lundi 7 mai 2018

L’effarant témoignage sur le Canal Plus de Bolloré

C’est un témoignage dont il faudra se souvenir et auquel il faut accorder la plus grande publicité. Les média ont probablement été l’un des premiers secteurs économiques bouleversé (on dit « disrupté » dans la novlangue oligolibérale). Résultat, aujourd’hui, le secteur est racheté par des milliardaires à l’agenda trouble, comme le montre aujourd’hui le cas du Canal Plus de Bolloré.


L’information, façon Pravda

Il faut remercier France 5 d’avoir invité deux journalistes de Canal Plus à témoigner dans le cadre de la mise en examen de Vincent Bolloré. Jean-Baptiste Rivoire est rédacteur en chef à la chaine et il a dénoncé la « formidable bienveillance à l’égard (de Bolloré) (…) Je considère qu’il a pris le contrôle d’une télévision nationale dans laquelle il viole en permanence la loi de 86 qui prévoit que les intérêts d’un actionnaire ne doivent pas venir entraver la ligne éditoriale. (…) Ce qu’on vit à Canal depuis 2015 en permance, c’est que la liberté éditoriale est entravée, censurée par un actionnaire qui mélange ses intérêts de business en Afrique et ailleurs, avec la liberté des journalistes ».

Le journaliste a notamment évoqué la censure d’un sujet sur le Togo fin 2017, évoquant des manifestations contre le dictateur et affirme que Canal « a fait diffuser à l’antenne un publi-reportage pour nous expliquer que le Togo est un modèle de stabilité politique ». Ce faisant, il démontre que les milliardaires qui rachètent des média ne le font peut-être pas tellement pour l’argent, la rentabilité du secteur n’étant pas très élevée, mais bien davantage pour contrôler ce qui est dit et servir leurs intérêts. Un nouveau précédent qui s’ajoute à ceux de LVMH et la presse économique, d’Aude Lancelin et de la direction de l’Obs, ou d’Hervé Kempf, qui a fondé Reporterre après avoir quitté le Monde

Ces rachats tendent trop souvent à uniformiser et aseptiser un monde médiatique, qui souffre déjà d’une trop grande uniformité de vue libérale-libertaire, même si cela s’explique en partie par le sort économique qui lui a été dévolu depuis la révolution numérique, qui a fortement fragilisé le modèle économique des média. Heureusement, subsistent quelques ilôts d’ouverture aux idées alternatives, de Polony TV, à Frédéric Taddéi, en passant par France Culture ou Elise Lucet. Mais le moins que l’on puisse dire est que tous ces investissements de milliardaires dans les média n’apportent jamais un plus au débat public, nourrissant au contraire son aseptisation et les conflits d’intérêt.


Même si Canal Plus n’a pas toujours, loin de là, été un exemple d’ouverture au débat, prêchant trop souvent comme un ayatollah sa pensée oligolibérale, le virage pris avec Vincent Bolloré contribue à appauvrir plus encore un espace médiatique qui n’en n’avait pas besoin. Cela rappelle que la question du statut des média devrait être posée politiquement, comme l’avait fait François Bayrou un temps.

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