tendance s'est inversée. Le pari est pratiquement terminé; suivre bêtement le S&P 500 a rapporté 63.6%, contre 19.6% pour la combinaison de Hedge funds. Le placement le plus simple possible a fait mieux que les professionnels, une fois leur rémunération déduite. Warren Buffet est bien parti pour gagner son pari."

    https://blog.francetvinfo.fr/classe-eco/2016/03/12/comment-epargner-mieux-quun-professionnel.html

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    1. Avoir accès de façon privilégiée à des informations de court-terme ne signifie pas nécessairement que l'on en fera bon usage. Vous avez raison de rappeler la mauvaise performance des Hedge Funds, mais ont ils eu une faible performance parce qu'ils n'avaient pas d'information ou parce qu'ils ont trop voulu profiter de leurs informations à court-terme ?

      Je fais ici plutôt référence aux acteurs qui savent à quel moment il est pertinent de retirer leurs billes ...

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  2. Dans le patrimoine : l'immobilier, le mobilier, l’œuvre d'art, l'action, peuvent avoir des valeurs qui joue le yo-yo, c'est un jeu où les joueurs gagne et perde au gré des cotes, en fonction des pigeons qui trouvent plus ou moins d'autres pigeons: la chaîne de Ponzi est la même histoire de pigeon. Résultat : le pigeon perd en consommation ce que le prédateur gagne.

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  3. Si nous considérons la définition de l'inflation :
    Le principal indicateur de l'inflation est l'Indice des prix à la consommation (IPC). C'est l'évolution de cet indice qui sert à calculer le taux d'inflation. ... L'IPC mesure la variation des prix en comparant, dans le temps, le coût d'un panier fixe de biens et de services.»

    Votre billet fait une confusion et considère l'inflation non pas du panier de la ménagère mais du patrimoine.
    Pour être rigoureux on ne doit pas mélanger les torchons et les serviettes et en le faisant il n'est plus besoin de remplir des pages qui à la confusion ajoute de la confusion.

    Si on organise l'économie suivant ses trois composantes :

    1° La production-consommation. Ou l'économie active.
    C'est dans cette composante que se crée tous les biens et services, matériels ou ludiques qui deviennent des consommations aptes à satisfaire nos besoins en ces choses. ( le panier de la ménagère)
    2° L'épargne qui n'est qu'un lieu de comptabilité des valeurs qui vont changer de main par l'intermédiaire des valeurs, matérialisées en monnaie scripturale ou papier. Dans cette épargne se trouvent tous les comptes des individus et de toutes structures qui vont agir pour le compte des individus ou groupes d'individus.
    L'épargne c'est de la pure comptabilité et uniquement de la comptabilité, qui informe du disponible de tout individu ou de toute structure, pour une utilisation personnelle ou une mise à disposition à une autre personne ou à une autre structure, pour faire changer de main une production où un patrimoine. Deux composantes de l'économie : la consommation cité ci-dessus et le patrimoine, ci aprés. En fait l'épargne n'est qu'une interface entre ces deux composantes : production et patrimoine qui caractérisent notre réalité.
    3° Le patrimoine. Où l'économie patrimoniale.
    C'est : le lieu où nous trouvons les consommations qui perdurent, mobilières ou immobiliers qui en entier ou en part sociale, ont une valeur latente en attente de changement de main qui se fera en parallèle d'un changement de monnaie. Et là, dans ce patrimoine, se trouve les dettes des uns et les créances des autres, qui dans un bilan du patrimoine national se compense. Le remboursement d'un prêt c'est un changement de main de morceau de dette contre un morceau de créance. Et l'emprunt n'échappe pas à la règle que toute circulation de monnaie est concomitante soit à un changement de main de production où un changement de main de patrimoine, mais, pour l'emprunt, ce qui est particulier c'est un changement double dans le patrimoine à la fois sur les dettes et sur les créances qui se compensent. Ce qui est essentiel ce n'est pas ce qui se passe dans le patrimoine : dette-créance : c'est ce que ces appellations permettent : l'emprunt : une consommation différé d'un côté et une avance de consommation de l'autre et en sens inverse pour ce qui est le remboursement de l'emprunt. Une fois de plus l'usage est plus important que les valeurs.

    Quelle que soit la circulation, celle dans le patrimoine ou celle dans la production les valeurs comptabilisées dans l'épargne restent constantes et disponibles pour d'autres changements de main dans la production ou le patrimoine.
    Le patrimoine a une valeur latente (donc pas de valeur) seul les changements de main dans la production sont des circulations de valeurs et destructions de valeurs. La valeur latente du patrimoine peut varier par des systèmes circulaires de ventes-reventes, ou dans des chaînes du style de celle de Ponzi, sans que l'épargne n'en souffre, c'est à dire la quantité de monnaie disponible dans l'épargne ne change pas, seule la valeur des dettes et des créances change. Si bien qu'aucun krach financier n'existe dans l'épargne ou dans la production, du fait de ces triturations dans les patrimoines.

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  4. suite
    Dans le patrimoine : l'immobilier, le mobilier, l’œuvre d'art, l'action, peuvent avoir des valeurs qui joue le yo-yo, c'est un jeu où les joueurs gagne et perde au gré des cotes, en fonction des pigeons qui trouvent plus ou moins d'autres pigeons: la chaîne de Ponzi est la même histoire de pigeon. Résultat : le pigeon perd en consommation ce que le prédateur gagne.

    La seule incidence c'est que ce jeu de Yo Yo fait effectivement que l'acquisition du patrimoine n'est possible que pour un nombre limité.
    Reste donc à bien cerner pourquoi ce patrimoine fait le yo yo, vers le haut ?
    Est-ce uniquement la loi de l'offre et de la demande ?
    N'y a-il pas eu des mesures du type de l'imposition des plus-values ou d'autre réglementation ou encore l'ignorance de la réalité de notre système économique, comme la fixation du prix des choses dont il est questions dans le blog du 2 février qui suit, le tout concourant à l'emballement ( inflation) des prix des patrimoines ?

    Unci TOÏ YEN 2 février 2018

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